Pudinaghju.

Pour les gens d’ici, mais…

Ami de passage, ne t’inquiète pas pour ces mots que tu ne connais pas. Par chez nous c’est pareil, ce saupoudrage n’a que peu de résonnance dans l’esprit de beaucoup de gens. Je fais tinter ces mots en n’étant pas certain de l’exactitude des finesses de naguère. C’est vraiment dommage car, ils avaient une saveur concentrée qui demande, souvent, une longue traduction en français en perdant beaucoup de leur puissance et de leur humour. U pudinaghju , se traduit par poulailler. Sa racine, en corse est « pudina« , qui désigne les fientes des volatiles. C’est déjà beaucoup plus imagé puisque ces cabanes à poules en sont remplies… A « pudina » récoltée puis séchée constituait un excellent engrais naturel pour les carottes et peut-être pour l’ail, mais je n’en suis pas sûr. Promène-toi parmi ces lignes, si le cœur t’en dit et garde ce qui te parle… Allez viens avec nous, je t’invite à écouter notre histoire.

Aujourd’hui les œufs sont estampillés. Conformes au cahier des charges, ils ont reçu l’aval commercial pour figurer en toute tranquillité dans nos supermarchés.
Imaginez-vous disant à votre petit enfant ébahi devant un dessin animé :
O fidò, veni, andemu à u pudinaghju à pidà l’ova ? Quel plaisir pour lui et pour soi de se retrouver dans le vrai, dans la vie, sans qu’il soit besoin de s’inventer des cocottes.
Entre pullaghju, pullinaghju, ghjallinaghju ou pudinaghju (poulailler selon les endroits de Corse), mon choix est déjà fait. Je retiendrai celui de notre grand-mère ou de notre grand-père du quartier de la Navaggia :  u pudinaghju.
Peut-être dirais-je comme eux, dans un mélange de corse et de français lorsque l’enfant, petit enfant venait du continent pour les vacances : «
O fidò, on va chercher des œufs au pudinaghju !  (o fidò = fils ou petit enfant)

Derrière notre maison de la Navaggia trônait un petit poulailler pour loger une dizaine de poules et un Chantecler bien campé sur ses pattes solides. Grand-mère ouvrait la trappe d’entrée le matin, la refermait le soir. Nous étions chargés de la récolte des œufs à tout moment de la journée, dès que grand-mère nous demandait d’aller voir…

L’entrée était basse, même petits de taille, nous devions incliner le torse pour jeter un œil vers le nid situé dans le coin gauche avec son leurre pour inciter les pondeuses à déposer leur offrande toujours au même endroit. Un nid rudimentaire, que les gélines faisaient et refaisaient à leur manière.
Très souvent, ce leurre était une pomme de poignée de porte en faïence blanche, une poignée ovale, la copie presque conforme d’un œuf. Parfois, c’était un vieil œuf de couturière, en bois, qui servait à repriser les chaussettes, peint en blanc pour cet usage.
On appelait cet œuf « u dinicali », l’œuf trompeur dans le nid.

C’était une joie pour nous de revenir à la maison avec trois ou quatre œufs fraîchement pondus. Il nous arrivait d’en gober un sur le trajet pour épater un copain croisé sur le passage. C’était souvent pour l’esbroufe car l’avaler tout de go en passant directement du gosier à l’estomac n’avait aucun intérêt pour les papilles, ni pour la nutrition car nous n’étions pas si dénutris que cela.  

Il arrivait qu’une poule lasse de pondre pour rien, s’en aille dans un coin du jardin, construire son propre nid dans les hautes herbes, à l’abri des regards, afin d’assurer sa descendance. Grand-mère se rendait bien compte qu’elle manquait à l’appel, elle ne la dérangeait jamais, la surveillant de loin, visitant l’endroit discrètement chaque matin pour suivre l’évolution de la couvée.
Elle craignait simplement « a vulpi », le goupil la nuit et « u falcu », le faucon le jour qui survolait son territoire, fondant parfois sur quelque poussin. La géline était respectée si telle était son humeur.
Un jour, elle revenait vers le poulailler, poursuivie de piaillement émanant de petites boules jaunes, montrer fièrement à ses copines les raisons de sa fugue.
Avec cette arrivée de poussins, il fallait songer à loger tout ce monde.
Les vieilles poules n’allaient pas tarder à enrichir le repas de quelques dimanches en accompagnant un riz à la sauce blanche bien « câprée » et largement poivrée.
Hélas, ce n’était pas toujours aussi romantique, le renard connaissait l’endroit. On l’entendait le soir, aboyer en imitant le chien… La poule fugueuse n’avait aucune chance d’en réchapper.

Aujourd’hui, on ne reprise plus les chaussettes, on n’a plus la corvée du poulailler. L’œuf sera bientôt directement pondu dans l’emballage ou parviendra dans nos cuisines frit à point, le jaune bien brillant et bien bombé, avec en filigrane la mention : garanti sans débris de coquille, frit directement dans le ventre de la poule.

