Vies parallèles.

Ils ont le même âge, pas le même costume ni la même allure.

L’un court les palaces, les hôtels de luxe et fréquente les grands restaurants… il sent bon le Dior ou le grand parfumeur. A son cou, ses poignets, toute l’ostentation du monde, bijoutée à souhait. Le bronzage durable, tantôt de la côte d’azur, tantôt d’une contrée lointaine. Il courbe un peu l’échine et se balance avec le sourire assuré de la réussite, le regard incognito derrière ses lunettes noires d’un dernier cri. Ses mains, parfois baladeuses, savent bien jouer du stylo pour parapher un document ou signer un gros chèque.

L’autre parcourt les champs, les étables, et fréquente les porcheries… Il sent le crottin ou le lisier tout frais. Il courbe un peu plus le dos et se balance avec la tristesse de la fatalité. Ses mains, parfois engourdies, sont noueuses et savent juste saisir la pioche ou la pelle pour signer la terre de ses scarifications paysannes.

L’un revêt son trois-pièces, parfois sa tenue décontractée d’homme des plages lointaines, quitte sa suite pour en rejoindre une autre à portée de jet privé ou de limousine. Après un passage entre les mains d’une esthéticienne pour assainir la peau de son visage et paraître plus jeune, la masseuse prend le relais et détend ses muscles tétanisés par l’étude de dossiers trop compliqués et l’inquiétude des riches.

L’autre arbore son vieux pull troué, quitte sa ferme pour rejoindre l’étable à portée de brouette. Ses bottes sont habituées à faire juter le lisier sous ses pas, ses narines s’emplissent de l’odeur du crottin encore tout chaud. Après un passage devant la glace pour ordonner ses cheveux, son visage mal rasé suggère encore les sillons de son champ fraîchement labouré. 

L’un sirote une coupe de champagne en attendant la poule girl de luxe, l’autre engloutit un verre de pinard avant de soulever sa géline pour lui chiper son œuf.

Le temps se promène ainsi sur toutes les vies, filant inexorablement de l’avant, même lorsque l’on parle d’aller/retour.
Le temps ne connait pas le retour. C’est un rouleau compresseur qui avance sans jamais rencontrer la panne et ne regarde rien sur son passage. Il réserve le même sort à tous ceux qui ont  eu l’imprudence de naître un jour : il leur passe dessus sans état d’âme. Il roule, roule et n’existe que pour l’hécatombe perpétuelle.

Louis XIV est mort en 1715, 306 ans déjà… ça lui fait une belle jambe d’avoir été astre monarque.

« Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes » C’est son contemporain Corneille qui l’écrivait dans le Cid.

Je suis encore dans le temps, ce petit plaisir d’écrire me ravit …

Je file au prochain petit bonheur…le rouleau m’interpelle et gronde déjà !

Rien ne vaut la conscience de sa vie, il faut se dépêcher de vivre sa condition sans envier ni sourciller vers ceux qui semblent se la couler douce.
Probablement ont-ils d’autres douleurs, aussi.

Rien ne vaut la vie et la vie ne vaut rien, disait le chanteur.

A défaut de chanter sous la pluie, chantons sous la canicule, un air brûlant qui ne tiendra pas trop longtemps… un autre épisode nous attend… Peut-être.

Le criquet fumeur de havane, douce se la coule,
le Sisyphe bousier roule, roule, roule boule. …

6 Comments

  1. « Si haut que l’on soit placé, on n’est jamais assis que sur son cul » qu’il dit, votre philosophe préféré 😉
    Et le bousier besogneux a toute ma sympathie 🙂

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