A cionciula.

Aujourd’hui, je radotais, c’est ainsi que l’on qualifie les dires des vieux…

En fait, de radotage, je disais la vie d’avant avec ceux qui chantent cette même vie d’avant sans en connaitre le moindre recoin.
C’est beau, certes, mais les derniers anciens existent toujours et ont encore des choses à évoquer avant que tout ce passé ne s’efface.

Je disais donc : Avez vous connu « a cionciula » ?
Evidemment non, je m’en doutais.

A cionciula était un saucisson confectionné dans la partie basse du colon du porc. Une enveloppe naturelle, en plastique aujourd’hui, une capote plus prosaïquement.
U minuci cularinu, disait-on.
C ‘était le saucisson le plus gros et le plus large de tous les saucissons. Le plus long à sécher aussi, celui que l’on entamait le plus tard possible, souvent réservé aux « oncles et tantes d’Amérique » qui rentraient au village, l’été venu.
C’étaient eux, arrivés du continent, qui profitaient de ce délice dont nous n’avions jamais la primeur. Grand-mère disait : « Quissu hè pà quidi qui vinarani stà statina ! » (Celui-là est pour ceux qui viendront cet été !)
Des tranches épaisses dont les parents estivants se délectaient, sans se douter que cela leur était réservé et sans savoir que pour nous, c’était « tintin », pas touche avant leur arrivée.
A cionciula, nous la goûtions lorsqu’il y avait présomption de malfaçon. L’intérieur creux et avarié, tout marron. On disait « a presu l’aria » (elle a pris de l’air). Cela signifiait que la farce n’avait pas été assez tassée et que l’air non chassé avait dégradé le saucisson. Nous mangions le produit altéré en fermant les yeux pour se donner l’illusion de ne rien perdre.

Je crois sincèrement que tous ces parents, revenus d’ailleurs avec quelques cadeaux à faire rêver l’indigène, ne se rendaient pas compte de tous les sacrifices endurés pour leur faire plaisir. Un cochon à nourrir durant de longs mois et un hiver à confectionner la charcuterie en pensant à eux.

Je les appelais « Ces oncles et tantes d’Amérique », des parents bien sympathiques mais souvent déconnectés du vivre ici, pensant que nous avions la belle vie alors qu’ils trimaient, délocalisés, pour mériter leur nouvelle condition.

Ces parents qui nous cajolaient pour mieux nous dire leur déchirement d’être ailleurs et ne sont jamais revenus vivre ici.

A cionciula ne trompait pas.
Aujourd’hui, c’est normal, plus personne ou presque ne sait que c’est le plus gros saucisson.

Quelle importance, « a cionciula » ?
L’importance de ne pas faire semblant…

4 Comments

  1. Ils n’étaient pas dignes de ce cadeau somptueux. Volià.
    Une amie m’a raconté que pendant des années son père puis son frère se sont acharnés à entretenir une maison délaissée par ceux qui étaient partis sur le continent. Ils ne venaient jamais, même pas en vacances mais tant pis, ils pensaient qu’un jour ils seraient contents de la retrouver intacte, cette vieille maison avec son jardin.
    Et en effet, ils sont revenus, il y a 2 ans environ. La première chose qu’ils ont faite a été de couper le vieux chêne devant la maison où des générations d’enfants de la famille avaient joué et où les parents prenaient le frais en été. Puis ils ont posé une dalle et au milieu un beau parasol rutilant. Que voulez-vous dire?
    Mon amie refuse d’y remettre les pieds, dégoûtée.

  2. Humm….ce devait être bon ! Fait-on toujours ce gros saucisson ? On sent bien votre frustration face à ces cousins venus d’ailleurs…mais privilégiés…. Chez moi, ce n’est qu’un morceau de sanglier qui reste au congélateur pour régaler les cousins venant du continent !! Moins frustrant, car plus courant ! Beau texte comme d’hab ! Merci …

    1. De plus en plus les charcutiers achètent des boyaux préparés à cet effet. C’est plus commode et interdit de le faire soi-même, je crois.
      Les particuliers doivent sans doute continuer à utiliser toutes les parties du cochon y compris les boyaux que les dames allaient laver à la rivière. Dans ce cas de consommation familiale « a cionciula » doit encore perdurer.
      Il faut bien presser la viande pour ne laisser aucune petite poche d’air, sinon la pièce est perdue. On apportait un soin particulier à ce morceau charcutier.

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