Essai d’étymologie.
Cacareddu est la colline de mon enfance. C’était notre terrain de jeu favori, aujourd’hui totalement abandonné. Il y a bien longtemps que l’on n’a vu un enfant courir autour des châtaigniers.
C’est le désert absolu.
C’est là qu’un camarade de classe a reçu le plus douloureux coup sur la tête, de toute sa vie.
Je suis certain que ce vilain coup lui a réveillé l’esprit et qu’il se souvient, depuis ce jour, ce que signifie « être frappé par le pittoresque du paysage ».
Une lumière survenue après la correction de sa rédaction très imagée puisqu’il croyait que le pittoresque était un vilain garçon posté derrière un tronc d’arbre pour cogner sur le premier venu. En visant la tête évidemment, si elle sonne creux.
Le sujet était : « A l’occasion d’un jeu, vous êtes frappé par le pittoresque du paysage, racontez. »
L’enfant jouait à cache-cache, arrivé à proximité d’un tronc, il reçut un coup sur la tête, c’était, disait-il, le pittoresque qui l’avait frappé. De la même manière, un autre pensait que Ravaillac s’appelait Lefanatique puisque durant le cours, le maître parlait du fanatique Ravaillac.
Voilà, je viens de terminer le « ding dong » du jour.
A ce sujet, je vous apprendrai qu’une lectrice « parisienne » en vacances estivales au village, m’affirma qu’elle aimait beaucoup mes digressions. Je pratiquais le « ding dong » pour atteindre un format convenable avec un texte qui s’annonçait trop court, désormais, je le fais en pensant à elle.
Je n’ai jamais su quelle était l’origine du nom donné à cet endroit. A l’époque, il n’y avait point de toilettes dans les chaumières, chacun vidait son seau hygiénique par la fenêtre, côté jardin. Les enfants profitaient de leurs escapades sur la butte pour faire leurs besoins derrière un buisson ou un arbre. Ils déposaient là leur caca pour ne point engorger le seau familial. Sachant que le suffixe « eddu » signifie « petit » comme dans les exemples qui suivent : Ghjacareddu = petit chien, furreddu = petit four, carruleddu = petit chariot ou asineddu = petit âne (ânon), on s’était imaginé que Cacareddu signifiait « endroit où l’on fait son petit caca ». Je n’ai jamais su si c’était la bonne explication.
Etymologie était-elle née de l’imaginaire des enfants ?
Caca ou pipi, nous faisions souvent dans cet endroit pentu sans jamais nous poser de questions. C’était devenu un acte naturel, d’autant que le nom évocateur, sans doute subliminal, nous invitait à nous délester ici avant de rentrer à la maison.
Nous n’en parlions jamais. Nous évitions de marcher sur un étron en jouant à cache-cache ou en courant après les chèvres qui, elles non plus, ne se souciaient guère de lâcher leurs billes noires un peu partout sur leurs chemins. La nôtre en amodiation, c’est-à-dire que nous l’avions en charge comme une sorte de métayage, le lait pour nous et le cabri pour le propriétaire la veille de Noël, connaissait parfaitement les lieux. Je la lâchais le matin et j’allais la chercher à la tombée de la nuit, si elle n’était pas rentrée toute seule. Je connaissais parfaitement chaque recoin et savais donc où mettre les pieds. Je n’ai jamais songé que cela pouvait porter bonheur si d’aventure le pied gauche venait à écraser une pyramide abandonnée. Mieux valait ne pas trop imaginer une quelconque bonne fortune car nous étions souvent en spartiates, sans chaussettes, ou même pieds nus en dehors de la saison des bogues tombées à terre.
Au printemps, l’endroit était très fleuri. Un véritable champ d’anémones des Apennins s’étalait à perte de vue profitant de l’ombre et de l’humidité ambiante sous les châtaigniers.
Enfant, j’habitais au pied du monticule, aujourd’hui, je me trouve juste en face, de sorte que de temps en temps, il me suffit de lever les yeux pour me voir courir comme un cabri entre les genêts, la bruyère ou les buissons d’aubépine qui embaumaient la colline de parfums mêlés et fort entêtants.
Je ne fais aucun effort de mémoire, les images m’assaillent comme si je courais encore sur les pentes de Cacareddu..
