Vous le connaissez maintenant, il était surnommé Siki et rêvait d’être boxeur.
Cet homme analphabète épatait les touristes avec son âne Roland sur le trajet qui menait à la décharge municipale. A la seule vue d’un étranger, son sens de la comédie se mettait en action attirant instantanément l’attention des visiteurs. Il lisait le journal à l’envers attablé à la terrasse « Chez Vescu ». Parfois, il s’intéressait à la gazette locale par-dessus l’épaule de son ami Alphonse. Il était capable de rester de longues minutes, les sourcils plissés faisant mine d’approfondir un article intrigant. On l’aurait cru. D’ailleurs ceux qui ne savaient pas le pensaient réellement absorbé par sa lecture. Si je le regardais, c’était pour moi qu’il forçait la comédie comme pour dire : « l’ai-je bien jouée ? ».… nous savions, nous ! Il s’amusait ainsi.
Ce qui me surprenait le plus, c’était de l’entendre réclamer le silence absolu pour écouter les infos à la radio. Je savais qu’il ne comprenait pas grand-chose mais pour lui, le moment était sacré. L’oreille collée au poste, il ponctuait par « tu as entendu ? ». En fait, il réagissait chaque fois qu’il entendait le nom de De Gaulle, pour le reste nous attendions un résumé qu’il était bien incapable de faire.
Il vivait beaucoup dans l’apparence. L’apparence saine, je crois, pas dans le paraître. Il voulait se donner une image sympa aux yeux de tous. En réalité, il l’était, mais en plus, il en jouait. Apprécié de ceux qui le connaissaient, il s’attirait la sympathie immédiate de ceux qui le découvraient.
Il a connu son jour de gloire avec sa carte postale, une des premières en couleur. Ce fut une découverte pour lui, un plus…Image pittoresque du balayeur du village avec son âne et son tombereau tagué de « vive De Gaulle ». Hélas, il ne savait pas écrire et n’a pu jouer de la dédicace. Sa signature, une croix, sans le mot eut été trop dérisoire.
Il avait une force comique toute naturelle. La veille de mon mariage, nous étions invités chez un ami de ma femme. Le logement était coquet mais petit pour la douzaine que nous étions. Il avait été installé en bout de table sur une chaise de camping en toile. Sérieux comme un pape, il se tenait à carreau pour ne pas entamer ma « réputation ». Lorsqu’il se décida à participer à la conversation, il proposa une histoire. Son attitude engendra instantanément l’hilarité générale. Il était fier de raconter alors que personne ne comprenait rien, il avait oublié que nous étions les seuls corses autour de cette table. J’avais beau lui rappeler qu’il devait parler en français, le naturel revenait au galop et les rires fusaient, l’encourageant à continuer. Il s’est tellement démené sur sa chaise que la toile craqua et lui, se retrouva sous la table : un clou pour ce spectacle improvisé.
Dans l’après-midi, il s’était distingué autour des chutes de Gairaut. Il tâtait la rambarde en ciment qui imitait le bois. Intrigué par la dureté du matériau, il demanda à son voisin le menuisier, quelle était la nature de ce bois. Il n’en démordit pas, affirmant qu’il avait travaillé en forêt et qu’il s’y connaissait en bois.
Le jour où une équipe de la radio danoise allait tourner un film dans notre maison, il ne tenait plus en place. Le scénario d’une vie ordinaire dans un village de Corse était distribué… mon père, dans sa bulle, ne voyait plus personne, n’attendant que le moment de son intervention. Il était impatient, prêt à jouer la scène bien avant son tour. Une fois libéré, chaque action semblait réaliste, il jouait parfaitement son rôle… le tout en une seule prise. Pas mal !
Lui sur un écran, qui l’eut cru ? Surtout en ce temps-là, 1962.
Il aurait voulu être un artiste… pour pouvoir faire son numéro…Sans aller jusqu’à New-York ou à Rio… Le décor de son village et les touristes spectateurs de passage ont suffi à son cinéma Paradiso…
T’inquiète pas papa, tu étais bien un artiste ! J’ai encore toutes tes scènes sur l’écran de ma mémoire.
Impatient, il attend son tour…
Bien dans son rôle…
C’est parti, il ne voit plus la caméra.
un belle hommage à ton père j’ ai un bon souvenir de lui une petite anedocte ( un jour il pleuvait à torrent qui on voit arriver Siki avec un parasol du Progres pour s’ abriter en nous disant qu’il partait à la plage à Enbrouginu