C’était bien avant la Covid, la gestion d’un cas Alzheimer.
Retour sur un regard.
C’était la fin de l’été 2016.
« Celui qui n’intègre pas la notion de temps a sans doute rencontré Dieu ».
SD
Depuis la dernière visite à ma mère réduite à la solitude absolue, coupée du monde des êtres et de la nature, rien n’avait changé.
De longs jours s’égrenaient dans le même enfermement avec des moments insoutenables sans que nous sachions si elle nous reconnaissait ou regardait simplement dans notre direction, attirée par un stimulus visuel.
Nous n’en savions rien.
Pire encore, au fil des jours qui passaient, vidés de leur substance, nous étions déroutés, parfois avec la désagréable impression d’en savoir moins en quittant l’hôpital qu’en y arrivant.
On repartait avec le doute perturbant et surtout la certitude de ne rien comprendre à ce qui se passe.
Puis, je me souviens du jour, c’est encore d’actualité…
L’information va mal. Si on ne demande rien on n’a rien. On nous connait, on nous sourit et on passe. Les médecins venant du privé ne sont pas visibles et les infirmières semblent gênées de devoir nous informer avec des banalités que nous connaissons déjà. Elles gèrent l’humanitaire, rassurent leur monde avec plus ou moins de bonheur.
Un matin, on nous annonce que cela va plutôt mieux, que maman retournera dans sa maison de retraite, quelques heures après, cela ne va plus. Le médecin qui ne l’a pas revue depuis deux jours souhaite la diriger vers un autre hôpital où les moyens sont plus importants. Pourtant nous avions bien détecté une aggravation en arrivant… comme nous sommes des profanes en la matière, on nous rassure. Des informations fluctuantes dues à sa condition, mais beaucoup de cafouillage transparait dans la transmission de l’état réel de santé. C’est ainsi.
Si l’on fait abstraction du bruit des travaux, la nature environnante dort en silence. Seul le vent imprime un léger mouvement au maquis qui semble avoir été tondu par un coiffeur paysagiste. Une végétation, presque à égale hauteur partout, communique une sorte d’uniformité paisible. Peut-être au pied des buissons, une petite faune s’affaire-t-elle et mène une vie invisible d’ici comme une masse inerte au souffle intérieur caché.
Dans la chambre, c’est le même calme hors les moments de plaintes qui s’échappent d’un corps fatigué, qui n’en peut plus de puiser profondément sa respiration. Un cœur anarchique bat comme il peut, joue une partition arythmique et maintient malgré tout la vie.
Les yeux s’ouvrent par moments et fixent une ombre qui passe. On ne sait plus si la moindre conscience existe au fond de ce regard, égaré le reste du temps. Alors, on veut bien le croire car c’est plus arrangeant, plus convenable, plus humain.
Par expérience, oui ! nous dit-on. Mais l’expérience qui émane d’une persuasion presque métaphysique n’assure aucune conviction, aucun savoir, aucune certitude. Une expérience unilatérale qui ne reçoit rien de l’autre versant s’appelle un ressenti, une compréhension orientée pour rassurer, une interprétation subjective.
J’avais remarqué ce vide dans les yeux.
Le sourire s’était évadé. Les ridules autour des mirettes, les pattes d’oies qui expriment une émotion avaient perdu leur âme. Ni joie, ni peine, seule la douleur semblait transparaître par moments, sur des injonctions du corps.
Perdue dans le lointain lorsqu’elle était seule dans sa chambre, le moindre mouvement, une intrusion impromptue la faisait réagir par réflexe.
J’étais en visite, ses yeux se tournaient vers moi et du plus profond d’une mémoire archaïque cherchaient à savoir qui j’étais.
« Cherchaient à savoir » ? Me semble abusif, j’imagine seulement.
Son regard était mû comme des caméras de surveillance par un mécanisme sensible au mouvement encore actif. Elle imprimait des images sans pouvoir les interpréter.
Sa vision était-elle encore opérationnelle ? Comprenait-elle les images fixées sur sa rétine ?
On a pris l’habitude de dire que ce sont des moments de lucidité. On l’affirme avec certitude.
Ce n’est pas raisonnable, personne n’en sait rien, ce sont des mots qui rassurent.
Face aux silences de la nature, dans et hors sa chambre, je ne savais plus quoi penser.
J’étais perdu entre silences et mots qui rassurent.
Je ne suis pas quelqu’un qu’on rassure, je sais que le temps arrête son voyage un jour et vous lâche la main. Il poursuit son chemin, insouciant, et joue inlassablement à « je te prends et je te quitte ».
Le jeu de la vie est jeu d’un temps, pas très longtemps…
Cinq ans bientôt, voyez comme il file vite !
Le voilà là-bas au bout du chemin, j’imagine…
Alors, je danse !
Dans ce pays des risettes, où débouchant au coin d’un couloir, sortant d’un ascenseur, refermant la porte d’une chambre, on ne reçoit que sourires dont on se demande s’ils sont de courtoisie ou spontanés…
Je ne cesserai d’y penser même si le temps ne dit plus rien.
Le petit plus :

La covid est encore bien vide…
Terribles moments où l’on se sent tellement impuissants…
Vos ciels illustrent tellement bien ce que sont nos vies, parfois.
J’oubliais nos zhiboux malicieux, ne l’écoutez pas il est dans un jour de pessimisme. Les vaccins protègent moins bien les personnes âgées comme c’est le cas aussi de la grippe, mais protègent quand même et pour les masques, ce sont ceux qu’on lave, de deuxième catégorie qui sont visés, donc les zhiboux, on arrête de s’inquiéter 😉
Les Zhiboux n’affirment rien, ils citent les occasions qui surgissent chaque jour pour alimenter la controverse.
Le « serait » en témoigne.
Ils visent les éternels ronchons 😉
C’est ainsi qu’ils interprètent mon silence ; aux affaires, tout sachant ne ferait pas mieux que les autres…
Au fond nous sommes du même avis mais il faut toujours que je cherche circonvolutions pour le dire 🙂
Que se passe-t’il dans cette anti-chambre qui sépare deux états ? Cet espace où il semblerait que nous ne sommes plus, tout en étant pas encore.
Légers sont les animaux qui ne se posent pas ce genre de question quand leur heure est là. Encore que…
Bonne journée.
Parce que le doute, les exclamations, les interrogations, l’écriture… sont des affaires d’humains…
Bonne journée Dominique 🙂