Le lion de Ciniccia.

Parcourir ce blog à sauts et à gambades n’est pas toujours très évident. Aucune continuité, aucune chronologie, aucune logique si ce n’est celle des choses de la vie d’hier et d’aujourd’hui, mêlées, chassées-croisées… J’écris comme les idées me viennent pour le lecteur en vadrouille par ici, ou le villageois qui réclame sa part de souvenirs.
Ce matin, en allant au village, je regardais passer un cycliste. Il m’a fait un geste de la main sans s’arrêter… La silhouette m’était familière. Je me suis replongé dans le passé pour réveiller une atmosphère qui j’espère, décrochera quelques sourires dans nos quartiers.

Ce texte est une reprise (2013). Il évoque certaines figures du foot en Alta Rocca dans les années 60.
C’était un autre temps avec des inconditionnels du foot comme Laurent qui soutenait l’équipe locale contre vents et marées.

Nous avions entre dix-sept et vingt ans.

L’été, au mois d’août surtout, c’était fête non stop dans toute l’Alta Rocca. Chaque village célébrait le saint patronal avec pour point d’orgue le tournoi de foot. Un tournoi annuel incontournable, très attendu durant la saint Laurent dans notre village de Lévie.
Les joueurs très motivés durant cette période, étaient gonflés à bloc la veille de match, fourbissant muscles et moral.
Lorsque le camion de Laurent démarrait avec sa fanfare déchaînée en direction de Ciniccia, il entraînait dans son sillage une longue file de voitures, klaxons bloqués pendant que de la benne montait l’hymne lévianais : « les enfants sans soucis, sèmu di Livia et nous voici ». Un camion paré comme un arbre de Noël.
Au passage, le vacarme ambulant encourageait ceux qui parcouraient le trajet à pied, c’était la folie sur la route de San Gavinu. Lévie se vidait de ses habitants qui se dirigeaient vers le stade situé à 2,5 km de l’Insoritu.
Les formations de Quenza avec Paul Orsatti dans les buts qui jouait parfois pieds nus, et celle d’Aullène avec le redoutable Emile Mary à la pointe de l’attaque, étaient les équipes favorites que nous battions rarement. Il nous arrivait de gagner pourtant, pour le plus grand bonheur de tout un village.

Polo, tout droit débarqué de Paris pour les vacances estivales, gardien de l’Union Corse de la capitale, était surmotivé, bien décidé à défendre chèrement sa cage. On pénétrait sur la pelouse, à l’ancienne, chaque équipe déboulait d’un angle opposé pour gagner le centre du terrain en diagonale. Dans le rond central, Polo avait l’habitude de boxer le ballon de bas en haut pour effectuer une chandelle bien aérienne et bien verticale comme on l’aurait fait d’un coup de pied. C’était sa manière d’impressionner l’adversaire et marquer son territoire.
Epoque des Sylvain, César, Antoine, Noël, Alex de Zirubia… difficile de tous les citer.

Dans les camps adverses, outre le « Chat de Quenza » futur gardien du Sporting de Bastia, nous redoutions les frères Rossi dont l’aîné était professionnel à Aix en Provence et tout le renfort venu de Porto-Vecchio. Les infatigables Muzy et Marchetti entre autres.
Aullène n’était pas en reste avec, dans les buts, Guillochon l’élastique, Bacciochi en défense centrale, Tomasini arrière gauche à la classe d’un attaquant, les frères Lesi qui composaient une défense difficile à contourner. Les meneurs Benedetti et Lovichi,- ce dernier qui aurait pu jouer en équipe pro est parti trop tôt- distillaient le jeu avec grâce et facilité, pourvoyeurs de choix en caviars pour la foudre Emile Mari. Emile avait inventé les papinades bien avant Jean Pierre Papin avec ses reprises acrobatiques, dans toutes les positions même les plus improbables. Bicyclettes, reprises de haute volée, il mettait la tête là où les autres n’osaient mettre leur pied… c’était la terreur des surfaces.
Un temps béni pour le football. Nos finales équilibrées s’achevaient parfois très tard après prolongations durant lesquelles les corners étaient comptabilisés en cas de nouvelle égalité au score. Avec la fatigue et la rage de gagner, le moment des prolongations présentait une pesanteur presque dramatique, le moindre corner concédé était synonyme de défaite.
Parfois la victoire se jouait à pile ou face au centre du terrain si l’égalité était parfaite à la fin de la partie. Autour du stade, un silence de mort, l’émotion était à son comble en attendant le verdict de la pièce.

Lorsque Lévie jouait la finale de son tournoi, les rues du village étaient désertes pendant la rencontre. Si la victoire venait au bout des crampons, un vaste carnaval envahissait la Sorba, rue centrale. Les véhicules, klaxons bloqués et maillots au vent, n’en finissaient plus de célébrer le trophée, sillonnant l’artère principale, un très long moment.… La fête ne s’achevait qu’au petit matin lorsque tout ce monde était épuisé par une nuit largement déraisonnable durant le bal sur la Piazzona.   

C’est dans cette atmosphère que le « Lion de Ciniccia » évoluait. Il savait la tâche difficile, fourbissait moral et physique bien avant le jour de match.

S’il avait été indien, on aurait pu le surnommer « Taureau Fulminant » tant il était fumant et chaud bouillant les jours de matches du tournoi de la saint Laurent.

Défenseur de caractère, il se montrait intraitable sur son côté gauche. Mieux valait l’avoir dans son équipe que l’affronter dans le camp adverse. Infatigable, le mollet tendu comme un ressort, le centre de gravité près du sol, il n’était pas souvent à terre, les quatre fers en l’air. Avec sa hargne et sa rage de vaincre, il motivait tout le bataillon. Il se donnait corps et âme jusqu’à l’épuisement qui ne venait jamais. Sans doute, il aurait pu jouer, à chaque fois, un deuxième match s’il avait fallu recommencer. Il était encore bourré d’énergie à la fin d’une rencontre, lorsqu’il invitait à s’expliquer derrière les buissons, celui qui l’avait titillé trop souvent durant la partie. Il était rude, rageur, parfois excessif dans ses interventions mais toujours loyal. Jamais un coup tordu, jamais de traitrise. Avec lui, chacun savait à quoi s’en tenir. Il rentrait sur un terrain de foot pour la victoire et rien d’autre. On le retrouvait, les jours de défaite, le visage fermé, le regard ailleurs cherchant à comprendre les raisons de l’échec. 

Aujourd’hui, le footballeur est devenu cycliste. Son regard bleu qui rappelle celui de l’Aigle de Tolède* toujours pointé vers les sommets, se porte vers Bavella. Sa détermination est intacte, il passe devant vous presque sans vous voir, perdu dans sa concentration et sa volonté calculée, de vaincre encore. Ce n’est qu’au retour d’une escalade qu’il vous adresse un sourire, dans un rétropédalage, lorsque son défi est accompli.

Alors que les gringalets que nous étions se sont massifiés avec l’âge, lui s’est affiné. Le roc de naguère a désormais la marche légère presque aérienne et l’humeur apaisée.

Est-il besoin de le nommer ? Ceux qui l’ont connu balle au pied, l’ont identifié dès les premières lignes de sa description.

Ave César… ! 

*Ciniccia se trouve à 2,5 km du village de Lévie. Sur ce plateau on y trouve le stade, jadis entouré d’une piste pour chevaux de course. C’est l’ancien hippodrome, aujourd’hui transformé en centre sportif de plein air avec ses courts de tennis, notamment.

*Federico Bahamontes, cycliste espagnol, terminait à cette époque son règne de grimpeur incontestable sur les étapes de montagne du Tour de France.

Equipe de l’Union Corse de Paris, fin des années 60. On reconnait Polo, le gardien, Emile Mari avec le ballon et sylvain debout deuxième en partant de la droite. C’était au Parc des Princes ancienne version.

Photo dans le titre. Voici les noms pour les lévianais qui voudraient savoir.
Debout de gauche à droite :
Un parisien en vacances dont j’ai oublié le nom, Christian qui habitait chez Vescu, Jean Mondoloni de Petretu, Denis de l’Insoritu, Jean André de Peretti et Jacques Dominati dit « pâtes Paul ».

Accroupis, toujours de gauche à droite :
Moi, César Serra, Jean Marenghi, Sylvain mon frère et Toto Mela de Tallà.

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