C’était en 2015.
Il y a un peu plus d’un an, je faisais la connaissance épistolaire avec une personne impliquée dans la recherche pédagogique au Québec. Longtemps, nous avons correspondu sur divers sujets dont les approches pédagogiques et les choses de la vie.
Elle me soumettait des réflexions comme pour engager un jeu de ping-pong. La balle ne cessait de rebondir de l’un à l’autre au rythme de nos renvois. D’abord par touches douces puis le rythme s’accélérait mais aucun de nous deux n’a tenté le smatch ni le revers assassin destiné à marquer un point d’avantage.
Nous avions glissé sur la pensée humaniste sans nous référer aux grands auteurs et sans nous bombarder d’aphorismes prêts à l’emploi. Non par vanité, pour penser par soi même, laissant à d’autres le soin de citer des auteur connus et reconnus, croyant avoir plus d’impact et plus de lettres.
Pourtant j’en suis friand et j’aime en composer, juste pour condenser mes idées. J’ai l’impression d’offrir une friandise bien emballée, si possible, et dont le goût sucré, ou légèrement acidulé, est destiné à la rendre agréable. L’offrande vient de moi, non d’un magasin de prêt à porter et tant mieux si mon costume n’offre qu’une « vérité » toute relative.
Une correspondance fort agréable avec une personne intelligente, vive, très cultivée et d’une humanité spontanée, jamais ostentatoire ni péremptoire.
Hélas, cette rencontre n’a pas résisté à la cruauté de la vie. La personne est décédée à la suite d’une intervention chirurgicale apparemment anodine.
Nous nous étions quittés la veille de l’intervention, elle se disait sereine après avoir reçu mon dernier message qu’elle avouait apaisant, elle me donnait rendez-vous deux jours plus tard pour reprendre nos conversations. Vous savez la suite.
Quelques jours plus tard, je recevais un commentaire dans ce même blog. J’ai répondu par message privé estimant que la réponse devait rester confidentielle. Cette personne qui ne se reconnaîtra plus, commentait un de mes textes en évoquant l’authenticité et se demandait si le côté paisible qui émanait de certains propos pouvait être inné ou acquis, sans doute un peu des deux, disait-elle.
Voilà bien de quoi revenir sur mes pas et essayer de comprendre.
Je porte comme tout un chacun, un certain patrimoine génétique qui va se développer au mieux de ses possibilités, ou non, selon le terreau qui va le nourrir. C’est le schéma le plus simple.
A priori, je n’étais pas plus avantagé ni plus aidé que les enfants que j’ai soutenus dans leurs difficultés scolaires. Probablement ai-je été nourri au bio lorsqu’ils ont poussé dans le frelaté. Si personne ne pouvait m’aider à faire mes devoirs ou au mieux – qui peu paraître un pire – quelqu’un m’aidait à faire des problèmes et des exercices qui s’avéraient être faux en arrivant en classe, je n’en ai pas souffert outre mesure.
Bien au contraire, ce cheminement pervers qui me conduisait à la fausse piste était très utile et très éclairant lorsque le maître ou la maîtresse me remettait sur le droit raisonnement. Quelques fois, j’étais déçu de constater que ma mère m’avait expliqué un problème en suivant un raisonnement douteux mais que faire, sinon admettre que c’est ainsi et qu’il faut chercher à comprendre puis avancer.
Ce démarrage a conditionné toute ma vie, je suis devenu un farouche autodidacte : « Tu as beaucoup à apprendre par toi-même… » Et, sans doute, cela a-t-il conditionné mon penchant pour l’approche scientifique. Je ne crois pas facilement ce qu’on me dit. Je parle bien du croire et non du savoir. Il faut me convaincre en argumentant sérieusement. Cela ne m’empêche pas de faire confiance tout en émettant des réserves.
Le terreau était bio disais-je, il était débarrassé de tout composant inutile. Il fallait combattre pucerons, oïdium, nécrose apicale et compagnie, c’est une image vous vous en doutez. Toutes ces maladies qui gagnent un pied de tomates si vous laissez faire…. Mon environnement était sain, les adultes travaillaient dur tout pour ne gagner que le sou minimal, mais la vie en famille fonctionnait bien. On apprenait les choses simples de la vie, on prenait les mauvais côtés pour ce qu’ils étaient, c’est-à-dire l’autre versant d’une vie. Pour avoir la médaille, il nous fallait l’avers, le revers et la tranche. Tantôt pile, tantôt face et sur la tranche, cette dernière option est plus rare mais elle existe aussi, c’était le coup d’bol. J’en ai connu beaucoup.
Est-ce là l’expression d’un fatalisme ? Bien sûr que non ou alors je me serais arraché les cheveux. La réflexion tranquille arrange beaucoup de choses.
Bof ! Je suis embarqué comme tous et j’y vais allègrement ratissant si possible le meilleur, grappillant quelques pires pour mettre un peu de sel dans la vie. C’est nécessaire dans son sens inévitable. Il faut donc tout prendre en compte le plus naturellement du monde sans se tamponner le cerveau, comme on ne dit jamais 🙂 . C’est une seconde nature, une manière d’être qui ne demande pas d’effort particulier.
Cela va de soi, pour moi…
Je ne me suis jamais plaint de ma condition. Bien au contraire j’ai toujours évoqué ma chance, la chance d’avoir vécu dans un milieu beaucoup démuni et surtout peuplé d’analphabètes. J’ai profité de l’ombre pour passer à la lumière. (Voir « Dans l’ombre, il y a la lumière »)
Je sais que d’autres, dans ma famille, se plaignent tant d’années plus tard, alors qu’il serait temps de comprendre que nos chers ascendants ont fait ce qu’ils ont pu.
Mon père a eu son bac à la maternelle. C’est à ce niveau qu’il a arrêté ses études pour garder les chèvres avec ses parents. Ma tante avec qui j’ai longtemps vécu n’a pas dépassé le même diplôme avant de connaître Dieu et me le présenter. Souvent nous lui rendions visite. J’ai même dit quelques messes en latin à la maison, tant j’étais initié à l’office matinal et dominical. Je procédais presque par écholalie* en répétant ce que disait le curé, sans rien comprendre. La cheminée servait d’autel à la belle saison avec son napperon en dentelle blanche… J’étais promis à la robe de bure, Dieu m’en a préservé, ma tante n’a jamais pu en trouver une.
Il y a moyen de s’en sortir avec le sourire en regardant derrière soi pour taquiner les tirages de langue d’une vie chaotique. C’est un plaisir pour moi.
Alors, chère amie qui ne vous reconnaîtrez plus, vous aviez raison, il y a de l’inné et probablement aussi beaucoup d’acquis, beaucoup d’appris à bon escient… Sinon, comme certains, j’aurais fait naufrage me lamentant sur un radeau de fortune. Mais je présume, seulement. Je n’ai aucune certitude que j’eusse agi ainsi.
Pouf ! Quelle est belle la vie et quelle stupidité de la quitter un jour ! Sauf, bien sûr, lorsqu’on n’a plus les moyens d’en jouir pleinement… Alors, c’est bien de tirer sa révérence.
Tout compte fait, la vie est belle parce qu’elle n’est pas éternelle. C’est l’idée de fin qui remplit une vie…
La personne qui devait se souvenir de ces propos qui ont engagé notre conversation, n’est plus de ce monde non plus. Vous l’avez compris.
Désormais, elle dort sous les temps, chaque pas de notre vie nous y conduit allègrement, andante et farinante dirait le plus optimiste, le plus facétieux – cette dernière option est plus réaliste – d’entre nous 🙂
Claude me répondait dans le blog, simplement, en me citant dans le texte.
J’ai gardé sa réaction et je la pose, à sa place, dans la rubrique « Commentaires ».
C’est comme si je lui rendais visite sur son lieu de repos.


*Le mot écholalie n’est pas employé à bon escient dans ma phrase. Il s’agit d’un trouble du langage qui consiste à répéter tout ou partie d’une phrase. Le plus souvent c’est la fin d’une phrase. Vous avez sans doute rencontré quelqu’un qui répète machinalement la fin de votre propos, il fait de l’écholalie (faire de l’écho). Voilà bien une occasion de sortir un mot !


Zeva
4 Juin 2015 à 13 h 15 min Modifier
« Tout compte fait, la vie est belle parce qu’elle n’est pas éternelle. C’est l’idée de fin qui remplit une vie… »
Billet très émouvant à plus d’un titre.
Vous avez trouvé le secret de la vie: tirer parti du meilleur, le meilleur n’étant pas forcément là où l’on croit, le vrai secret étant de transformer le négatif en positif.
Je suis content de mon sort, si je pouvais avoir un coup d’bol de plus et qu’on m’accorde une rallonge, je prends et je dis merci.
On peut tourner comme on veut, le jour arrivera bien vite (c’est ce que j’appelle « intégrer la notion de temps » associé à mon épitaphe « Je suis venu, j’ai vu et je n’ai rien compris (à propos de sens de la vie), j’aimerais bien refaire un tour, non pour comprendre mais pour le plaisir » (Epitaphe qui va me coûter un bras 😉 )
Hier encore, j’avais dix ans…
Une précision sur Claude (Zeva) qui était prof d’université (biologie).
Lorsque j’ai appris son décès (attendu puisque nous communiquions presque quotidiennement) j’ai écris un billet intitulé « Claude ».
Ses enfants en ont eu connaissance et m’ont demandé l’autorisation de lire lors de ses obsèques, le point de vue d’un inconnu. M’en ont fait commentaire après l’office.
Elle avait projeté de me rencontrer un jour. La vie en a décidé autrement.
Voilà pourquoi, je tiens à réécrire ces textes venus d’un autre blog, en piteux état, sans les images et la police d’écriture torturée.