Ephémère.

Ce matin, il s’était promis de vivre le plus beau jour de sa vie.

Il pensait que le lendemain, son existence ne serait plus totalement en son pouvoir. Son corps, plus que sa conscience mise en sommeil, ne détiendrait qu’un pourcentage réduit de son destin.
Curieusement, lui qui facilement repasse le futur en boucle comme un film déjà vu, réussissait pour la première fois à oublier demain. Il ouvrait ses yeux déjà habitués à scruter la vie, bien plus que d’ordinaire.

Tout lui semblait merveilleux.
Bizarrement, la veille, on annonçait belle lune pleine, il a juste jeté un regard distrait presque indifférent sur la clarté d’une nuit. Il aime surtout les étoiles qui le font rêver et le convoient vers d’autres galaxies. Aujourd’hui, il avait décidé de rester bien campé sur terre.
Il ignorait totalement si cette attitude inhabituelle était feinte ou simplement sereine. Rien n’était forcé ni calculé, il entrait dans une manière nouvelle de voir le monde, sans fioriture et sans torture non plus.
Un calme absolu, qui lui était inconnu jusque-là, l’avait gagné. Bizarre ! Pensait-il.

Etait-ce l’attente si longue qui l’avait ainsi préparé ? Possible.

Le matin, il a souhaité faire quelques pas pénibles dans les rues de la ville pour observer le monde qui vit. Un monde parfois automate dirigé par des règles sociales qui brident les idées ou les guident vers des horizons étriqués, très conventionnels. Parfois, son regard se faisait vague devenant lui-même l’étranger qui croise ou suit les quidams. Dans la peau d’un passant qui passe incapable de s’extirper d’un mouvement automatisé, au milieu des autres, il filait sans penser, sans cogiter, c’était juste pour comprendre un peu mieux ce qu’il serait s’il vivait ainsi. Assez rapidement, il se remit à observer machinalement comme à son habitude, lui le discret qui s’intéresse aux autres en les imaginant dans leurs pensées secrètes. Une intrusion amusante puisque totalement inventée pour le jeu. A quoi bon chercher à comprendre ce qu’on ne comprendra jamais ? Parce que l’autre l’intéresse et l’intrigue. Parce que ça lui plait de savoir sans savoir. Il n’est pas dupe, il se fabrique des existences différentes de la sienne et s’imagine vivre mille vies chipées. Il passe d’un sentiment à l’autre, s’arrête sur une émotion née soudainement d’un regard croisé, comme une énigme qu’il ne connaîtra jamais.

Un vent léger s’est levé et l’a caressé. Il a souri comme si c’était un signe. Il vient de la mer alors qu’il a l’habitude du souffle qui vient de sa vallée. Porte-t-il le même message ?

Là-bas, sous le géranium, la fauvette à tête noire l’a regardé d’un drôle d’œil comme s’ils se connaissaient déjà. Il a l’habitude des oiseaux. Chez lui, dans son coin reculé, ils sont légion à venir parfois jusqu’à ses pieds, comme s’ils voulaient converser.

T’en fait pas mon gars !

Aujourd’hui, il a flâné mais pas tout à fait comme à l’accoutumée. Une atmosphère étrange, une mollesse dans l’esprit, résigné, déjà dans l’abandon des commandes de soi.

Il voulait en faire le plus beau jour de sa vie, ce fut une journée banale, demain sera un autre jour comme on dit.

Les heures ont filé trop vite. Ce fut un jour éphémère et jamais pléonasme ne s’est imposé à ce point. Est-ce un pléonasme heureux ?
L’esprit vidé de tout son pouvoir, les sentiments plats, sans relief ni vivacité, il se résignait.

Tu viendras demain ?
Demain, non ! Plus tard peut-être.

Demain…l’incertitude. Il sera entre les mains du chirurgien.

Un mois plus tard, il pénétrait dans le cabinet de orthoprothésiste, faisant mine de s’appuyer sur des béquilles. Puis les portant à bout de bras, les tendit comme une offrande en disant :
– Je rends à César ce qui appartient à César !
L’homme au bistouri apprécia la boutade en me tapant sur l’épaule avec ces mots :
– Si je passe non loin de chez vous, je viendrai vous voir !

Le lendemain, je rentrais chez moi, la vie reprenait son cours…
C’était, il y a cinq ans.

Voici le récit du séjour complet en clinique, pour ceux qui voudraient en prendre connaissance.

PTH. (Prothèse Totale de la Hanche) – Les choses de la vie (home.blog)

3 Comments

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *