Le bout… vers le bout du bout.

Ce blog aurait pu s’intituler « Les choses de ma vie ».
C’est ce que je connais le mieux.

Il s’agit du sauvetage, un autre, d’un texte écrit en 2015 alors que je déclinais, victime d’une coxarthrose invalidante. Opéré en 2017, j’ai retrouvé toute ma mobilité, aujourd’hui je gambade encore, j’ai retrouvé la vie. Voici la vision pessimiste que j’avais en ce jour de décembre 2015, seul au col de Bavella, le nez dans le ciel.

Moins de 24 heures après l’opération, je repartais, encore tête basse, à la conquête de la vie.

Ce n’est pas encore le bout du bout mais on y arrive tout doucement. Des signes annonciateurs ne trompent pas.

Finies, les courses folles. Finis, les sprints intempestifs sur de courtes distances pour tester les palpitations, les montées en tension et la respiration accélérée. Hier encore je filais. J’ai joué mon enfance à courir. Tout le temps. Les gens me regardaient fuser comme une flèche. Je saluais au passage d’un geste de la main. S’il y avait du monde sur une place, je me préparais à tracer plus vite encore comme un agoraphobe pressé de traverser l’endroit, s’il était passage obligé.

Une grande timidité me poussait à l’évitement et faisait de moi celui qui file sans jamais s’arrêter. On aurait pu m’affubler d’un nom d’indien, du genre : Flèche Traçante, Cheval Fou, Petit Mustang Affolé ou Tomawak Tourbillonnant. J’aurais bien aimé qu’il en fut ainsi. J’adore ce côté imagé et sauvage qui entretient le doute dans l’esprit des gens. Pourquoi fou, pourquoi affolé ou tourbillonnant ? Allez savoir. C’est ainsi qu’on le devine ou qu’on le croit. Moi, je savais pourquoi.
Tout était intentionnel, calculé. Cela m’évitait d’afficher mon côté fragile. Je n’aurais pas aimé qu’on m’appelât Minois Rougissant, Minot Bredouillant ou Poulain Hésitant. Surtout devant les filles.
Elles m’encourageaient pourtant lorsque je représentais les internes au cross du lycée. C’étaient-elles qui criaient le plus fort me poussant dans mes retranchements. Je donnais tout jusqu’à l’épuisement, jusqu’à vomir les tripes pour gagner ou terminer de manière honorable. Oui, tout ça. Je me suis bien rattrapé depuis. Elles ne sont pas si farouches, si terrifiantes les filles. Si belles à découvrir et si différentes. Dommage de filer sans s’arrêter un instant.

Je ne cours plus. Ces jours-ci, je battais les environs, en quête de crépuscules ou de couchers de soleil. J’ai remarqué que la volonté ne suffit plus. J’ai perdu cette superbe qui faisait de moi un homme cavalant dans la nature. J’ai l’impression de ne plus commander grand-chose, c’est le corps qui imprime mes pas, plus moi. Lorsque le soleil déclinait derrière la montagne jetant ses derniers feux, pour vifs et flamboyants qu’ils étaient, j’y voyais les derniers soubresauts d’un volcan. Mon fidèle appareil à images semblait ne pas y croire cliquetant comme à ses plus beaux jours. Toujours en phase avec mon œil et mon esprit, il ne se lassait pas d’ouvrir et fermer son diaphragme pour emprisonner cette lumière d’un jour qui s’en va laissant la nuit s’installer progressivement. Du rouge, de l’orange, du bleu intense filaient vers la nuit. Un brouillard chargé de particules bistres, sale, grisaillait le paysage comme le ferait un nuage de poussière qui s’échappe d’une mine de charbon. Une grisaille plus anthracite à mesure que tombait l’obscurité. Un rideau mouvant, tantôt opaque tantôt évanescent, jouait à masquer puis dévoiler le fantôme d’un soleil faiblissant. Un jour mourait jetant ses derniers éclairs dans les nuages.
Puis la nuit. Me voilà soudain plongé dans le noir si loin de tout.

Il fait frisquet. Je ferme mon blouson et lève mon regard vers les premières étoiles. Quelques-unes clignotent pendant que les autres se contentent de briller. Les pins maritimes du coin deviennent des fantômes et semblent planer en écartant les bras. Un vol silencieux et furtif annonce le passage d’un rapace nocturne. Sans doute prend-il position sur une branche pour surveiller son monde du soir tombé, à l’affût d’un malheureux campagnol imprudent. Un petit rongeur qui passe sans savoir que ce passage sera son dernier.
La vie me traverse l’esprit. Celle d’ici-bas joue sa partition vers la fin du frisson. Celle incertaine, d’un univers qui palpite d’une myriade de petits cœurs brillants comme des minuscules autres vies. Un nuage silencieux passe pour m’indiquer le sens du vent. La brise chargée d’humidité se fait plus vive, plus pinçante et semble dire : « Il est temps de rentrer chez toi… »

Le froid me gagne. Machinalement, je remonte le col de mon blouson. Mes doigts sont crispés sur mon appareil photo comme s’il était un prolongement du bras. C’est lui qui me délivrera toutes ces visions que j’ai emprisonnées en son sein.

Ce soir, je vais pouvoir rêver. Me replonger dans cette atmosphère froide pour me souvenir de l’inexorable déclin de la vie. Je n’aime pas qu’il me tombe dessus sans prévenir. Je préfère, comme un coucher de soleil, le regarder brûler encore un peu puis s’éteindre progressivement.

Demain sera un autre jour, peut-être. Un lever de plus me rapprochera du bout. Mon pas sera moins alerte mais ma pensée luttera jusqu’au bout du bout que j’attends de pied ferme pour le regarder droit dans les yeux.
Tu auras raison de mon corps mais mon esprit te fera face jusqu’à ma dernière pensée. A moins que ce diable qui efface la mémoire des gens ne vienne se nicher dans ma tête…
S’il vous plait, épargnez-moi cette image et gardez celle d’un homme vivant qui a aimé la vie.

Voici une série de ce soir-là.

Le brouillard poussiéreux.

Ce sont les nuages et le brouillard, modelant ainsi le paysage, le changeant par des jeux de lumière intense, qui traduisaient les sentiments d’un homme isolé, perdu entre ciel et terre, entre jour et nuit hésitants…

J’ai retrouvé la lumière et l’envie de vie gorgée de tous ses contrastes 😉

9 Comments

  1. Pour les photos, cf Baudelaire:
    « Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir »

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