Le pont aux ânes.

Cette expression qui signifie l’incapacité d’accéder à un raisonnement, somme toute clair et accessible, s’applique souvent aux mathématiques.

Comme un âne qui se braque, refusant de traverser un pont, croyant que c’est un obstacle pour lui s’il ne voit l’autre rive. Le pont constitue le problème alors qu’il est la solution pour traverser une rivière. Ainsi des raisonnements, pourtant clairs, présentent un réel barrage pour celui qui se croit incapable de comprendre. On dit que la personne est « à quia », elle n’a rien à répondre à la question.

Cette attitude est finalement assez courante dans le milieu scolaire s’agissant d’enfants persuadés qu’ils ne comprendront jamais un raisonnement mathématique. J’en ai rencontré légion qui se persuadaient ainsi de ce handicap et renforçaient leur idée en faisant la preuve de leur échec patent devant la chose. Il suffit de les regarder agir durant les exercices qui les rebutent. Visiblement, ils « ne fonctionnent plus », ils barricadent l’entendement afin que plus rien ne circule dans leur esprit. Cela s’appelle aussi, en termes plus compréhensibles, un blocage comme un pont levis élevé entre soi et l’extérieur pour empêcher toute circulation des idées.
Le plus difficile dans l’affaire n’est pas tant d’expliquer. L’explication ne sert à rien puisque l’entendement est fermé à double. L’âne se cabre, plantant ses jambes antérieures dans le sol refusant le moindre pas en avant.

Alors comment agir devant pareille attitude ? Ce n’est pas une mince affaire dans la situation d’une classe car la présence des autres, en tant que spectateurs et témoins, constitue un élément renforçant. L’attitude rééducative ou l’approche psychologique est la meilleure solution envisageable. Il sera temps, plus tard, de plonger dans la matière à étudier qui constitue, non pas le vrai problème, mais seulement l’effet déclenchant ou rebutant.

Je vous assure, que si vous réussissez à persuader la personne que c’est sa posture de refus de comprendre qui constitue l’essentiel de son problème, vous aurez parcouru les trois quarts du chemin. Combien de fois n’ai-je entendu : « Ah, c’était ça ! C’est tout ? ». En entendant cela, la preuve est faite qu’il s’agit d’une attitude inadaptée et non d’une incapacité à comprendre. Mais il existe aussi des cas d’inintelligence, frein réel à toute avancée.

Je me souviens d’un enfant joyeux, toujours souriant, toujours partant qui semblait camoufler ses angoisses sous l’apparence d’un être heureux. Sa maîtresse disait, il est bon en français, presque dans toutes les matières, en maths il est en panne. Il ne regimbait pas mais n’avançait point. Je m’étais rendu compte qu’il faisait un blocage avec les nombres et cela paralysait sa logique qui semblait bizarre. J’avais engagé un travail spécifique avec des opérateurs non numériques, sans aucun chiffre, afin de vérifier sa logique intrinsèque. Il s’agissait d’animaux qui entraient dans un bois et en sortaient transformés par une fée. Exemple, il entre un loup, il sort une puce. Il avait devant lui toutes les transformations possibles face aux différentes fées rencontrées. Il était enthousiaste et déclarait avoir tout compris. Alors, sans le prévenir, j’ai tenté des petits nombres, l’enfant avait onze ans, tout de même !
Et voici ma proposition sur une feuille : 3 loups et 2 renards entrent dans le bois et rencontrent la fée Violaine. Qui va sortir du bosquet ? Il fallait donc se référer au tableau de Violaine et opérer les transformations indiquées. Il trépignait sur place, pressé de noter la solution. Je le laisse un instant, il me fait signe, je regarde sa feuille, il avait noté : « Ils vont attaquer », parfaitement orthographié. (La réponse était 3 poux et 2 grenouilles)
Dans ce cas, le pont me semblait effondré, normal qu’il n’ose s’y aventurer.
En le rassurant et avec beaucoup de patience, il tournait tranquillement sur le manège à condition de ne  pas trop le dépayser avec des propositions inédites. Il fallut le rassurer longtemps avec des démarches maintes fois rencontrées pour l’habituer à la réussite et oublier progressivement le pont. Sans le prévenir, le plus naturellement du monde, nous avons abordé des situations nouvelles. Il prenait goût aux exercices nouveaux en m’assurant toujours qu’ils étaient à sa portée.

Ce fut un mystère car par ailleurs, effectivement, il progressait normalement. On ne réussit pas à tous les coups, ce serait trop beau.

Finalement, je n’ai jamais su s’il s’agissait d’un pont aux ânes, l’expression est délicate, il ne faut point trop en jouer.
Nous cherchions le bout du tunnel pour trouver un peu de lumière.
Ces bien belles aventures m’ont beaucoup éclairé sur les choses de la vie… Enfin, je pense !

Mais non ! Qu’est-ce que tu racontes !
Ânon ! ânon ! Arrête !
A paci è a saluta, u restu vidaremmu !
Paix et santé, le reste on verra.

5 Comments

  1. Je me mets à la place de ce petit pour avoir vécu cet embarras face aux mathématiques 😉 Chez moi dès le départ le pont était fêlé (et pas que le pont 😉 ), les chiffres pour moi étant abstraits et ne représentant rien de concret.
    Par contre vos petits ânes sont adorables 🙂

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *