Ce texte est une reprise que je souhaite mettre en bonne place dans ce blog.
Je le dédie à Almanito qui sans doute va s’amuser à cette lecture.
Il existe des moments bénis dans la vie pour qui sait écouter, et surtout, les débusquer.
La fable qui suit met en scène trois psychologues. Elle relate une rencontre qui a réellement existé malgré son caractère hautement improbable.
C’était à l’occasion d’une demande de mutation. Le clinicien devait quitter son poste quelques mois plus tard, le dépisteur visait la place vacante et s’informait, le systémique se présentait pour effectuer un stage.
Afin de bien comprendre le déroulement de la fable, Les explications qui suivent s’imposent.
Le dépisteur faisait partie de la première génération des psychologues scolaires. Recruté dans l’urgence parmi les instituteurs intéressés par cette nouvelle fonction, il répondait à certains critères de barème, note pédagogique et ancienneté notamment. Sa formation éclair était basée presqu’essentiellement sur la mise en lumière des QI pour identifier les capacités des enfants en difficulté. Généralement, ces psychologues maison estimaient qu’un QI situé autour de 100 (jusqu’à 90) reflétait une intelligence normale. Ce dépistage systématique lui a valu le titre de « dépisteur », de psychologue élémentaire, minimaliste. On le disait « psychologue scolaire ». Une estampille qui n’allait pas plaire à la génération suivante qui tenait à son image universitaire.
Le clinicien, tout droit sorti de la faculté, au cursus plus étoffé, avait une meilleure connaissance de la psychologie individuelle (étude clinique). Souvent formé aux tests projectifs tels que le Rorschach, plus connu sous le nom de test de la tâche d’encre, et « Patte Noire », un cochon dont on devait raconter la vie à partir d’éléments plus ou moins suggérés par le dessin. Patte Noire le cochon est devenu, plus tard, un mouton pour les musulmans. Le test projectif est censé détecter une personnalité, un profil psychologique à l’analyse des réactions et explications qui ressortent du récit. Pour mieux marquer la différence avec le dépisteur qui pratiquait le « Binet Simon* », test d’intelligence de chez nous, le clinicien sortait son WISC* américain, plus performant et moins scolaire.
Le systémique, également de formation universitaire, prônait une approche en réseau de communication impliquant l’environnement de l’enfant. La famille, l’école, l’entourage… rien ne devait être dit à l’un sans la présence de l’autre. Il parlait à la maman en présence de l’enfant et du père voire de la maîtresse afin qu’aucun propos ne soit rapporté de manière déformée. Chaque intervenant entendait les mêmes mots. Comme le clinicien, il n’était pas un enseignant défroqué mais rien n’empêchait un enseignant de reprendre ses études en vue de cette formation.
Voilà le tableau dressé, je pense que vous possédez suffisamment d’éléments pour être en mesure de savourer la rencontre qui suit et qui m’a beaucoup amusé.
Un jour, un psychologue scolaire de campagne s’en alla tenter fortune à la ville. Il fut reçu par son homologue le clinicien qui le toisa avec dédain :
– Que viens-tu faire ici sur mon terrain ?
– Je viens collègue, souffler un peu. J’ai rencontré tellement de QI affreux et minables que je rêve d’en débusquer, ici, des juteux et abordables.
Ce dépisteur de campagne issu de la famille des instituteurs en avait gardé l’empreinte et dans le parler, et dans les idées.
Le clinicien de plus en plus agacé devant tant d’ignorance, reprit :
– Mais, n’avez-vous jamais compris qu’il ne sert à rien de brandir des QI ? Avez-vous passé Patte Noire, déjà ? Un Rorschach ?
– Oh ! non collègue, vous savez, à la campagne, les histoires de cochons et de tâches d’encre… ça ne manque pas.
– Décidément, vous n’avez rien compris à la psychologie… Psychologue scolaire ! Au lieu de mettre votre patient sur le gril pour le sortir QI à point, vous feriez mieux d’apprendre à fouiller ses entrailles pour le remettre sur les rails.
A ces dires, Monsieur System’Hic entra dans la salle. C’était un grand frisé, mince, le derrière aplati par les années d’études. Il avait l’air détaché, calme, calculateur, parfois énigmatique derrière ses fines lunettes métalliques. Il regarda ses faux frères, et d’une voix mystérieuse, il dit :
– Je voudrais parler au psychologue.
– Quel psychologue ? Répondirent les deux autres en chœur.
– QI-je ? S’étonna M. Hic. Je parie que vous êtes deux…
– Ah, non ! Coupa le clinicien. Voici Monsieur Dépist’heure, psychologue capable de fournir un QI à l’heure… et moi, même, psychologue clinicien, spéléologue de l’âme, qui ai d’autres Rors…chats à fouetter.
– Alors, je me présente : Pierre System’Hic, ami de Pierre Philosophale. Je m’intéresse aux systèmes, à l’entourage, et fais fi de l’individu. QI et projections ne sont que déraison à l’égard des relations et réseaux de communications. Comment peut-on, de nos jours, explorer en solo ? Non, c’est trop !
A ces mots, un enfant pénétra dans la salle et dit tout de go :
– Le directeur voudrait parler à Albert Clinichien.
– Tiens, le petit coquin ; il s’est moqué de vous, déclara le dépisteur.
– Sûrement pas, il s’agit d’un lapsus linguae de la plus belle espèce, s’écria le clinicien.
– Je n’en suis pas si sûr, reprit System’Hic, cet enfant ne semble pas apprécier ce rôle d’estafette imposé par les autres. Il a l’impression d’être le chien messager, ou qui apporte…
Pendant ce temps, l’enfant revient dans sa classe :
– M. Clinichien viendra plus tard, monchieur le directeur.
– Il est temps, pencha che dernier, que l’orthophonichte lui enlève che cheveu chur la langue…
Et nos trois compères continuèrent à deviser allègrement, tout en se détestant royalement.
Ah, psychogachis quand tu nous tiens !
Evidemment le contenu de cette fable n’est que pure fiction mais j’en ai tellement entendu ce jour-là et d’autres, que mon imagination n’a fait aucun effort, se laissant guider par le vécu. Les relations entre ces différents intervenants étaient bien à fleurets légèrement mouchetés.
Dans la réalité, le clinicien était une dame qui répondait au téléphone en se présentant de la sorte :
« Je suis Madame E. psychologue scolaire, clinicienne de surcroît. »
Vous comprenez aisément le choix du « clinichien » 😉
*Alfred Binet et Théodore Simon docteurs et psychologues mettent au point une Echelle Métrique de l’Intelligence en 1905. Elle mesure le développement de l’intelligence selon l’âge des enfants en difficulté dans les jeunes classes. Le QI représente les performances d’un enfant au regard d’un échantillonnage de personnes du même âge. (Courbe statistique)
*Le WISC, échelle de l’intelligence de 6 à 16ans et 11mois, est apparu dès les années 30 aux USA pour s’établir en 1949 en milieu scolaire. Il sonde compréhension verbale, raisonnement et perception, mémoire de travail et vitesse de traitement. Constamment révisé, la version 4 sort en 2002 aux USA et en 2005/2006 en Europe.
Dans ce milieu comme dans tous les autres, ce sont toujours ceux qui en savent le moins qui pètent plus haut que leur cul 🙂
Voilà une « fable » vérité édifiante et qui provoque aussi le sourire, comme toujours chez vous 🙂
Merci pour la dédicace, je suis très touchée Simonu.
( j’adore la première photo, mignonne tendre et drôle 😉 )
Je vous l’avais promise mais je ne me souvenais plus sur quel thème.
Heureux que vous soyez touchée, c’est tout ce que j’aime dans la vie, le reste on peut s’en passer.
Je passe aussi et je veux mourir heureux. 🙂
Bonne soirée.