Semer aux quatre vents n’est jamais une certitude de germination, il faut rencontrer des conditions favorables pour espérer fleurissement.
Peu importe, pourvu que l’image soit belle et le plaisir au rendez-vous.
Mon côté pissenlit qui attend le moindre souffle de vent pour m’évader dans la nature est probablement celui qui me ravit le plus. J’adore habiller mes idées de fringues diverses. Mettre de la couleur, boutonner lundi avec mardi, chiffonner la chemise, la déchirer parfois est un plaisir que je ne boude jamais.
Hier, une lectrice de ce blog, qui n’est pas blogueuse, MP de ses initiales, elle se reconnaîtra, me faisait part du plaisir à rencontrer des vocables nouveaux, inattendus, qui fleurissent au gré des lignes de certains textes. Un effet de surprise qui fait naître le sourire. Je ressentais le petit grain de joie qui poignait à travers ses mots de presque encouragement à poursuivre dans cette voie.
C’est bien de cette remarque qu’est née l’idée du jour.
Je me suis souvenu de ces coquelicots qui étiraient leur cou pour émerger au-dessus de l’herbe folle. Une couleur par ci, une autre par là comme si je jouais à faire coucou à tout bout d’champ.
C’est un plaisir, je vous l’assure, car ce n’est jamais un calcul mais une éclosion spontanée, ce sont les images qui viennent à moi sans que je fasse le moindre effort pour les chercher.
Hier, c’est « Tribuler » qui s’imposa.
Lorsque nous étions adolescents, nous aimions beaucoup déformer les mots corses pour leur donner une note plus « continentale ». D’où nous venait cette idée saugrenue de « franciser » à tours de bras ?
Je pense que cela a germé de manière inconsciente lorsqu’on nous interdisait de parler corse à l’école et même dans la cour de récré. C’est sans doute l’origine du côté spontané, sauvage, de cette dissémination inattendue.
Puisqu’on nous interdit de parler notre langue, on fleurit la langue française. La fleurir et l’enrichir en même temps, avec des mots d’ici, en les adaptant afin qu’il aient une résonnance continentale. Pourquoi pas ?
J’ai gardé cette habitude enfantine que la plupart de mes camarades ont oubliée depuis belle lurette. Je pratique encore cette fantaisie au quotidien alors que mes amis se contentent de dire « Ah oui ! Je m’en souviens ! » et ça s’arrête là pour eux, ce n’est plus de leur âge. J’ai la chance de rester gamin en vieillissant. 😉
Je pense que c’est une seconde nature.
J’ai longtemps été absent de mon île et dès que j’y suis retourné, j’ai retrouvé mon réflexe instantanément. Sans faire une quelconque recherche forcée, le plus naturellement du monde, j’avais institué une séance particulière dans ma classe. Une séquence scélérate qui n’existait nulle part ailleurs. Les enfants, surpris dans un premier temps, étaient ravis en pratiquant ce que j’avais nommé « Le corse au secours du français ».
C’était un moment programmé dans la semaine pour renforcer l’orthographe et surtout l’occasion de débusquer la fin de mots à lettres muettes.
Par exemple « le front » en corse « u fronti » (On entend le t final).
le porc = u porcu – le port = u portu – Le point = u puntu – le poing = u pugnu
Cela valait aussi pour l’accent circonflexe qui remplace le S disparu :
la forêt = a furesta – la maîtresse = a maestra – la fenêtre = a finestra…
Ces moments étaient des moments d’amusement, à la fois pour se souvenir des mots indigènes (locaux) et pour améliorer l’orthographe française à partir de la langue nustrale (de chez nous).
Cela n’était pas toujours aussi simple, à moi de jongler avec les meilleures occasions profitables à l’idée visée.
Je n’ai pas réalisé tout de suite, je prenais quelques libertés avec mon enseignement – je rappelle que j’avais été bombardé dans une classe alors que ce n’était plus mon métier depuis 25 ans – et me sentant totalement débutant, j’en faisais mon affaire avec un peu de bouteille.
