Récit à lire avec distance pour en apprécier l’humour 😉
Certains lecteurs ont souri à l’évocation de ma vie chez ma tante.
Je vais leur faire plaisir en élargissant le récit de mon passage chez elle durant ma préadolescence et mon adolescence.
Comme un paradoxe, nous avons vécu une grande complicité à travers une guerre larvée qui provoquait pas mal de fous rires, surtout les dernières années passées ensemble.
Je m’éloignais de sa dévotion, inexorablement.
Nous nous tirions la bourre très souvent.
Je l’asticotais pour la faire enrager, elle me chassait comme on combat Satan, me faisait les cornes en même temps que les gros yeux, m’assimilait au diable, je devais me méfier de ses coups de canne.
Elle n’aimait pas lorsque je la tarabustais sur ses croyances, elle se montrait très menaçante mais finissait toujours par éclater de rire. Au fond elle m’aimait bien et je passais sans doute avant son Dieu.
Elle avait tout un autre temps à lui consacrer.
Elle se plaignait de n’avoir jamais eu de diplômes dans sa famille, elle comptait bien sur moi pour être le premier à lui porter cette satisfaction.
Je me souviens d’un hiver particulièrement rigoureux, la neige était abondante et comme nous vivions à la sortie du village, elle ne pouvait se rendre à l’église pour y exercer sa mission quotidienne auprès du divin.
Elle avait toujours son chapelet dans la poche et l’égrenait avec une dextérité acquise au fil du temps en allant livrer les télégrammes à domicile. Elle parcourait le village avec sa main fourrée dans la poche pour réciter son passage à chaque grain du chapelet.
Marie la bien nommée, malgré le froid légendaire d’une église, aurait bien dormi derrière le tabernacle pour être présente le matin à l’office, si on lui avait suggéré de le faire. Je suis sûr qu’elle m’aurait entraîné avec elle, les premières années seulement, car j’étais accro à toutes les messes aussi.
En ce mois de février très neigeux, nous étions condamnés à rester chez nous à la sortie du village, un peu éloignés des autres maisons.
Elle avait installé un napperon sur la cheminée, avec lumignons, bougies et crucifix bien disposés comme sur l’autel de l’église. Elle avait même posé son chapelet au bout de la cheminée afin qu’il pende à l’écart du feu. Le souffle venu de l’âtre le faisait osciller, la petite croix semblait prendre un peu de vie.
L’autel installé, elle était bien décidée à me faire célébrer la messe pour montrer à Dieu qu’il n’était pas oublié. Elle espérait être entendue pour que neige cesse et qu’elle puisse se rendre dans le clocher dont elle était la sonneuse attitrée.
Avec un torchon blanc, lavé à la cendre et au savon de Marseille, posé sur mes épaules en guise de chasuble, une écharpe pour étole, j’étais prêt pour mon premier office. Cela faisait tellement vrai que tante s’était prostrée juste à côté, le regard admiratif devant mes gestes calculés de jeune curé. Pris tous les deux à cette dévotion tombée du ciel, nous étions littéralement transmutés dans un lieu saint, une sorte de chapelle montée à la hâte mais qui avait toute sa crédibilité.
D’un large geste adressé à la cheminée devenue autel pour la circonstance, après un lent et ample battement d’ailes, je joignais mes mains au-dessus de ma tête et me lançais dans une messe dite à la perfection. Un psittacisme digne du plus brillant des perroquets… et en latin, rendez-vous compte ! Je portais l’hostie avec ostentation au-dessus de mon crâne sans tonsure, même sans le corps du Christ entre mes doigts, on le devinait facilement.
Tante psalmodiait dans son coin et ponctuait mes fins de phrases par des « Amen » bien adressés puisqu’elle en avait l’habitude.
Une sorte de transe nous avait gagnés, nous étions dans le mime parfait d’un office. Il me manquait le lutrin et l’évangile du jour, qu’importe nous avions la foi infuse en ce moment béni sans que nous sachions comment cela nous était tombé dessus.
Je m’étais fait acteur pour lui servir plaisir comme d’autres montent sur les planches pour jouer Molière.
Marie était soulagée, elle n’avait point manqué la messe du jour.
Elle me regardait avec des yeux de paradis et disait « Ô u me prituciu ! Ti faremu preti, u primu di a famida ! » (Oh mon petit curé ! Nous te ferons curé, le premier de la famille !)
C’est ce jour là qu’elle promit de m’acheter une robe de bure pour me faire moine dans un premier temps.
Je ne connus jamais de prieuré, ni couvent, ni abbaye sauf, peut-être, en allant visiter les capuchons de moines au cloître du jardin.
Cette communion ne dura pas longtemps, notre guéguerre entre croire et savoir, la bataille du penser par soi-même, allait bientôt commencer.
Ce fut une taquinerie pour le rire et la chamaille, des joutes pacifiques qui conduisaient tout droit à l’amour familial. Ce n’était rien d’autre que cela.
Photo en titre : Marie est assise sur le mur. C’est une très vieille carte postale sensée représenter les femmes corses.
Psittacisme = le fait de répéter sans comprendre ce que l’on dit. (Psittacidés = perroquets)
Beaucoup d’humour et aussi beaucoup d’amour sur cette page, vous aviez une complicité qui dépassait vos …divergences 🙂
Savez-vous qui a pris la photo en haut?
J’ai encore omis de cliquer sur « réponse ».
Bonjour Al,
Non, je l’ai eue par le net lorsqu’on cherchait à savoir qui étaient ces personnes du village.
Elle date du milieu du siècle dernier, c’était probablement un photographe ajaccien (?) facilement identifiable par ceux qui ont la carte postale.
Ange ou Toussaint Tomasi probablement..
Aucune idée.
Vous êtes sans doute mieux informée que moi 🙂
Que de tendresse !
🙂
tendresse de ces échanges avunculaires ! et le souvenir de la messe en latin qui remonte en moi…. Élevée dans des écoles religieuses je la connaissais par cœur ainsi que les chants grégoriens qui l’accompagnaient…
Quoi qu’il en soit Marie était une belle femme si l’on se rapporte à vos photos !
🙂
Petites précisions au sujet de la photo en titre :j’avais trouvé sur un site de vente de cartes postales anciennes qu’elle datait des années 1950 puisque celle en vente était oblitérée en 1952 et était éditée par Decherchi à Sartene. La photo a été reprise dans les années 6O et rééditée par « La Cigogne ». J’ai été surpris de l’ancienneté de ce document.
Bonne journée.
Merci JP pour tes précisions.
Bonne journée 🙂