Faut-il souffrir de sa condition passée ?

Question saugrenue et certainement mal formulée mais je ne savais pas comment introduire ce texte. Mieux vaut, parfois, prendre les idées comme elles viennent et puis dévidant et filant les états d’âmes, les choses s’éclairciront d’elles-mêmes.

Depuis tout petit, j’ai été confronté au choc des conditions familiales. Dans mon entourage, certains ont évolué vers exactement ce qu’ils condamnaient et dénonçaient comme objet de leur souffrance. Ils ont tout fait pour accéder à cette même condition qu’ils exécraient tant, et leur comportement d’arrivistes les a rendus encore plus détestables. Ils existent par la « réussite » qu’ils brandissent comme une bannière en ignorant qu’ils agitent leur faiblesse. Ils ont voulu effacer leur passé en oubliant qu’on peut avancer sans désir de revanche.

D’autres ne s’en sortent jamais. Ils s’en plaignent encore, parvenus au bout de leur existence, et perpétuent leur souffrance à n’en plus finir. Ils ne trouvent jamais la quiétude et l’équilibre. Ils se servent, souvent inconsciemment, de ce déséquilibre permanent pour se fabriquer une originalité torturée, nécessaire pour exister à leur manière.

Je n’ai jamais souffert de cette vie qui était loin d’être misérable, même face aux pires difficultés. Je serais passé sans rien voir, si je n’avais été confronté aux exemples précédents.

Cette condition fut ma chance et d’ailleurs, je m’estime chanceux de la vie. Tous mes retours sur le passé ne sont que bonheur sans être nostalgie comme on pourrait le croire. Des moments que je vais chercher au fond de mes souvenirs pour mieux savourer les moments présents. Je me demande parfois, s’ils ne s’imposent d’eux-mêmes par ma manière d’être et de vivre le temps. Un temps d’aujourd’hui qui se savoure encore plus, agrémenté du temps d’avant. Une sorte d’épicurisme procuré par ce mélange nécessaire d’hier et d’aujourd’hui en ignorant demain.

Je souris à mes apprentissages tardifs qui m’ont fabriqué un parcours surprenant. Le galérien de la lecture qui allait mieux comprendre les cheminements des enfants en difficulté d’apprentissage scolaire. Celui qui allait faire fi des livres qu’il n’a pas su lire pour lire dans les yeux des naufragés de l’écrit et leur inventer un accompagnement sur mesure. C’est avec eux que j’ai vécu les plus belles histoires de ma carrière.

Je souris à mon père, fier d’avoir produit le contraire de son existence.

Je souris à ma tante paternelle, analphabète aussi et sacristaine dans l’âme, de m’avoir assidûment conduit à l’église pour me faire fuir vers la liberté de penser.

Je souris à ma grand-mère qui m’a appris la cuisine sans le savoir, qui se régalait de tranches de lard pendu aux poutres lorsque d’autres se nourrissaient de viande des grisons.

Je souris à mon grand-père qui rentrait de forêt pour se noyer dans la griserie et trouver la force de retourner au pied des grands pins.

Je souris à ma mère qui est encore en vie…

Je souris à la vie qui me reste et se cache dans l’incertitude du futur.

Quand vient l’heure du retrait que l’on appelle retraite, le temps frappe à la tête. Curieusement, alors que la fin approche, le temps prend tout son temps pour vous promener de passé à présent en oubliant l’avenir. Jeune, on se projette vers le lointain, âgé, la vue se trouble, il reste le souvenir. Les petits pas qui vous portent encore vers le futur ne sont plus les vôtres, ils ne sont qu’automatisme, une habitude de voir le soleil disparaître derrière le Piatonu ou se lever du côté du Pinettu.

L’astre qui s’en fout, qui passe sans vous voir, distille sa lumière éclairant la beauté des choses. Combien d’années, combien de mois, combien de jours ou d’heures encore ?

C’est l’énigme du temps qui porte la vie… merveilleuse vie, à condition de ne souffrir ni dans sa chair… ni de son passé.

Mot du jour : se requincler. Ne cherchez pas dans le dictionnaire, ce n’est pas une erreur non plus. Il m’arrive d’inventer des mots pour me fabriquer une image plus forte, plus parlante aussi. Je me requincle la vie lorsque je me requinque avec, en plus, ce son de grelots au bout du mot qui rajoute de la joie, du plaisir. Mon passé me requincle parce qu’il rajoute un tintement, un petit bonheur au souvenir qui m’accompagne aujourd’hui. Celui qui ferme les yeux sur son passé, ou qui le porte encore comme un calvaire, ne connaîtra jamais le plaisir de ces mots.

2 Comments

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