C’est une histoire amusante née de la banalité des choses de la vie mais une histoire qui nourrit grandement la réflexion.
D’un rien, j’en ai fait une barbe-à-papa.
Lors de mes jours de présence dans une école particulière, une maîtresse cherchait ma compagnie lorsqu’elle était de service à la récréation.
Je prenais pause aussi pour promener mon cerveau, lui donner un peu de repos.
L’institutrice trouvait une sorte sérénité à converser avec moi, disait-elle, des pas perdus jusqu’à en oublier la surveillance que je lui rappelais de temps en temps afin qu’elle ne se perdît dans une sorte de béatitude apaisante.
Très vite, j’ai compris que la jeune enseignante, encore en rodage, cherchait à se rassurer sur son enseignement.
C’était une bonne chose mais point ne fallait se torturer l’esprit pour si peu*.
Elle en verra d’autres, plus sérieuses, dans sa carrière.
Un jour, elle me parla de son souci du moment : un enfant l’inquiétait en confondant le b et le d.
Elle s’en faisait une montagne en m’assurant que rien n’y faisait, ses explications restaient vaines malgré ses tentatives assidues de boule en bas à gauche ou boule en bas à droite.
Bref elle semblait en souffrir aussi, d’autant, assurait-elle, que l’enfant était parfaitement intelligent et bon élève par ailleurs.
Dans le but de la rassurer et d’éclairer son problème, nous avons demandé à l’enfant de venir me voir dans ma salle pour une petite conversation.
Ce qu’il accepta facilement, les enfants me connaissaient, ma présence dans l’école était régulière…
Ce n’était pas une prise en charge en bonne et due forme, juste un contact qui ne devait pas s’éterniser.
Très rapidement, j’ai constaté que l’enfant était empêtré dans une latéralité non stabilisée.
Généralement les enfants de son âge ont une latéralité bien installée, soit uniforme, soit croisée.
On a pris l’habitude de dire que si l’œil droit, la main droite, le pied droit dominent, la latéralité est bien installée à droite. C’est l’inverse pour les vrais gauchers.
Si c’est œil gauche, main droite et pied droit ou tout autre figure mélangée, on la dit croisée.
Pour lui c’était plutôt fluctuant, aucune stabilité n’était encore arrêtée.
Dans ces cas là, j’évitais de les alerter sur le sujet car souvent cela complique les choses et les embrouille davantage.
C’est ainsi que boule en bas, à droite ou à gauche, de la maîtresse, ne faisait que le troubler.
Il me vint une idée soudaine.
Je lui demandai s’il voulait bien venir me voir une deuxième fois, en précisant que j’avais une idée pour son petit problème.
Sur un papier Canson j’avais dessiné une énorme punaise dont la pointe était dirigée vers la gauche (sans lui dire, c’est pour que vous compreniez).
Dans un bout de carton, j’avais découpé un grand b qui devenait un d en le tournant.
A la séance suivante, je lui ai proposé ma stratégie amusante pour régler son problème très rapidement.
Je lui ai expliqué le fonctionnement du b qui est une bilabiale explosive.
Avec une vraie punaise, je lui ai montré comment on la faisait exploser en suivant le sens de l’écriture. Geste à l’appui, le ventre de la lettre rencontre la pointe de la punaise et explose.
Il pouvait avoir ses bi, ba, bo, bru, bla… en explosant gaiement.
En tournant le b, il devenait d et donc, c’est le dos qui rencontrait la pointe, pas d’explosion.
Le d n’est pas une explosive…
Bref vous avez compris l’essentiel et l’enfant plus que l’essentiel.
Ces trucs-là sont toujours plus longs et plus difficile à expliquer qu’à pratiquer.
C’est à ce moment que j’ai sorti mon Canson pour lui expliquer le même fonctionnement.
L’affiche a été fixée tout en haut au-dessus du tableau dans sa classe.
Avec son b réversible en poche, il s’exerçait en silence.
L’objectif était d’enlever l’affiche à la demande de l’enfant une fois le système intégré dans son esprit.
L’affaire fut rondement menée en deux petites séances de dix minutes.
La suite, c’était son affaire.
Je savais par expérience, qu’avec certains enfants mieux vaut faire fonctionner l’imaginaire (punaise/explosion) avec d’autres les explications classiques suffisent.
A chacun sa particularité.
Je n’ai utilisé ce système qu’une fois dans toute ma carrière mais j’ai gardé l’histoire dans ma mémoire, cela dépasse les trente ans.
Je pratiquais quasiment du « sur mesure » pour chaque cas.
J’ai une foultitude d’idées endormies dans mes affaires, c’est une mine. Bien souvent, on me dit que c’est trop de travail et qu’il faut avoir l’esprit solide pour s’accrocher.
C’était le cas pour ma charmante stagiaire vahiné, mais elle, je la comprenais.
Elle portait le soleil sur son visage et c’est la seule stagiaire qui m’a avoué sa souffrance…
A Tahiti, c’est cool, mais cool, Simonu 🙂
Comment vouliez-vous troubler cette onde douce ?
Avec la résolution rapide de son problème, la maîtresse en resta baba, elle ne savait pas que les trouvailles c’était mon dada 😉

La lettre réversible, l’enfant l’avait sur lui, seule la punaise figurait sur l’affiche.
A lui de décider du moment de se séparer des supports visuels.
Ne me dites pas que vous avez souffert ! C’est ça les choses de la vie !
Contrairement à ce que pensent certaines personnes, je ne me prends pas la tête, c’est une seconde nature.
Le jour où j’arrêterai cette respiration, le bout du chemin sera tout proche 😉
*J’ai indiqué « pour si peu » car ce genre de problème se règle spontanément avec le temps, bien souvent. Il ne perdure que parce qu’on s’en inquiète et qu’on le renforce dans l’esprit des enfants.
Bien sûr, il faut veiller…
Et voilà comment avec Simonu, un gros problème peut se transformer en sourire 😉
Bravo!
Alors, voici un deuxième sourire 🙂
Merci Al.