Mon parcours d’enseignant fut épatant et surprenant. Après avoir été écarté du centre de tri de Nice pour déficience auditive alors que j’avais réussi toutes les étapes avec bonheur et sans mérite disons-le aussi, puisque j’étais le seul à fréquenter l’université. Mes supérieurs étonnés de me voir à ce poste m’avaient prédit un parcours tout tracé et probablement assez rapide. Ce fut la porte lorsque l’administration découvrit ma réforme de l’armée. J’avais été envoyé dans un bataillon semi-disciplinaire en Allemagne car un officier oto-rhino-laryngologiste du centre de Tarascon avait détecté en moi un terrible trouble-armée en puissance… Il avait flairé l’arnaque, on allait me dresser du côté du lac de Constance. Les PTT de l’époque avaient pris peur en voyant mon passage devant la réforme pour hypoacousie unilatérale. Comment voulez-vous qu’un tel déficient auditif fasse correctement son travail de trieur ? Un poste où il vaut mieux être sourd que bon entendant pour être parfaitement à son ouvrage. Mais les institutions sont bizarres … ou plutôt non, elles s’en tiennent strictement au règlement.
L’administration semblait définitivement fermée pour moi qui rêvais d’être professeur de sciences naturelles. Institutions bizarres disais-je ? Ben oui, cette fois-ci, oui ! Là où j’avais encore moins de chances d’être retenu, je le fus ! Comment ai-je pu insister de la sorte, alors que l’Education Nationale semblait encore plus inaccessible dans mon cas ? Du bol sans doute, peut-être pas, ou plus simplement les choses de la vie comme l’évoque l’intitulé de mon blog. J’ai raconté cette dernière aventure, plus en détail, dans un texte dont je ne me souviens plus du titre.
Un parcours cousu de fil blanc ! S’il vous plait !
Ma première année, dans la précipitation des affectations, je fus nommé prof de sciences dans un très grand collège des Yvelines. Du bonheur pur, une année inoubliable. Déjà chanceux, un remplacement d’une année, cocagne ! C’était la période des changements annuels au petit bonheur la chance : me voilà bombardé dans une école d’Application rattachée à l’Ecole Normale de Versailles. J’ai participé à une recherche en mathématiques en vue d’élaborer un manuel scolaire avec des profs de maths agrégés et des docteurs en psychopédagogie… Encore une année faste. Evidemment, je devais quitter ce poste, je n’étais titulaire de rien mais quelque part ma « réputation » se construisait avantageusement. La troisième année allait constituer le grand tournant, celui qui donnera la direction finale à ma carrière. Je fus pressenti pour la mise en place des premiers Groupes d’Aide Psycho-Pédagogique en région parisienne, dans des endroits déjà hautement sensibles. Je n’avais aucune compétence particulière pour cela, j’ai bénéficié d’un manque cruel de personnel qualifié pour la création d’une nouvelle discipline. J’allais balbutier avec les premiers balbutiements d’une naissance.
Je n’enseignais plus les sciences exactes mais baignais quotidiennement dans les sciences humaines beaucoup plus incertaines. Souvent faites de merveilleuses intentions, plus louables les unes que les autres, mais à l’issue plus improbable, aussi. Un domaine où le moindre progrès, le plus futile souvent, vous sert de bouée pour ne pas sombrer dans la dépression. Lorsque personne ne détecte d’avancée probante, vous vous attachez au plus petit indice de progression afin de convaincre, et vous convaincre que tout va bien. Il faut pour cela avoir une âme de fin limier, de détective capable de débusquer le détail qui sauve. Il faut soutenir enfant, parent et enseignant tout en veillant à soi-même, en se blindant fortement car l’attente est trop forte. Il ne faut jamais se prendre pour le Christ… On doute parfois : le Messie aurait-il réussi à notre place ? C’est malheureux à dire, mais pour certains cas désespérés, je me demandais si un pèlerinage à Lourdes n’était pas mieux indiqué, plus efficace avec la force de la foi. Cette boutade sans aucun effet possible, était le signe d’une désespérance…c’est bien une des rares fois où je me permettais d’être à contre-emploi en cherchant l’échappatoire. Lorsque les limites sont palpables, il faut bien se faire une raison. Que Dieu me pardonne ! Ce n’est pas dans mes habitudes.
Voilà encore une très longue digression pour vous conduire une fois de plus dans la classe de mon village.
Ma chance, là aussi, fut qu’on me laissa la paix. Avec le retour dans ma région natale, et dans l’école de mon enfance que je n’avais pas sollicitée, je perdais l’espoir de retrouver le poste qui convenait à ma fonction. Je pouvais faire ce que je voulais. On m’avait dit, dans le secret d’un bureau, et je vous assure que c’est vrai : « vous avez carte blanche ». Peut-être s’était-on enquis de mon passé pour en arriver à me proposer cette liberté de manœuvre.
Ce fut un régal pour moi et pour les enfants, j’espère. J’avais l’occasion de revenir, de temps en temps, à mes premières amours, je ne me suis pas privé de ce bonheur. Ces moments où l’école trempe dans la vie pour ne regarder qu’elle, sans penser à l’échec. Une école buissonnière, non pas celle qui fuit sa mission, mais celle qui l’accomplit autrement.
Vous l’avez compris, Je vais vous parler aujourd’hui des cours de sciences.
Ce qui m’importait le plus, c’était de former un esprit logique, donner le sens de l’observation et du questionnement. Un pas vers l’esprit critique. Je n’aimais pas trop m’enfermer dans un programme préétabli. Le quotidien nous offre des multitudes d’occasions d’apprendre, il fallait en profiter. En revanche, je savais ce que l’on devait apporter comme connaissances. A moi de trouver les moyens.
Un jour j’ai dit aux enfants : « La vie est le livre de tout. Si quelque chose vous intéresse ou vous pose question, venez me le dire, nous en reparlerons tous ensemble ». Je ne croyais pas si bien faire : ce fut le coup d’envoi à nos cours scientifiques.
Hasna, la première, arriva un matin avec une pomme de pin toute pourrie, humide, avec plein de champignons qui sortaient des écailles écartées. L’après-midi, nous l’avons observée puis nous l’avons dessinée telle qu’elle se présentait. Cette curiosité affichait toutes les conditions qui favorisent la pousse de champignons saprophytes (se nourrissent de matière en décomposition). Ce fut l’occasion d’une découverte et d’un approfondissement. La pomme de pin était déjà ancienne, remplie de poussières donc de spores de champignons, elle était humide… Elle nous a conduits à deux semaines de travail sur les sortes de champignons et tout ce qui gravite autour.
Antoine nous porta une araignée dans un bocal et nous partîmes sur la route des arachnides et des insectes…
Un autre, en février, arriva avec un gros glaçon qui emprisonnait un végétal… Cela nous a menés aux différents états (liquide, solide, gazeux) de l’eau, aux fleuves locaux puis de France et du monde, à la découvertes d’estuaires ou de deltas sur les cartes….à la météo, jusqu’aux fontaines du village puis la potabilité… (Analyses prises en mairie, juste pour voir).
La plante qui était emprisonnée dans la glace était une feuille composée qui pouvait être confondue avec une plante entière… elle nous a conduits, au mois de juin, à effectuer un parcours dans le village pour identifier les arbres à partir de leurs feuilles après une étude préalable et théorique dans la classe…
Ce jour-là, un « emploi jeune » nous accompagnait. C’était une jeune fille avec son bac +4. Elle était surprise par la démarche et par le sens de l’observation, déjà aiguisé, des enfants : « … j’ai appris beaucoup plus de choses sur le sujet que durant toute ma scolarité… » Me dit-elle, à l’issue de cette visite éducative. Elle s’étonnait d’entendre certains enfants différencier pétiole et pédoncule floral, feuilles dentées, découpées, lobées…
Enfants, accompagnatrice et instituteur ne faisaient plus qu’un sur un même chemin de découverte.
Notre leçon de chose n’était que leçon de vie et de la vie.
Avec du plaisir, du plaisir, et encore du plaisir, peut-être, le monde s’ouvre à vous ?
Bonus : Feuilles de poirier et lépiote élevée ou coulemelle encore jeune.