Le doigt dans l’œil.

J’aurais pu titrer également : « Du pipeau ! »
Un jour d’avril, un jour de grande oisiveté.

C’était jour ordinaire dans le droit fil des choses de la vie.

J’étais levé à six heures pour aller aux poules.
La rousse en faisait des siennes de très bon matin.
Je ne sais ce qu’il lui a pris, elle a piqué une de ces colères folles, vous ne pouvez imaginer à quel point. Elle n’a pas décoléré tout le temps que je suis resté près du poulailler. Il fallait l’entendre cotcotedéquer comme une hystérique.

Mademoiselle, puisqu’elle est encore toute jeunette, en furie, rouspétait après les autres cocottes.
Elle avait squatté le vieux composteur resté vide et pédalait dans les feuilles sèches de figuier que j’avais fourrées là-dessous pour qu’elles fassent terreau. Elles étaient restées telles que je les avais entreposées comme momifiées et faisaient grand bruit sec sous les pattes gratteuses.
Francesca, ma petite fille, avait baptisé roussette «Friandise », dès son arrivée, il a deux jours.
Friandise ! Je vous assure que ce n’est pas un cadeau, ni du gâteau, quelle coléreuse et quelle prétentieuse ! Il n’y a qu’elle qui existe ! Remarquez qu’elle a été la première à pondre à peine arrivée, n’importe où d’ailleurs, pour marquer son territoire. Elle avait posé son œuf au beau milieu de l’enclos, sans vergogne. Pas encore familiarisée avec l’endroit ou alors ça promet !
Les autres, Neige, la blanche Sussex, les noires Harco qui n’ont pas encore de nom et la Limousine grise perlée jouaient les indifférentes. Elles picoraient à droite, à gauche et faisaient semblant de l’ignorer. Lorsqu’une des noires au cou à reflets irisés s’est aventurée du côté du composteur pour voir ce que trafiquait Friandise, elle a vite compris que la curiosité est un vilain défaut. Elle a reçu une volée de bois vert cacophonique et quelques coups de bec pour lui signifier qu’il vaut mieux s’occuper de ses affaires plutôt que s’intéresser aux occupations des autres. Basta ! J’en ai pris pour mon grade aussi en essayant de la chasser pour éviter qu’elle ponde hors du poulailler. 
« Cotcotcodeco ! » ce qui signifie en langage gallinesque « Je fais ce que je veux ! » m’a-t-elle balancé en pleine face, alors que je me penchais pour voir ce qu’elle terrassait à gratte que je te gratte.

C’est à ce moment, aux premiers rayons de soleil que je vis arriver Louis au bout du sentier. Nous devions boucher les trous du chemin qui mène à ma demeure en creusant dans le talus ou plutôt en récupérant toute la terre qui s’était effondrée.
Nous avons transporté une trentaine de brouettes. Cela tiendra quelques mois et nous recommencerons.

J’avais préparé un ragout original. Du jarret de veau, des olives vertes, du chou, des carottes, des petits pois, de la panzetta et un peu de chorizo pour corser le tout. Et pour donner une touche exotique, je n’ai pas lésiné sur le curry.

En dessert, j’avais trafiqué une sorte de fiadone (œufs, bruccio frais, sucre, zest de citron) arrosé de Grand Marnier cordon rouge.
Je ne vous dis pas le trajet de nos pensées en fin de repas. nous refaisions le monde, plus beau et plus convenable pour les humains. Aujourd’hui comme chaque jour, c’était jour de fête en Aratasquie. Nous avons parlé, nous avons pensé et nous avons mangé comme on l’a toujours fait dans nos chaumières. Personne ne nous a imposé quoi que ce soit. Si Dieu nous avait donné carte blanche pour construire un monde parfait, nous aurions fait pire que lui. On se serait ennuyé ou alors nous aurions installé l’anarchie totale. C’est bien mieux ainsi, il y a le choix des bêtises comme des louables actions

Campà à l’usu di i nosci campagni hè a noscia minera di campà è nimu ci farà cambià !
(Vivre à l’usage de nos campagnes est notre mode de vie et personne ne nous fera changer d’avis !)

Le doigt dans l’œil ? Tamanta strada (le grand chemin) pour ne dire grand-chose !

Monique la québécoise qui m’avait découvert sur Facebook communiquait souvent avec moi, quasiment tous les jours. Je l’entendais rire à travers ses messages, c’était sa seconde nature. Ses mots claquaient et chantaient la joie de vivre. Joyeuse, presque rabelaisienne, gourmande sans doute, j’imaginais son plaisir en m’annonçant « J’adore vos rubriques invitantes ! », nous aurions dit « Vos titres accrocheurs »…

Eh bien voilà, je ne l’ai pas fait exprès, j’ignorais vers quelle aventure me conduirait ce titre qui m’a sonné les cloches.
Parfois, on croit s’embarquer dans une grande affaire, et puis… on se met le doigt dans l’œil.

De l’ordinaire, la vie ordinaire… ou l’art d’écrire pour ne rien dire.
A moins que ce ne soit une manière de calmer une addiction à l’écriture, allez savoir !
C’était donc du pipeau. Parvenus au bout de ce texte certains diront : une imposture 🙂
Quoique ! Si vous réfléchissez un chouia, il y a de quoi gratter un peu de philosovie à défaut de philosophie…
Gratter ? Un métier de géline, quoi !
Je vous souhaite une bonne journée. 🙂

La plus noire des Harco.
La plus claire des Harco.
La Sussex s’interroge : Giroflée, on dirait ?
La grise perlée cherche des pépites.
La basse-cour.
Au temps des giroflées.


3 Comments

  1. Ha ha ha! J’attendais de savoir ce que Friandise avait découvert, comme en philo, beaucoup de questions mais jamais de réponse 😉
    Vos poules sont superbes!

    1. Comment perdre son temps en racontant des fariboles.
      J’avais une idée en tête et puis je l’ai larguée en cours de route, j’ai changé de chemin, je flânais à ma guise mais il y a un grand fond de vrai.
      Bonne soirée 🙂

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