Anecdotes scolaires.

Je publie ce texte après avoir hésité. Je ne suis pas certain d’avoir trouvé le ton qui convenait. je passe outre cette insatisfaction.

Etant donné mon parcours d’enseignant, je peux dire que nous avons eu des maîtres, des maîtresses et des professeurs comme probablement il n’en existe plus. Je ne devrais pas parler ainsi, et pourtant j’ai été au cœur de cette « évolution », les temps changent et la société suit le mouvement. Peut-être aujourd’hui seraient-ils perdus, aussi ?

Je souviens de Mme Serra si douce et attentive qui incarnait le bonheur d’être à l’école maternelle. M. Marcellesi au CM2 qui rassurait mon père alors que je nageais dans un brouillard épais lui demandant un peu de temps et de patience. Siki l’analphabète absolu, avait une confiance totale… Je me souviens de M. de Lanfranchi  au collège qui se démultipliait pour nous pousser vers la lecture, le dessin, le chant, l’écrit, le sport et même la reliure… du grand art. Nous devenions éclectiques. Je me souviens des chants sous le grand pin du groupe scolaire, groupés en direction du Pinettu, nous entonnions « Boung et tchao… ô Isabella bellacina… » ou encore « Hou ! Hou ! Hou ! C’est le vent de chez nous ». Je me souviens des sorties automnales, nous devenions, le temps d’une après-midi,  artistes peintres devant le paysage en mutation… Je me souviens lorsqu’il nous forgeait un moral à toute épreuve pour des conquêtes USEP. Ces sorties qui nous permettaient de voir du pays alors que nous ne connaissions que la Navaggia, l’Olmiccia, l’Insorito ou la Sorba. Cela nous a valu quelques défaites cuisantes notamment contre Porto-Vecchio, une autre planète pour le foot… un terrible 8 à 0, le jour où j’avais été bombardé capitaine. Pierre Paul avait, ce jour-là, les cuisses rouges écrevisse en essayant d’arrêter quelques tirs, alors que d’ordinaire, elles étaient plutôt blanches.  Ces « voyages » renforçaient une amitié naissante en élargissant nos connaissances au-delà de nos quartiers respectifs. Tous ces enseignants de nos jeunes années ont beaucoup compté, tous ont apporté leur compétence, leur envie de nous nous voir réussir. Bien sûr, il y eut des naufrages et j’aurais pu être de ceux-là…

C’est en terminant ma carrière dans l’école du village où j’ai retrouvé Catherine qui me tenait dans ses bras lorsque j’avais 4 ou 5 ans à la maternelle, presque à la même place, que tout m’est revenu en mémoire, d’un seul flot. C’est en voyant Jacques, Antoine, Emmanuelle, Delphine, Stéphane et les autres assis devant moi, dont j’ai connu les parents jeunes que j’ai pensé à l’implication plus forte de nos anciens instituteurs.  Se souvenir de Jacqueline, Domi, Marcel  Bati ou César donnait plus de force encore. J’avais la charge de leurs enfants, c’est ainsi que mes maîtres ont ressurgi. 

Je veux les saluer aujourd’hui car j’ai gardé leur empreinte tout au long de ma carrière en m’efforçant de poursuivre leur mission.

Il y avait aussi dans nos classes, une autre vie nécessaire pour dédramatiser tout ce qui ne marchait pas. Un humour local pas toujours apprécié et pourtant, ceux visés, en parlent encore aujourd’hui : ils sont devenus coutumiers de cette pratique. Je vais en relater quelques passages. Certains se reconnaîtront.

Elle avait horreur des mathématiques et se lamentait de ne pas très bien travailler en classe. Mais heureusement, disait-elle, elle avait la foi. Un jour, faisant les courses pour ses parents, un épicier lui demanda : « Alors MJ, tout va bien en classe ? » «  Que sainte Lucie préserve ma vue et que Dieu me donne la santé… le reste.. » Le lendemain le prof rendait les copies : « Tiens MJ, que Sainte Lucie te préserve la vue et le bon dieu la santé… pour le reste, 4 en maths suffiront à ton bonheur… »

P. ne parvenait pas apprendre la tirade du Cid. Le jour où il se sentit prêt, car l’enseignant lui laissait le temps, un mois, deux mois… le voilà au tableau : « A moi comte, deux mots, me connais-tu bien qui je suis  moi Don-Diègue … ? » « Oui, oui, on te connait assez, tu es le fils de… »  lâcha M. Beretti.

R.R venait de terminer une interrogation écrite sur l’Egypte ancienne, évoquant les pharaons et les offrandes, il notait : « Quand le mort est mort, on lui ouvre le ventre et on lui met des friandises dedans pour qu’il les mange. » Ils sont gavés désormais, ils peuvent dormir tranquilles…

A l’occasion d’une rédaction dont le sujet était : « Au cours d’une promenade vous êtes frappé par le pittoresque du paysage, racontez. » Quelqu’un écrivait : «  En montant à Cacareddu, je montais doucement, doucement… et puis pan ! J’ai reçu un coup derrière la tête. C’était le pittoresque qui était caché derrière le châtaignier… » Et M. Pittoresque a été condamné…

Autre sujet de rédaction, racontez le déroulement d’un jeu : « Ma sœur se balança sur la balançoire… et je la poussa, je la poussa, je la poussa, je la poussa…. à la fin la corde craqua… » « Ouf, il était temps ! Heureusement qu’elle a craqué, sinon tu y serais encore. » Souffla le maître.

A la cantonade pendant l’exercice de calcul mental : « Un litre de vin coûte 2 francs combien font 4 litres » « Chez nous ils ne font pas deux jours… s’écria J.

Un jeune du village venait d’obtenir son certificat de fin d’études. Il se dirigeait  vers nous, peigné de frais et dodelinant de bonheur. J. s’approcha de lui, l’embrassa pour le féliciter puis lui demanda : « Que comptes-tu faire maintenant avec ces diplômes  ? Entrer en médecine ou dans les fusées ? »

Une autre plus ancienne qui s’est perdue dans l’oubli. C’était au CM2 et la classe s’entraînait à faire des additions de nombres décimaux. L’élève qui était au tableau ne semblait pas sûr de lui. Arrivé à la virgule, il hésite puis se décide : « J’abasse la virgule » Il se tourne vers les camarades, quelqu’un lui fait signe que non. Il se ravise, efface la virgule d’un balayage des doigts, regarde le maître et dit « Et puis, je l’abasse pas ». Il semble encore hésiter, le maître lui demande « Alors, qu’est-ce qu’on fait, on l’abasse ou on l’abasse pas ? » en agitant une baguette sous son nez.

J. avait découpé l’image d’un cheval dans son livre d’histoire. Sa mère était en colère… il la rassure : « T’inquiète pas, on va jamais arriver à cette page. »

JP se laissait tirer les oreilles sans broncher dans la cour de récré incarnant le poème d’Aragon : « Et s’il était à refaire, je referais ce chemin. Une voix monte des fers et parle des lendemains ». Fraîchement appris et mis en scène sans aucune recommandation, ce poème témoignait de la force de persuasion de nos maîtres. Jean-Pierre à genou, récitait parfaitement  la « Ballade de celui qui chanta les supplices ». Et les bourreaux mémorisaient le poème en jouissant de leurs tortures.

C’étaient nos moments de vie à l’école, probablement pas les plus difficiles… curieusement, je n’ai retenu que ceux-là. Nos maîtres, nous auraient-ils  inoculé le sens de l’humour ? Sans doute y sont-ils pour beaucoup.

L’école est assurément une belle chose, j’y ai passé mes meilleurs moments. J’y suis rentré vers l’âge de quatre ans pour ne jamais en sortir. Aujourd’hui encore, je tente des montages pédagogiques surgis d’une longue expérience, en espérant que quelque enfant y trouvera son compte.                                                    

Cacareddu est visible en partie, plus à droite que le châtaignier situé le plus à droite… C’est là qu’aurait sévi le pittoresque.

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