On peut tout imaginer dans le business grandissant. La personnalisation ne serait pas surprenante avec la mention suivante imprimée sur chaque œuf : « Pondu par Mathilde que vous pouvez voir tous les mardis de 19 à 20 h sur Facebook… » Bref, je joue au fou car nous vivons dans un monde de fous.

On n’est pas près d’entendre les cris de la basse-cour, ni voir Maitre Coq poursuivre une cocotte, même dans nos campagnes : c’est beaucoup trop bruyant pour nos fragiles tympans et beaucoup trop macho pour nos yeux pudibonds.

Quoique, j’ai l’impression d’un revirement… Espoir ?

Cot cot cot codec ! Qu’il est bête !
Oui c’est c’la que je suis bête !

Ah ! c’est ça une cocotte minute ?
Je comprends pourquoi elle se vide vite !
Allez santé !
Après la ponte :
*A ghjadina cacanighja, veni di pona l’ovu » : la poule caquette, elle vient de pondre un œuf.
Ma grand-mère disait :« cacanighja » pour désigner un chant particulier après la ponte.
Et lorsque la poule couvait : A ghjadina crocca .

 

11 Comments

  1. Il est bien plaisant cet article à la mode d’autrefois, ça reviendra quand les gens en auront marre de vivre une vie entre 4 murs de bétons avec des promenades hygiéniques dans des parcs bordés de gazon en plastique (on a ça ici)
    J’ai la chance d’avoir trouvé une dame sur le marché qui vend les oeufs de ses poulettes. Tout crottés et pas 2 de la même taille. Des poulettes qui cavalent dans l’herbe toute la journée et ne sont rentrées le soir qu’à cause du renard et de ses copains. Je les déguste à la coque, chose que je ne faisais plus quand je les achetais en grande surface.

    1. C’est vraiment un plaisir, j’étais comme un enfant…
      Cela devenait difficile avec le mauvais temps d’aller si loin ouvrir et fermer et puis lorsque l’une s’échappait, impossible de la rattraper…

  2. En collectivité : interdiction de servir des oeufs véritables, uniquement du reconstitué au km !!! Le monde est fou (et nous empoisonne) alors oui, vive le vrai poulailler.

    1. Et quel plaisir de découvrir le langage des gélines !
      Je me suis bien amusé allant jusqu’à écrire « Un comportementaliste à la basse-cour ».

      1. Pendant bien des années, nous avions des « soies » toutes joliettes dans notre (grand) jardin. Le coq était très attentif envers elles et toute une hiérarchie et des codes régissaient tout le monde. Un vrai plaisir. Puis les années ont passé et toute seule, il me devenait difficile de faire l’approvisionnement, alors elles sont parties à la campagne chez mon frère.

  3. ET bien revirement il doit y avoir car dans nos montagnes de Chartreuse les poulaillers fleurissent. C’est devenu le lieu de jeu préféré de mes petits enfants d’ailleurs. Sympa votre blog.
    Jean-Marc

    1. Heureux petits enfants, ils auront bien des souvenirs à raconter.
      Moi, je n’ai rien oublié et j’ai joué à revivre mon enfance avec mon poulailler.
      Merci pour la sympathie 🙂
      Je vous souhaite une bonne soirée.

  4. Bonjour.
    J’ai été très heureux et enthousiasmé, à la fois, en parcourant votre billet, comme à chaque fois.
    J’ai décidé (cela fait bien deux ans que l’idée et non seulement, me trotte par la tête..), de faire et d’avoir un vrai poulailler et acquérir comme avoir six poules.
    Je compte prendre quatre poules rousses et deux bleu de Landes.
    (pour le coq j’hésite, et je verrais un tout petit peu plus tard..)
    [Nous ne sommes cependant pas dans une commune (localité de 1500 habitants et cependant au calme) et dont les coqs(gallinacés) défraient la chronique(car nous avons plusieurs voisins autour de nous et qui ont un poulailler et des poules, avec des coqs..) comme ce fut le cas à l’île d’Oléron, et où, fort heureusement, la propriétaire de ce coq a eu gain de cause, n’en déplaise..]
    Pour rappel:
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/09/05/ile-d-oleron-la-justice-autorise-le-coq-maurice-a-continuer-de-chanter_5506710_3224.html
    Sur l’île d’Oléron, la justice autorise le coq Maurice à continuer de chanter..
    (ceux qui n’aiment pas la campagne n’ont qu’à rester chez eux..en ville..)
    Bonne journée à vous, une très bonne fin de semaine, respectueusement..Denis.
    P.S.: j’ai également un très bon ami corse, en Corse.

