Mon rêve est tranquille.

Un jour se lève.
Rien n’a changé, seules les lumières s’étonnent.
Le soleil filtre ses rayons à travers les chênes lièges et va les ficher sur les chênes verts du coteau opposé.
En s’élevant, il efface les ombres, dissout la brume légère pendant qu’une brise discrète en profite pour balayer les restes d’une ouate vaporeuse qui valse et s’évanouit.
Pour accompagner ces rais qui allument le paysage, le silence se met à bruisser. Il se réveille en chuchotant quelques notes de feuillage inquiété par le souffle qui monte de la vallée. Le petit Eole passe sa caresse sur la végétation environnante produisant un timide frissonnement pour ranimer la vie qui s’était assoupie.

Les merles et les geais avaient déserté l’endroit, s’activent soudain, filent en se manifestant bruyamment. Ils « girandolent » *, patrouillent dans le maquis, surgissent dans le jardin pour juger de l’état des cerises encore vertes.
On dirait qu’ils s’amusent à me siffler un long reproche, me chahutent au passage à défaut de pouvoir me tirer la langue en frisant ma tête. 
Quelques gobemouches gris se sont postés sur le grillage. Calmes et silencieux, patients aussi, ils attendent la nuée de moucherons qui s’élèvera en même temps que la chaleur montante. Contrairement aux hirondelles qui foncent dans le tas sans marquer la moindre hésitation, ils se gaveront en voletant en mode colibri au cœur du nuage moucheronné.
La tortue a sorti sa tête pour inspecter les parages, il sera temps d’aller fouiller les herbes encore humides et fraîches.
Le hérisson dort toujours dans sa boule hérissée bien calée dans un coin secret. Il a vadrouillé une partie de la nuit et fait grasse matinée.
Il est encore trop tôt, encore frisquet pour la couleuvre qui explore les environs. Elle n’est pas pressée de musarder du côté du bassin.
Pour l’instant les grenouilles sont joyeuses et les têtards font de la plongée en parfaits apnéistes. Leurs corps globuleux propulsés par une queue flagelle ondoyante se meuvent avec grâce sous la surface de l’eau. Ils piquent vers le fond à la verticale, disparaissent un long moment puis remontent pour affleurer hors de l’onde, la bouche ouverte, respirent un bon coup. Montées, descentes, promenades le long des parois de la vasque, ils passent le temps en préparant la métamorphose qui les changera en rainettes. 
Les chats harets sont à l’affût, déjà sur la place en quête de campagnols. Le tigré, encore en paresse, se dandine en direction de l’enclos des poules désormais désert. Tout en nonchalance, il m’adresse un regard insistant plein de méfiance, je fais mine de sauter et le voilà dans le fourré.

Là-bas, dans le brouhaha des villes, les voitures se croisent, des conducteurs se toisent, les injures fusent. On se trémousse, on se presse, on s’exaspère. L’impatience est reine, la mauvaise humeur plane, parfois s’exprime, l’atmosphère speede.
Ils sourient pourtant, se disent en joie.

Dans les studios télé, on lance des débats sur des problématiques insolubles avec des mots, car personne ne parle le même langage. Des logiques qui émanent de postulats différents assènent des paroles vaines, confortent les partis pris et cadenassent les convictions acquises. On assène, on pointe du doigt, on assure, on sait, l’autre ne sait rien. La température monte et la société n’est plus loin de l’ébullition.
Ecoutez-les s’agiter, regardez-les jouer leur comédie sincère… L’espoir est au bout d’un index menaçant, au bord de lèvres hargneuses… la compréhension mutuelle s’épuise.

Ici, c’est la paix et dans l’ordre des choses.
Je n’irai pas là-bas, mettre mon grain de sel.
La cause est perdue, tout le monde le flaire et personne ne le sait…
C’est dans l’ordre des choses aussi, une civilisation s’élève, s’élève… Un jour, elle s’effondre.

Ne vous inquiétez pas pour ces mots qui m’échappent et construisent des idées pour meubler l’instant.
Mon rêve est tranquille, je voyage comme une poussière vagabonde, toujours incognito, pianote adagio, moderato…

*Girandoler, ce verbe n’existe pas mais vous avez sans doute compris l’allusion.

Gobemouche en attente de moucherons.
Petits de quelques jours.
Les images ne sont pas du jour.

Ce matin, le temps était celui d’un premier mai mal réveillé, à l’instant, vers quinze heures, la pluie tombe drue et le brouillard est de Toussaint…
Seule ma bonne humeur m’épargne le bourdon 🙂

12 Comments

  1. Pas la moindre inquiétude 😀 il n’en demeure pas moins que c’est un trésor de ne pas vivre dans les villes de grande solitude. Mon environnement, dans une Commune de taille moyenne (avec 6700 âmes environ) me permet d’entendre les oiseaux, les grenouilles, le chant des cigales, ……….. mais aussi les trains, les avions, et au loin l’autoroute. Mais je m’estime malgré tout privilégiée.

    1. Un jour ou l’autre, il faudra bien que j’y aille lorsqu’il ne sera plus possible de rester à l’écart.
      Je me forgerai un autre état d’esprit tout en gardant mon âme.
      Il pleut, il pleut et pas de bergère en vue 😉

  2. Beau texte, en vous lisant et en regardant vos photos, je me dis que la vérité n’est pas dans le remue ménage des hommes mais dans la nature. Que ne ferais-je pour fuir la ville moi qui l’aimais tant, mais malgré tout je rejoins le commentaire de Gibu en m’estimant privilégiée, la nature n’est pas loin.

  3. L’escapade, par vos mots guidée, a été l’éclaircie dans le ciel gris du jour. On s’est mis à girandoler nous aussi.
    Pour le plaisir du partage : j’ai transféré le texte « le silence » à une belle dame, corse expatriée parisienne pour son métier, auprès des enfants elle aussi ; comme destiné, là par une nuit d’insomnie, votre « silence » l’a accompagnée dans ce qu’il faut de rêveries éveillées pour que vienne le sommeil. Ah, magique pouvoir de l’écrit ! Merci.

    1. Un grand merci à vous de souffler sur mes mots et les semer au-delà de ce blog.
      Un sourire à votre amie « parisienne ».
      Ce soir elle rêvera d’étoiles, de vies joyeuses, la bonne humeur l’endormira doucement 🙂
      Bonne suite à vous.

  4. Seules les racines des plants de salade nouvellement plantés apprécient cette pluie.
    Mais en montagne le poêle a repris le service.

    1. Ce matin, j’ai planté quelques plants de tomates qui ne tenaient plus dans le pot.
      J’espère qu’ils ne subiront pas d’attaque fongique avec le retour du soleil.
      Je ne m’attendais pas à cette pluie.
      La cheminée ronronne 🙂

  5. C’est un très beau texte j’ai adoré. Je fuis également les villes, je préfère ma côte qui est d’une grande tranquillité en dehors de la période estivale. Mais bon, il faut bien que les gens des villes viennent se défouler aussi 😉

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *