Un substrat pour le bon sens populaire.

Visages de naguère.

Il m’arrive souvent de me replonger dans l’atmosphère du quartier de mon enfance.
Ce n’est plus un scoop, tout lecteur du blog a pu le vérifier souvent.
La Navaggia n’a plus la même allure, dépeuplée et sans âme.
J’aime me souvenir de ce temps qu’il m’a bien plu de vivre.

Navaggia.

Nos parents et grands-parents étaient rompus aux difficultés d’une vie relativement misérable. Ils faisaient face aux impondérables sans trop se lamenter, les lamentations n’avaient aucun impact sur les intempéries qui sévissaient jusque dans nos chaumières.

Le toit crevé, souvent, révisé quasiment tous les ans pour une remise en ordre militaire des rangées de tuiles que le vent avait déplacées pour enquiquiner le monde des démunis. Des tuiles devenues éponges gouttaient sous la pluie et inondaient le grenier. Des bassines placées aux endroits stratégiques récoltaient les gouttes pour éviter l’inondation des lits, les soirs d’averses nourries.
Les fenêtres et les portes disjointes offraient un passage sifflant au vent, pour une intrusion plus forte encore. Des rafales s’engouffraient jusque dans les chambres avec mordant, une froideur mêlée d’humidité glaçante.
Entendre le temps mauvais sans le voir, le deviner à l’abri des couvertures et du pull, gardé en surplus, les pieds bien au chaud contre un vieux fer à repasser qui avait séjourné dans la cendre chaude, emmailloté dans des vieux journaux bien serrés dans une laine usagée, stimulait notre imagination…
A l’abri sous les draps, l’esprit intrépide, n’ayant peur de rien, s’évadait par les persiennes instables, incapables de se tenir tranquilles sur leurs gonds branlants, pour vadrouiller au cœur des intempéries. Il bravait les hallebardes tombées du ciel qui s’abattaient violemment contre le mur de la maison, fracassées par des bourrasques intempestives. Tout mon être frissonnait en écoutant les rafales qui secouaient les fenêtres menaçant de les arracher. L’émotion était à son comble car nous n’étions jamais certains que ces huis tiennent le choc sous les coups de boutoirs.
Mon lit cocon me poussait à frémir avec ces allers/retours de la pensée, entre la chambre et l’extérieur. Tout le corps en parfait complice, tantôt tremblant, tantôt réchauffé, jouait avec les frissons sur commande. Corps et esprit s’amusaient à cultiver les contrastes.
Dans notre misère nous forgions nos richesses. Je faisais l’apprentissage des sensations, j’exaltais les contrastes de la vie pour mieux la jouer, mieux la jouir.

Par tous les temps, beau, maussade ou pluvieux, nous allions sous le petit chêne faire nos besoins en veillant à changer de coin pour éviter l’engorgement. Nous étions planqués sous le talus effondré, dressé presque à la verticale, veiné de racines tortueuses mises à nu. Le roitelet construisait là son château à double issue, une entrée et une sortie de secours qui n’étaient pas visible au premier coup d’œil. On aurait dit que le petit passereau savait que personne ne viendrait l’importuner là, sous peine de s’embourber dans « le porte chance » malodorant.
L’endroit n’était pas trop passant mais il fallait rester sur ses gardes pour conserver un peu de dignité.

Dans un coin sombre de la pièce principale, un robinet élémentaire, un robinet de cimetière sortait d’un mur humide envahi par les moisissures noires. La bassine en fer galvanisé faisait fonction de bac à vaisselle dans la journée et de lavabo pour la toilette, le matin au lever. C’est dans cet endroit sombre où une petite glace murale subissait les outrages de l’humidité ambiante par plaques rouillées, que nous nous ébrouions, les mains jointes en forme de cuvette pour nous frotter le visage…

Une soupe cuisait dans la cheminée, à petits bouillonnements durant des heures.  Pour notre « quatre heures », nous plongions des tranches de pain sec qui en sortaient enrubannés de poireau encore fumant. Un peu de sel, du poivre et une lampée d’huile d’olive prélevée dans une petite jarre, versée à la louche. Une saveur très forte de rance parfois, lorsque l’huile avait séjourné trop longtemps dans la réserve. Le pain à la consistance de baba à la soupe fondait dans la bouche et nous fermions les yeux pour sentir ce goût âpre qui raclait la gorge au passage. Nous avions besoin de cette force de la vieille olive sans laquelle notre pain trempé n’en était pas un. Aujourd’hui encore, alors que je n’en ai plus mangé depuis, je garde ce goût et cette force incomparables. Je suis imprégné de cette vie.

Dans cette atmosphère d’un autre temps, tout ce qui sortait de la bouche de nos anciens, de la maison comme du voisinage, était paroles d’Evangile. Fortes, marquées du bon sens paysan que seule la vie brute est capable d’inventer, de transmettre et de graver.   

Lorsque la voisine venait trop souvent demander l’heure, l’autre voisine qui se trouvait devant la cheminée avec ma grand-mère, exaspérée d’entendre toujours « Quelle heure est-il ? », répondait en écho « Il est l’heure de s’acheter un réveil ».   

Mon grand-père qui aimait bien la chopine ne partait jamais en forêt sans sa bonbonne de vin. Il y passait la semaine hors du foyer et disait à son patron qui le surprenait en train de boire que si ses machines fonctionnaient au mazout, les ouvriers marchaient au vin de Maria Barbara. Et lorsque quelqu’un demandait s’il voulait un café ou un verre de vin, il suggérait un verre de vin en attendant le café.

Angèle, toujours à l’affût d’un bon mot, aimait rappeler que, qui trop embrasse manque le train.

Le directeur du collège, nous sachant plus sensibles au corse qu’au français, nous prévenait de la punition en s’écriant « brandali !» (trépied) pour nous signifier trois heures de retenue.

L’autre voisine qui venait de perdre son mari nous déclarait sa tristesse en racontant qu’elle avait eu pour lui « le coup de poudre ». C’est tout de même mieux que de se faire cramer ! Prenez un coup de poudre en plein visage et vous n’y verrez que du bleu ou des étoiles… moins percutant que l’éclair mais non moins envoutant.

Marco qui regardait sa sœur tâter toutes les figues pour en trouver une convenable, à croquer sur le champ, disait : « Continue comme ça, ce soir elles seront toutes mûres ».

Les veillées de morts étaient l’occasion de trouvailles irrésistibles pour rompre la tristesse et l’ennui. Yvonne se penchant vers sa voisine, le regard braqué sur un homme qui venait de s’assoupir offrant à la vue de tous son oreille plus grande que l’autre, lui chuchote : « Avec son pavillon on peut faire un fromage de tête ». Fou rire instantané, irrépressible et contamination garantie.

Enfin pour terminer avec ces petits mots inventés sur le champ, la même personne disait sans rire, en apprenant qu’un défunt venait d’être placé dans une fosse pleine d’eau à cause des pluies diluviennes des jours précédents, en attendant la décrue pour être recouvert : « Tiens, ils l’ont mis à tremper comme la morue jusqu’à demain ».

Allez deux de plus…

Zi Donu qui se lamentait d’une année à pucerons dans ses haricots restait dubitatif et se demandait s’il allait pouvoir sauver les tuteurs… Un homme hautement réputé pour son humour pince sans rire.

Mon père analphabète et Francis l’ingénieur chimiste, installaient leur orchestre de bassines et casseroles pour un concert endiablé prévu pour dix-sept heures. Tout le hit-parade de l’époque y passait et la prestation s’achevait sur « La tantina de Burgos ». Olé !

Le temps était propice à l’humour et l’humour était roi…

J’ignore si je me suis trompé en affichant en titre « bon sens populaire » plutôt que « bons mots populaires », je crois bien que l’autre ne va pas sans l’un. Et si vous avez souri, c’est déjà une bonne chose… pour une fois ne chipotons pas sur le sens des mots.

Il y avait la vie…

Sur l’image en titre de gauche à droite, on devine César et son père Antoine Marenghi, Marco dit « u Longu », avec son chapeau.

4 Comments

  1. C’est vrai qu’enfant et un peu plus encore, ce que disaient les anciens avait force de vérité et emportait la conviction si ce n’était pas toujours obéissance.
    Vrai encore que si les temps étaient rudes particulièrement pour les miséreux, ceux là d’entre eux qui avaient la chance d’être intégrés à un groupe restreint, famille, quartier, atelier y trouvaient une forme de solidarité matérielle que nos institution sociales de sécurité, de retraite, de santé peinent de plus en plus à apporter. Je n’évoque pas la chaleur des apports affectifs, même emprunts de la pudeur la plus grande, qui eux, n’ont pas été remplacés.
    A te relire

  2. Je plussoie le joli commentaire de Gaëtan Calme en ajoutant que plus que sourire, j’ai franchement rigolé, le coup de la morue et du pâté de tête un jour de deuil sont irrésistibles.
    Bonne soirée Simonu, et merci pour ce moment.

    1. Bien, bien Alma, j’en connais beaucoup, on aurait dit que je captais tout.
      Sans aucune prétention, je pense être le seul de ma génération à en connaître des dizaines voire plus.
      J’ai tant absorbé ces moments de plaisir…

      1. Il fallait bien cet humour dans des conditions de vie si dures, mais quand même, ils avaient du mérite d’avoir le courage de rigoler malgré tout.

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