Les fous rires de Mimile.

Rien de mystérieux dans cette histoire, mais je me suis toujours demandé pourquoi Mimile, un monsieur déjà âgé, recherchait ma compagnie.
Il était devenu une sorte de fan toujours heureux de me voir arriver au terrain de boules et les moments que nous passions ensemble, semblaient être des instants de bonheur pour lui.

Nous nous sommes connus en jouant à la pétanque ou plutôt, il me regardait jouer et visiblement mon jeu l’intriguait. Les jours de concours, il ne me quittait pas d’une semelle et si par bonheur mon équipe approchait de la finale, il ne repartait qu’à la tombée de la nuit.
Ma manière de mener le jeu n’était pas celle de tout le monde. Pour beaucoup, j’allais chercher midi à quatorze heures alors que pour moi, midi était bel et bien à sa place, douze heures. Le jeu est tellement plus intéressant lorsqu’il y a une recherche même lorsqu’elle semble extravagante. Je crois que c’est parti de là, intrigué par cette bizarrerie, cette façon très personnelle d’envisager le jeu.

L’homme était sec presque déshydraté. Mimile fumait beaucoup et ses poumons le rappelaient à l’ordre lorsqu’une quinte de toux le secouait un bon moment. Dès qu’il me voyait arriver au coin de la rue Caruel de Saint Martin, il commençait à rire. Un rire qui allait crescendo à mesure que j’avançais vers lui, tel « un boléro à Mimile ».
Plié en deux, presque suffoquant, il me suppliait : « Arrête ! Arrête ! Ne me fais pas rire ! » alors que je n’avais rien fait, ni rien dit encore. Parfois, il était obligé de s’appuyer contre un arbre pour ne pas tomber. Il me montrait du doigt sans pouvoir sortir un mot, toussait de plus belle presque au bord de l’apoplexie. Je restais silencieux pour ne pas aggraver son cas mais mon attitude trop sérieuse produisait toujours l’effet inverse. Je m’approchais de lui, il s’appuyait sur mon épaule, j’attendais qu’il reprenne son souffle.
S’il relevait l’œil et détectait dans mon impassibilité, des efforts pour paraître neutre, – sans doute étais-je comique dans ma sérieuse attitude – il repartait de plus belle.
Il aurait pu y rester ! J’avoue que j’ai été inquiet parfois, tant c’était impressionnant.

Mon expression de visage l’amusait. Il y voyait toujours une malice dans l’œil et me soupçonnait d’emblée de vouloir sortir une vanne dont il raffolait. Il disait : « Je sens que tu vas nous sortir quelque chose… » puis s’étouffait en expectorant profondément. Avec lui c’était toujours le fou-rire assuré avant que je ne pipe mot. Les autres emboîtaient le même fou-rire communicatif et rapidement, une bonne partie de la place se mettait en joie. Certains avaient repéré le manège, me voyant arriver, ils anticipaient et s’approchaient de Mimile pour participer à la fête.

Evidemment, durant le reste de l’après-midi, le calme revenait. Au moment de rentrer chez lui, Mimile n’oubliait jamais de venir me saluer. Je gardais mon sérieux, il n’en fallait pas plus pour qu’il reparte en éclats : « Arrête ! Arrête !… » Il me fichait une dernière tape amicale dans le dos et nous le regardions s’éloigner : « C’est pas possible ! C’est pas possible ! » continuait-il de clamer.

Il était adorable et sans doute avait-il détecté quelque chose. Je n’avais pourtant rien changé de mon comportement habituel… Je me comportais avec lui comme avec les autres. Oh ! Peut-être, sans m’en rendre compte, avais-je pour lui un regard plus attendrissant… Une sorte d’affection particulière.

Je t’aimais bien Mimile tu sais et je pense que c’était réciproque.
Je garde un bon souvenir de tes fous-rires.
Dors sous la terre et dors sous les temps !

Je vais profiter de l’occasion pour vous raconter une anecdote dont la chute revient à mon cher Mimile.

Un jour, les anciens avaient décidé de boycotter un petit concours de pétanque organisé par le club pour ses adhérents exclusivement. Les frondeurs objectaient que les meilleurs étaient avantagés, un argument de choc pour les amateurs de logique pure. Le bruit courait qu’une fronde prenait corps mais rien n’était claironné.
Je me trouvais à la table des inscriptions, un brave pépé, le plus bourru de tous s’était posté à un mètre de moi, adossé à un arbre. Je voyais bien qu’il bouillait en attendant que je dise un mot. Je le regardais en silence sans piper parole, lui adressant un sourire entre deux inscriptions. Son visage rosissait, rougissait devant mon mutisme, prêt à exploser. Nouvelle risette, ne tenant plus, il m’adressa deux nenni très fermes :
– Non ! Non !
– Ah ? Lui dis-je.
– Non, non, je ne m’inscrirai pas ! Na !

Il mourrait d’envie que je sollicite sa participation pour balancer ses doléances. Comme rien ne venait, il a fait son sketch tout seul.
– Mais vous en avez parfaitement le droit monsieur, personne ne vous oblige à jouer.

Il a failli s’étouffer, il venait de rater sa colère contre moi qui n’y étais pour rien.

J’avais l’habitude du comportement des enfants torturés, je l’avais vu venir.
Evidemment, après, je lui ai parlé, on a failli devenir les meilleurs copains du monde…
Mimile, l’avait rassuré à mon adresse ce qui changea radicalement le regard du bonhomme.

Christian Fazzino, image en titre, grand champion, participait à un concours à Porto-Vecchio.
L’ami Pierrot Biancarelli, casquette à la main, m’avait demandé de le photographier avec ses copains.
Jean Claude Benadetti, joueur local, Aullène/Porto-Vecchio : le geste majestueux du pointeur.
On étudie sérieusement la question.
Dylan Rocher, champion actuel, mondialement connu, tirait la langue.

L’ambiance n’est pas celle de notre univers de l’époque, du côté Caruel Saint Martin.
Il s’agit d’un concours à Porto-Vecchio.
Avec Mimile, nous étions dans un coin du Chesnay, beaucoup plus intimiste, il y a plus de trente ans.

5 Comments

  1. C’est mieux de faire rire que pleurer 😉
    J’adore observer les joueurs de pétanque, je n’y connais rien mais on a l’impression que s’ils ratent leur coup, c’est la fin du monde annoncée 🙂

    1. La pétanque n’a pas toujours bonne presse au niveau populaire mais je peux vous assurer que c’est un jeu intéressant s’il est pratiqué intelligemment.
      Tant sur le plan technique que psychologique, j’ai beaucoup aimé ce jeu lorsqu’il était presque mon deuxième métier 🙂

  2. Je l’aime ce Mimile, il me rappelle tant mon papa : grand, sec, toussant au-delà du possible. Il s’appelait Emile et les potes l’appelaient Mimile…….. et tant qu’il a pu marcher seul dans la rue, son grand bonheur était ses escapades au boulodrome du bout de la rue, sous les yeux de la Bonne Mère, où il retrouvait les habitués. Quand avec maman nous revenions des commissions, mon plaisir était de scruter à travers le grillage pour repérer mon papa !!! Un pan d’enfance que j’avais oublié…….. Merci Simonu

    1. Content pour vous que ce miroir vous ait renvoyé l’image de votre père.
      J’ai toujours une hésitation à publier des histoires anciennes que certains appellent vieilleries.
      Voilà une occasion de penser le contraire, c’est un boomerang heureux 🙂

      1. je suis née en 50, un demi siècle fabuleux !!! j’adore ces « vieilleries » qui sont des petits bouts de bonheur 🙂

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