    1. Bonjour janusdot57,
      Ce retour aux petits fondamentaux sera pour vous un vrai plaisir. Cela se devine à votre expression dans le commentaire.
      Je partage avec vous l’absurdité de vouloir clouer le bec aux coqs. C’est comme si quelqu’un se rendait en visite au Canada, se plaignait d’y voir la neige et de subir le froid…
      Je collecte l’eau de pluie pour mon jardin dans un bassin. Les grenouilles y sont reines, il ne manquerait plus que des voisins se plaignent des concerts de rainettes.
      Je vous souhaite bon plaisir à fréquenter la basse-cour.
      Cela m’a permis d’écrire quelques textes amusants, faisant mine de converser avec les poules et de traduire leur langage gallinacé en comédie humaine.
      Je vous remercie pour votre passage dans mon univers et vous souhaite également bonne journée et bonne fin de semaine 🙂

      1. Bonjour.
        En retour..je me permets..
        Si toutefois cela vous intéresse, je vous mets le lien de l’un de mes autres blog et sur canalblog..
        http://janus157.canalblog.com/
        Ecologie vraie et réelle..
        (rien de bien prétentieux, loin de là..)
        J’ai également un ami en blog au Japon et qui est quelqu’un de très bien, à plus d’un point..
        Voici le lien de son blog et site..
        https://inaca.me/
        A la campagne au Japon..Vivre à la campagne au japon..
        Pour compléter..
        Je suis originaire de la campagne, vraie ruralité, et d’un tout petit village de seulement..80 habitants.
        Toute mon enfance comme ma jeunesse a été baignée, et pas seulement, dans cette « vraie » paysannerie traditionnelle (avant la mécanisation puis à outrance, sans oublier ces monocultures dont..maïsiculture, avec tous ces ajouts en intrants et « ROUNDUP » ou « Glyphosate » et qui nous coûte tant pour l’eau que pour la pollution de l’eau, des nappes phréatiques comme de l’ensemble des cours d’eau, fleuves(comme pour le canal du Rhône pour la Camargue) et rivières..pas rien !..), tout d’abord avec mes grands-parents maternels, puis ma grand-mère maternelle, et ensuite mes parents en prolongement et après.
        Le village (mon village natal) possède cependant une magnifique église gothico-romane du Xè-XIè siècle, et un château ( manoir privé) datant du XIIIè-XVè siècle.
        Mis à part cela, il n’y a aucun café ou bar, ni épicerie.
        Le retour aux fondamentaux, comme vous le dites, à juste titre, est un juste retour aux choses, que ce soit en propre vécu comme en souhait d’adhérer, non seulement, mais également, et si possible, d’avoir un jardin potager, digne de ce nom, quelques arbres fruitiers (ce que nous avons à l’arrière et autour de notre maison actuelle..), et donc, être sûr d’avoir des légumes, non pas « bio » (ou bio menteur), mais bien de qualité et surtout pour la santé et sans ajout ou adjuvants de quelle sorte que ce soit.
        Pour en revenir à cette affaire et la petite histoire de ce coq « Maurice », il était important (un juste retour des choses normales et pas..politiques ou « politisées »..) que l’on prenne à bras le corps le problème et que l’on inscrive ces choses naturelles, de la vie de tous les jours à la campagne, comme faisant partie intégrante de l’environnement, tant immédiat que lointain, et que l’on défende cela à juste titre..pas rien !
        Pour l’eau de pluie, je fais pareil, et je suis d’accord avec vous pour ce qui est des grenouilles (mon ami au japon est d’ailleurs pareil et en avis partagé).
        Vos textes, ne sont pas seulement « amusants » comme vous vous plaisez à le dire (car, c’est là votre façon en clin d’oeil déguisé et amusé de parler de certaines choses et de faire ressortir certaines choses, tout comme vos propres points de vue, et surtout en vécu, chez vous..en Corse, et à la campagne, comme pour cette vie, non pas d’avant, mais d’autrefois, et qui était bien plus représentative et singulière que ce monde dit « moderne » et que l’on veut nous vendre à tout prix et nous y faire adhérer, sans oublier cette société de consommation galopante, et pas seulement pour les seuls « clics » dans le E/commerce ou click and collect..
        Voilà, j’en termine..
        Je vous souhaite encore un bon après-midi, comme une bonne fin de journée, à plus, respectueusement..Denis.

      2. Je viens de faire un tour dans votre blog et je m’y perds un peu avec une impression de grande production, beaucoup trop enveloppante pour mes modestes moyens, entre couleurs pour ponctuer la force de bouts de phrases et grands espaces d’écriture…
        Habitué à la solitude, au simple artisanat confidentiel, plus Robinson que militant, je vise le petit récit sans grande envergure, vous l’avez sans doute remarqué.
        Je poursuis un chemin pépère en racontant les petites choses de ma vie et de celle d’autres que j’ai côtoyés.
        Je vous avoue qu’en voyant d’emblée l’armada de Harley, je me trouve très loin de mon univers beaucoup plus calme même lorsqu’il s’agit d’envies de grande liberté.
        Je conçois très bien votre démarche, bien entendu, mais je reste profondément amateur d’aventures solitaires, j’y promène mon âme et elle seule…
        Je vous remercie pour votre passage par ici.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *