Foxy.

A quoi tiennent les choses de la vie.

Foxy, c’était son sobriquet vous vous en doutez, était professeur de lettres au lycée de Sartène. Il arrivait du continent et n’était pas très apprécié des élèves. Souvent paniqué à l’idée d’entrer dans notre classe, il se tenait à carreau devant certains élèves qui lui avaient pris le dessus.
Il a dû souffrir en silence car jamais, il ne se plaignait. Il composait et se taisait.

J’arrivais de mon village au sortir de la troisième. Mon professeur m’avait fait le compliment suivant en quittant le collège : « Tu ne seras jamais bon en français. » Je ne lui en ai jamais voulu, il avait raison à ce moment, quant à prédire l’avenir mieux vaut s’abstenir.
Lecteur tardif, dégrossi à l’âge de douze ans, j’ai traîné mes fautes et ma lecture laborieuse toute ma vie, je peux le dire aujourd’hui.
Malgré ces deux boulets sur mon chemin de croix, je n’ai jamais souffert, ce fut ma chance. Non pas un coup de fouet qui fait avancer, rien de tout ça, mais un long fleuve tranquille, vraiment un long fleuve tranquille avec beaucoup d’eau alors que je ne sais toujours pas nager. Ah ! Ah ! C’est comme ça !

Quand je suis arrivé en seconde, j’ai rencontré Rabelais et Montaigne . Ces deux-là ont su me parler. Je tiens d’eux l’épicurisme et le doute. J’ai été contaminé en les lisant péniblement en diagonale. Ils m’ont autorisé à dire des choses, des choses simples, ce que j’ai laborieusement comprises de leur philosophie. Un mode de vie tout droit dicté par ces deux lurons, l’un avec Ponocrates* et l’autre avec sa « tête bien faite plutôt que bien pleine ».
A l’écrit, je parvenais à exprimer mes idées, je ne sais comment, je composais avec mon bagage limité.
Foxy, m’avait repéré et me comprenait. Mes copies étaient bien notées.

A l’oral, notre prof avait pris l’habitude de consacrer une demi-heure à chaque élève pour s’exprimer. Durant ce temps nous devenions profs aussi. Nous devions lire un texte puis le commenter avant que le reste de la classe s’exprime à son tour pour prolonger les idées ou argumenter autrement. J’étais de nature très réservée, bien plus, j’étais inhibé. Sa manière de procéder me paraissait du meilleur aloi mais s’avérait inopérante dans mon cas. Je ne pipais mot. Rien ne sortait de ma bouche, je restais désespérément muet lorsque c’était mon tour : lecture balbutiante et aucun commentaire. Il était désolé et ne savait plus comment me prendre. J’aurais presque pu le consoler tant j’étais conscient de sa difficulté à me sortir de cette impasse. Il n’était pas psychologue non plus pour lire dans mes tréfonds. Mais dieu que cette expérience m’a servi durant ma carrière d’enseignant !

Ma demi-heure se passait couci-couça, cahin-caha, aucun agacement ne sortait de son humeur. A la fin du cours, il me gardait pour essayer de comprendre : « Vous êtes bon à l’écrit pourquoi vous ne parlez pas ? » Je ne savais pas quoi lui répondre et je restais muet jusqu’à ce qu’il me dise : « Bon, je vous mets dix (sur vingt), la moyenne car je sais que vous pouvez plus. Vous parlerez la prochaine fois ? » Ce fut ainsi toute l’année avec lui.

Je n’ai jamais parlé, non pas que l’omerta fut de mise dans mon cas mais parce que je n’en sais rien. Chargé de timidité et de honte ancestrale, issu d’un milieu inculte – chez ces gens-là, on se tait – j’étais incapable de sortir un mot alors que mon esprit bouillonnait et que j’emmagasinais plein de connaissances. J’étais plus à l’aise et plus disert en maths et en sciences physiques ou naturelles.

Cet homme a fait son boulot dans des conditions qui n’étaient pas faciles, souvent chahuté, il tenait bon, sans jamais réagir car il devinait le chaos.

Je me souviens de lui, de sa bienveillance et avec le recul du temps, de sa lucidité. Il avait le visage « goupilien », un nez bien avancé et pointu  pour rappeler le renard qui lui a valu le surnom de Foxy. C’était un homme aussi et nous n’étions que des adolescents pleins de sarcasmes, occupés à passer une étape difficile de notre vie.

Aujourd’hui, je glapis, je suis un goupil, je suis Foxy.

* PONOCRATES (EN GREC DUR À LA FATIGUE), LE TROISÈME PRÉCEPTEUR DE GARGANTUA EST UN JEUNE SAVANT. IL ACCOMPAGNE GARGANTUA ET EUDÉMON SON ÉLÈVE À PARIS POUR Y ÉTUDIER. IL EST UN PÉDAGOGUE MODERNE QUI REPREND EN MAIN LE JEUNE GARGANTUA APRÈS LES MÉFAITS DE L’ÉDUCATION INFLIGÉE PAR TUBAL HOLOPHERNE ET JOBELIN BRIDÉ.

Les deux images n’ont rien à voir avec le texte, c’est juste pour le plaisir.

3 Comments

  1. Je comprends mieux maintenant pourquoi Rabelais et Montaigne, un texte à rattacher au dernier, en fait.
    Vous n’avez jamais pu vraiment communiquer avec ce prof et pourtant vous vous étiez fort bien compris tous les deux. Qui sait si un jour il n’a pas raconté votre histoire, un jour, peut-être pas sur le net, mais dans un carnet, comme le faisaient parfois les enseignants autrefois…
    Merci pour les photos et les couleurs qui réchauffent par ce temps très frais 🙂

    1. C’est fort possible, mais plus intrigué par l’énigme de mon comportement, que pour avoir percé son secret.
      Un homme discret, attentif et pourtant chahuté, il a souffert sans rien dire…
      Bonne après midi.

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