Avec le recul, je me demande si ce n’était pas une sorte de revanche : Enfant, on m’interdisait de parler corse dans l’enceinte de l’école, et bien maintenant c’est moi qui vais instaurer l’idée inverse. On ne peut museler une réalité somme toute légitime…
Revenons à l’ensemencement.
J’aime faire usage d’expressions inédites et inventées sur le champ.
En voici quelques exemples :
« Avoir le derrière aplati par les années d’études » = Manière de dire que l’homme (ou la femme) est bardé de diplômes après de longues études.
« Avoir l’assurance d’un grand-père » = En parlant d’un enfant que l’on a formaté au langage adulte.
« Clignoter d’un cri aphone » = Tenter de se faire repérer désespérément sans que personne ne vous remarque.
« Etre étonné comme les lapins d’Alphonse » = Expliqué récemment, référence faite aux lapins dans le texte « Installation » .
(« Ce sont les lapins qui ont été étonnés !… Depuis si longtemps qu’ils voyaient la porte du moulin fermée, les murs et la plate-forme envahis par les herbes, ils avaient fini par croire que la race des meuniers était éteinte, et, trouvant la place bonne, ils en avaient fait quelque chose comme un quartier général, un centre d’opérations stratégiques : le moulin de Jemmapes des lapins…« )
Les lettres de mon moulin. Alphonse Daudet
« Bonbonner » = Prendre du volume, grossir. (du mot bonbonne)
« Mouginer » = barbouiller de charbon et par extension salir le visage (du corse musginà)
« Amajouler » = Flatter gentiment pour obtenir quelque chose (du corse amasgiulà qui signifie flatter avec insistance dans l’idée de tirer affection ou soutirer de l’argent)
« Stourzon » = Morceau d’aliment trop gros pour être avalé au risque de s’étouffer (du corse sturzonu et du verbe sturzà qui signifie étouffer par ingestion d’une trop grosse bouchée, alors qu’avec un coussin par exemple c’est affucà, une autre manière d’étouffer et strangulà, étrangler, strangulation) Les nuances sont nombreuses ce n’est point une thèse non plus, plutôt amusement.
Il y en a beaucoup d’autres… Je vais arrêter là car ça devient trop long et je dépasse le format habituel, un peu plus digeste.
Voici un lien qui vous informera plus amplement de cette affaire de mots en goguette :
Cliquez sur le lien ci-dessous.
Le sucre-mot. – Les choses de la vie (home.blog)
Le petit plus qui a un tout petit quelque chose à voir avec le texte:
Le maître en étymologie.

Oui je n’ai pas relevé hier, il y a tant à dire sur vos pages fournies qu’on en oublie 😉
Votre démarche est tout à fait légitime et la preuve qu’on ne prive pas un peuple de sa langue aussi facilement que l’on croit, ensuite parce que la langue corse est celle qui est la plus proche du latin qui lui-même explique l’étymologie d’une grande partie de notre vocabulaire. Donc tout à fait logique, avec la couleur en bonus et la malice des hiboux 🙂
(Jolie photo monsieur je sème à tout vent 🙂 )
🙂
De vrais petits bonheurs ces moments où l’on vous lit.
Ah ! Merci Chatvoyageur, si vous saviez comme ça me touche et m’encourage à continuer.
Ce n’est pas évident pour tout le monde de lire quelqu’un qui ne parle que de sa vie.
Cela peut sembler narcissique, je m’en fiche, je parle de ce que je connais le mieux et je vous assure, ça va vite, je ne reste pas une éternité à écrire, je bêche, je cuisine, j’écris et je vis à fond… Demain, ce sera autre chose et les hiboux, j’ignore s’ils seront là, s’il ont quelque chose en préparation, ils arrivent à l’improviste 🙂
Bonne soirée à vous.