De la douleur au plaisir…

Par les temps qui courent, l’ennemi public numéro un est la banalisation de la violence. Les médias nous instillent quotidiennement l’anticorps de la sensibilité pour la neutraliser et nous accoutumer aux morts violentes sous les coups tordus de la barbarie.
Presque un vaccin pour s’habituer à l’horreur, de sorte que plus personne ne tremble devant des corps criblés de balles et autres dislocations sympathiques qui faisaient détourner un regard et parfois vomir. Cela va rentrer dans les mœurs, d’ailleurs ceux qui « condamnaient avec la plus grande fermeté », ceux qui criaient « plus jamais ça » savent que leur révolte de salon ne sert plus à rien.
Les mots de bonne intention sont pur bavardage face à cette réalité. Alors, les autorités préviennent : « il faudra s’habituer à vivre ainsi ». Nous y sommes.

De manière syncrétique*, sans chercher à analyser quoi que ce soit, je me rendais compte combien il est difficile de faire changer des comportements inadaptés face à des faits pourtant faciles à identifier. Même l’évidence devient casse-tête par refus ou incapacité à comprendre les situations. Combien d’enfants sont passés par les salles de rééducation à cause des travers des autres ? Des enfants plongés dans la difficulté de s’adapter parce que des apprentis sorciers qui s’ignorent ont tout faux. Et ces cliniciens de fortune qui travaillent au cas par cas en oubliant la démarche systémique, ne font qu’ajouter de la confusion à la confusion.
Je me souviens d’un gamin normalement intelligent, tiraillé de tous côtés par l’incapacité parentale à gérer son statut d’enfant unique. L’Ecole, en institution bien intentionnée, s’évertuait à consolider ses connaissances fondamentales alors qu’il avait besoin de respirer. Au lieu de l’oxygéner, on l’étouffait davantage en le gavant d’approches scolaires hors de propos. Et quand devant l’échec prévisible, une autre institution que l’on dit spécialisée criait « Euréka, nous avons trouvé la solution ! Nous allons envoyer l’enfant en colonies de vacances ! » en expliquant à la maman que cela soulagerait tout le monde… Que penser ? Certes cela pouvait avoir son petit effet de surprise sans résoudre le fond du problème car c’était la mère qu’il fallait envoyer en colonie de vacances et non l’enfant. Une mère embourbée dans les non-dits de son histoire et qui avait oublié de mûrir. En colonie, elle aurait pu découvrir le frisson, la liberté, peut-être le libertinage et tant d’autres repères qui lui faisaient défaut pour être passée du statut d’enfant à celui d’adulte coincée dans les bras d’un homme qui n’avait rien digéré non plus.
Cela semble compliqué et pourtant tout cela saute aux yeux. Souvent, ces problèmes que l’on dit « d’élevage » sont escamotés car incompris, puis masqués par des pseudos prises en charge pédagogiques dévoyées. Certes, la mise en lumière est longue à établir, souvent difficile à révéler, trop souvent incomprise. De l’impuissance générée par l’incompétence insoupçonnée…

Tout cela n’est que souffrance. J’ai eu ma part de douleur car lorsque vous êtes lucide au pays des aveugles, la lumière peut s’avérer trop vive. Alors, on préfère retourner dans l’ombre.
Je pense avoir donné mon quota d’inutilité, me voici parti à la recherche du temps. Le temps complice qui vous veut du bien et vous emporte avec sa douce musique.
Il sait très bien jouer du pipeau pour vous raconter des histoires. Parfois flûte droite ou traversière, fifre ou galoubet pour accompagner le tambourin, flageolet aussi ou sifflet, il nous les joue toutes sur le mode musical que l’on veut le plus agréable à nos oreilles.

J’ai choisi le mode Boléro. Du doux, du lent en attendant le rude et le rapide. Le crescendo lucide pour aller plus haut.
J’aime voir venir le temps qui nous parle lorsqu’il devient météorologique. Il sait nous tremper avec la pluie, nous sécher avec le vent. Il sait faire frissonner, trembloter avec la brise, écheveler, ébouriffer avec le mistral, piquer, cingler avec la bise. Il sait tout dire et tout cacher. Alors, je file à la découverte des choses de la vie.

Je peux rester une heure devant un buisson sans bouger à guetter l’araignée tapie dans son antre, elle attend aussi. J’ignore si elle me voit, sans doute. On se voit, on ne s’ignore pas… La communication, je l’établis à ma manière, à ma guise, comme il me plait.
Sur le grand bouquet de persil devenu géant la deuxième année pour offrir son inflorescence toute en ombelles accueillantes à un monde souvent ignoré, ça grouille de vie. Je suis patient, j’attends le lepture porte-cœur, le clairon des abeilles, la coccinelle en quête de pucerons. Ça fourmille dans la canopée persillée, il y a même l’araignée courge tapie sous une ombelle en attendant que son piège envoie le signal d’une proie… Je regarde vivre ce monde mystérieux, cherchant à comprendre quelques petites énigmes…

Cultiver son jardin, c’est cultiver le positif, la partie qui sourit et s’élève vers le ciel en sachant que tout ne dépend pas que de soi. Un lot de surprises qu’il faudra retourner en sa faveur comme un point de repère pour aller chercher le pendant sur l’autre versant.

Cultiver le plaisir, c’est promener la caresse sur les pentes d’un volcan. Savoir qu’il y a, non loin, à portée de main, un feu qui couve. Un long voyage avec le Boléro, des doigts qui ne savent plus ce qu’ils font et le font bien, pourtant. Le souffle chaud, le front humide, les joues qui câlinent, les lèvres qui cherchent sans trop savoir où aller, qui vont et viennent puis pincent ou suçotent s’attardent sur un frémissement. On sent la lave annonciatrice d’un cratère si proche, prêt à libérer toute sa braise. Le nez fouine alors, dénichant une forte odeur de chaleur humide. Et puis le menton remonte vers l’autre visage pour que les corps coïncident, se fondent puis se confondent. Une explosion couvait et n’attendait plus que la phase plateau pour que les deux volcans éclatent en même temps. Puis revient le calme, les laves se mêlent et coulent sur des parois encore chaudes… le repos s’amorce en attendant la prochaine éruption.

Le plaisir c’est simple comme l’amour. L’amour des choses simples. Le plaisir c’est comprendre que l’on est bien peu de choses, des riens mais des petits riens qui peuvent vous mener au petit bonheur d’un moment. Des instants plaisants qu’il faut apprendre à cueillir même sans être hédoniste.

Je suis un épicurien, je veux dire que je cherche mes plaisirs dans les petits riens. J’aimerais bien garder quelque lucidité avant le grand départ, regarder mes proches dans les yeux, leur dire combien je les ai aimés et dans mon dernier souffle leur avouer : « A partir de maintenant, je ne sais plus rien, plus rien, rien ! »

Ils savent déjà que mon mot d’outre-tombe, que l’on dit épitaphe, sera : « Je suis venu, j’ai vu et je n’ai rien compris mais que ma vie fut belle !  J’aurais aimé faire encore un tour, non pour comprendre mais pour le plaisir ! Hélas, nous ne possédons qu’un simple aller sans retour…»

*Syncrétisme = Système de perception globale et confuse des différents éléments qui se présentent à vous. Une vision qui s’impose d’emblée sans aucune analyse.

Lepture porte-cœur.
Clairon des abeilles.
Araignée courge.
Pas si courge que ça ! 😉

Image en titre : Photo prise par la vitre d’une voiture qui file… Voyage.

2 Comments

  1. C’est vraiment bien Simon ce que tu écris ici avec et sans retenue.
    Je dis « bien » parce que c’est une grande marque de confiance à qui te lira.
    Je dis bien parce que je n’aurais pas dit mieux.

    1. Cher Gaëtan, il m’arrive parfois, avant de retourner à mes préoccupations plus terre à terre, de crier mon impuissance de toujours.
      Qu’ai-je fait ? Et pourtant j’ai fait ce que j’ai pu, et au bout du compte, je réalise que ce n’était que coup par coup sans grande portée finalement.
      Je ne sais plus, je ne sais pas… alors, je retourne à mes chers petits riens qui me procurent plaisir, au moins d’un moment… Je crois que je m’en tire bien de la sorte. Je souris, je me sens bien, et même si inutile, que la vie fut belle ! 🙂
      Je vais retrouver l’histoire de « l’oison » la revisiter avec un autre éclairage…
      Comme tu as l’habitude de me dire… Bien à toi.

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