Un fantôme dans la bibliothèque.

Ce texte fait suite à « Une vie singulière ».

Mon rapport à la lecture fut très douloureux durant tout le cycle secondaire de la sixième à la troisième. Mon expérience la plus marquante fut celle de ma première année et voici pourquoi.

Le professeur de français, très soucieux de nous sensibiliser à la lecture, c’était une excellente idée car nous n’étions pas des fous du roman, avait instauré un rituel implacable. Chaque fin de semaine, nous devions parcourir la bibliothèque à la recherche d’un livre alléchant. Nous devions faire connaissance avec les bouquins, en les tournant dans tous les sens afin de trouver un point d’amour.
L’illustration, le résumé en quatrième de couverture, jusqu’à en apprécier le souffle produit sur notre visage par le défilement des pages que l’on actionnait avec le pouce, vous voyez comment nous procédions. Ce serait étonnant que vous ne visualisiez pas cette action devenue incontournable, non pour faire le choix d’un livre, mais par amusement. Parfois, ce souffle véhiculait une odeur particulière qui faisait basculer notre préférence. C’était magique un livre qui fait du vent avant de dévoiler le courant d’air qui pouvait exister à la lecture.
Là, j’exagère, je m’amuse.

Je suivais donc le mouvement en faisant semblant d’apprécier ce passage par la bibliothèque. J’étais plus préoccupé de savoir comment j’allais faire avec pareille aventure. La lecture était pour moi une réelle aventure, à la découverte des belles choses cachées dans les pages. Il fallait que je trouve une solution pour échapper au calvaire du lecteur ne sachant pas lire. Je n’allais tout de même pas le crier sur les toits, je souffrais suffisamment en secret et rajouter la souffrance des sarcasmes eut été aveu de masochisme…

Mon premier livre, pioché au hasard, en faisant croire que c’était un choix mûri après avoir tâté moult ouvrages, j’avais prévu de le faire lire par ma mère qui m’en ferait le résumé ensuite.
Le prof avait bien pensé l’affaire, nous avions à tenir un cahier de bibliothèque. La première page séparée en deux devait présenter le titre illustré de la plus belle des manières par nos soins, et amorcer la biographie de l’auteur en quelques mots bien significatifs de sa vie. Sur la deuxième page, toujours séparée en deux, nous devions inscrire quelques mots difficiles rencontrés à la lecture, assortis de leur définition. Sur la deuxième partie, on affichait deux ou trois phrases que nous estimions belles, précédées d’un titre de notre cru. Enfin, sur la troisième page, nous devions livrer notre résumé de l’histoire. Il faut avouer que c’était une sacrée trouvaille, cette rencontre avec le livre.

Maman était une des rares de la famille à savoir lire. En revanche ses talents littéraires s’arrêtaient à « Nous deux », un feuilleton qu’elle adorait et qui passait d’une famille à l’autre, nous n’avions pas les moyens d’un abonnement. Elle avait obtenu son certificat d’étude un peu in extremis comme c’était courant à la campagne pour ne pas noyer tout le monde. C’est l’oral qui la sauva. On lui demanda, pour sonder son niveau de vocabulaire, comment on disait pour décrire une tasse « cassée sans être totalement cassée ». Elle avoua qu’elle connaissait le nom en corse mais pas en français. Allez ! On lui fit une fleur, elle répondit « sfilata ! ». Bravo ! Vous avez obtenu votre diplôme ! Elle en était très fière, on venait de lui épargner « ébréchée » , « sfilata » signifie « fêlée ».

Mère se mit donc à la lecture du roman que j’avais choisi. Cela faisait une bonne expérience pour elle, allait-elle se mettre aux bouquins à son tour ?

Sa lecture fut laborieuse, elle me l’avoua avant de m’en donner résumé à sa manière, sans doute très approximatif que j’allais encore résumer pour en exprimer un concentré à ma façon. Vous imaginez facilement que le prof fut très surpris par ma version qu’il trouva très éloignée de l’histoire racontée. Il insista pour savoir si j’avais réellement lu, je lui confirmais que si. Il me répondit « Alors tu n’as rien compris ! » Eh ben voilà, c’est ça, je n’avais rien compris !  
A partir du livre suivant, je demandais à mes amis le titre de leur lecture précédente, je choisissais le même ouvrage et résumais leur résumé.

Voilà pourquoi au sortir de la troisième, mon prof me gratifia d’un : « Tu ne seras jamais un foudre de guerre en français ! »
Il avait raison à ce moment de ma scolarité et a changé d’avis en apprenant mon parcours. Il en était même admiratif et je lui dois une fière chandelle, voyez comme je n’ai rien oublié.
Si j’avais pu le suivre au bon moment, peut-être aurais-je obtenu une chaire à l’université, allez savoir… 😉

Et pour le reste, me demanderez-vous, comment ai-je fait ?

Le reste c’était très simple, l’illustration du titre c’était fastoche, la biographie affaire de dico, peu de lecture. Pour les mots difficiles, j’ouvrais le livre au hasard et je tombais facilement sur un vocable peu courant en survolant la page.
Pour les phrases, pareil, je piquais au hasard, c’était tout de même un minimum, j’étais devenu un fin limier pour débusquer cela sans m’infliger grande lecture…

Une deuxième anecdote, universitaire cette fois-ci.
Je ne suivais plus les cours de sociologie depuis longtemps et je devais subir – c’est le mot – un devoir sur table obligatoire. Le prof nommé Matarasso, spécialiste d’Auguste Comte, venait de Paris pour nous livrer ses cours à Nice. J’ignorais totalement sa spécialité pour avoir séché tous ses cours, je n’entendais rien dans le groupe, c’est la raison de mes absences, je me « faisais tout seul »… Le sujet proposait un extrait de livre sans indication d’auteur. La citation était courte et m’inspirait, je me suis embarqué en compagnie de Gaston Bachelard, autre philosophe dont j’avais bien intégré les cours de philo en terminale.
En sortant de la salle, les étudiants comparaient leurs idées et furent très surpris d’apprendre mon interprétation :  « Comment ? Il s’agissait d’Auguste Comte, ça va pas la tête ! ». J’ai filé sans attendre mon reste.
Quinze jours plus tard, je suis retourné pour récupérer ma copie et connaître ma note. La distribution commentée se poursuivait tranquillement et toujours pas de Simonu.
Je commençais à baliser comme on dit et je me demandais à quels qualificatifs j’allais être torturé…
Ma copie sortit la dernière :
« Voilà une rédaction intéressante. Je ne me suis pas ennuyé à relire mes cours, ce fut une agréable surprise, vous avez réussi le tour de force de ne jamais prononcer le nom de l’auteur. Bravo ! C’était un angle possible »
J’avais obtenu la meilleur note, je suis parti en sautillant comme un cabri. Certains, certaines surtout, ont bien essayé de savoir le contenu de ma copie, j’aurais pu parader, j’ai filé pour savourer ce que je considérais comme une victoire.
Evidemment, je n’ai pas avoué que c’était un coup d’bol, que j’avais boudé tous les cours traitant du positivisme selon Auguste Comte…

Enfin une troisième anecdote.
Lorsque j’ai suivi ma formation à l’Ecole Normale de Versailles, j’avais deux mois pour envisager la démission. Certains abandonnaient devant les difficultés… Je suivais un cours de psychanalyse depuis un mois et à ce moment, le prof, une femme, j’ai toujours eu le secours des femmes, nous annonça une bibliographie incontournable et très répulsive pour moi. Il y avait de quoi construire une maison à étage avec tous ces ouvrages proposés. J’ai failli m’évanouir sur le champ de bataille, c’était terminé pour moi.
A la fin du cours, j’ai demandé un entretien pour expliquer le problème et pour annoncer mon intention de démissionner. La dame soupira : « Mon pauvre, ne faites pas ça vous êtes le seul à animer mes cours, ne dites rien à personne, on s’arrangera tous les deux… «  A l’issue de la formation, elle avait inscrit en commentaire : « Un homme d’une authenticité remarquable » J’étais fier comme un pinson… des arbres.

Allez une dernière, je crois que ça vaut le coup.
Lors de l’épreuve de législation quelqu’un devait prier pour moi. Nous avions des pavés à lire. Une lecture fastidieuse, un bachotage impossible pour un être normal. Je me disais que le moment venu, il suffisait de chercher la référence, inutile de s’emplir le crâne de lois, il n’y aurait plus assez de place pour les choses agréables…
Donc, je m’apprêtais à passer un sale moment. L’idée était géniale, le sujet nous proposait d’écrire un article dans un journal local pour sensibiliser les gens à notre métier, tout nouveau métier.
Il y avait matière à dire quelques lois, je n’en connaissais aucune. En outre, on nous avait donné un quart de feuille A4 pour limiter notre rédaction en approchant le format petit article de journal. Je me suis régalé en un quart d’heure et sans brouillon, j’avais décidé de mettre l’eau à la bouche du lecteur en lui promettant article plus précis, à venir. Nous avions droit au recto, verso.
Evidemment j’avais un peu documenté mais sans article de loi qui aurait barbé le lecteur. J’ai eu la meilleure note 18 avec la notation suivante, « Vous avez du style et de l’à-propos, je vous aurais mis 19 si vous n’aviez utilisé un sigle. » Il me restait peu de place, j’ai siglé et la personne avait raison car les gens ignoraient la signification de l’acronyme.
C’était encore une femme, une inspectrice spécialisée, je suis devenu son poulain, elle a guidé mon début de carrière faisant preuve de bienveillance… Elle croyait en moi, la dame avait de la vista…
Tout cela fit partie des choses agréables de mon parcours professionnel, m’offrant la traversée d’une vie tranquille et souriante…

Voilà pourquoi, je suis un homme heureux aujourd’hui, ce fut tout de même un long fleuve tranquille… Avec le recul, effaçant toutes les embûches, je préfère le percevoir ainsi. 

Puisque j’étais gai comme un pinson… des arbres, voici une femelle.
Un mâle. « Tu es encore là, toi ? »
Je lui ai envoyé quelques bouts de pain, il ne m’a plus posé la question, au contraire, il me réclamait 😉
Et les deux, femelle à gauche.
Allez, une dernière.
« Il faut toujours qu’il mange en premier ! » Pensait-elle tristement.

8 Comments

  1. Simonu tricheur! 😉
    Non, c’est bien au-delà de la tricherie, vous êtes malin et c’est l’essentiel surtout que question de tricherie (et sans aucune excuse me concernant) j’en connaissais un bout à l’école 🙂

    1. C’était un auto-sauvetage, c’était ça ou je croulait sous l’impossible.
      Cela fut largement suffisant pour avoir « la belle vie » 🙂
      Ça souffle ferme par ici !

    1. Amusant et agréable votre commentaire ! 🙂
      Merci maître pour la note canon, je ne ferai pas mouche à toutes les fois 😉
      Encore merci et bonne soirée, ici c’est la tempête qui s’en donne à cœur joie…

  2. Magique ,Simon,un peu de détente ,d’humour et de réalité nous font souvent beaucoup de bien§

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