A mes anciens élèves.
Les souvenirs évoqués ont été piochés dans des classes différentes et ne correspondent pas tous à la photo affichée.
Vous ne saviez pas.
J’étais revenu quarante ans plus tard dans l’école de mon enfance par le plus grand des hasards.
Il n’y avait aucun poste qui correspondait à ma qualification, alors l’administration m’avait affecté à votre école, mon école, dans mon village natal, sans prendre mon avis.
Vous ne saviez pas, non plus, je n’étais pas un maître d’école…
Vous m’appeliez « maître », je n’étais maître de rien du tout.
Pendant vingt-quatre ans j’ai pratiqué la rééducation individuelle (dyslexie, dysorthographie et dyscalculie) avant d’arriver jusqu’à vous. Cela faisait un bail que je n’avais pas enseigné dans une classe après avoir enseigné les sciences naturelles dans un collège de Vélizy dans les Yvelines.
Vous étiez mes derniers élèves, tant d’années plus tard après les tout premiers écoliers dans une classe.
Vous ne saviez pas, non plus, la première fois que je vous ai vus, je me suis souvenu de vos parents que j’ai connus jeunes. Vos grands-parents aussi.
Je connaissais l’histoire de vos familles et je m’étais juré de donner le meilleur de moi-même pour vous, pour vos aïeux. Je me croyais investi d’une mission.
J’ai passé des nuits blanches pour chercher à comprendre comment certains d’entre vous avaient tant de difficultés scolaires.
J’ai connu les enfants des banlieues parisiennes, vous n’aviez pas les mêmes manques ni les mêmes carences familiales, et pourtant…
Je me suis souvenu de mon enfance, ici, j’étais comme vous. Dans la même galère, pire que vous.
Vous ne saviez pas, j’ai su lire à l’âge de douze ans, plus couramment à l’âge de 14 ans, seulement. Je n’ai connu le livre que très tard, vous aviez tout à portée de main.
Pour vous rassurer, sans trop en dire, j’ai affiché la photo de ma classe lorsque j’étais, ici, au CE1.
Je vous avais avoué qu’à votre âge, j’étais comme vous, pas sûr de moi du tout, timide, un peu triste… ».

Vous aviez souri. Vous passiez parfois devant cette photo pour vous attarder un instant comme si vous cherchiez un lien entre hier et aujourd’hui, comme pour vous rassurer… et puis sourire encore.
Vous vous touchiez du coude en me pointant du doigt. Il n’y avait pas meilleure façon de revenir à votre niveau : le maître était un écolier ordinaire, il serait des vôtres aujourd’hui.
Je me souviens de cette fille qui me regardait évoluer dans la classe. Une fille indépendante, très avancée sur le plan scolaire, qui scrutait mon comportement avec les enfants en difficulté puis racontait à sa maman comment je m’y prenais.
Cette autre, plus timide souriait quand je souriais et venait me dire en cachette :
– Maître tu es bien habillé, j’aime bien…
Je répondais :
– C’est pour vous que je le fais.
Parfois, elle me disait que mes yeux riaient lorsque je souriais. Tu te souviens Elsa ? Moi, je m’en souviens très bien.
Ce garçon, plus grand que les autres me tirait par la manche dès l’entrée en classe pour me solliciter : « Fais-moi lire ! » Je savais qu’il fallait que je m’occupe de lui pour le sortir de l’impasse, j’ai fait ce que j’ai pu. Lorsqu’il était en rogne dans la cour et que personne ne parvenait à le calmer, je le conduisais près du mur qui surplombe le cimetière. De cet endroit, on voyait la tombe de ses grands-parents chez qui j’allais souvent prendre le goûter. Je lui racontais mes passages chez eux, il m’écoutait, apaisé, il me promettait de se calmer. Il me regardait et souriait. Parfois un petit rire saccadé et nerveux lui échappait, il était touché, je gagnais sa confiance pour mieux l’aider.
Le petit hésitant qui n’osait pas me parler, brûlait d’impatience. Il s’essayait parfois en tapant le sol du pied devant moi, machinalement, pour attirer mon attention. Il piaffait, et finissait par avouer :
– Tu sais, je voulais te faire un cadeau mais maman n’a pas pouvu (sic), elle n’a plus de sous.
Je souriais et le rassurais.
Cette petite fille magrébine très réservée ne me quittait jamais des yeux, étonnée par mes mimiques. Au début, plutôt très surprise, elle me jaugeait, elle n’avait jamais vu un maître comédien. Un drôle de maître, un maître drôle ça n’existe pas. Rassurée aussi, elle explosait dans un vaste rire, des éclats qui venaient du fond de la gorge, elle s’éclatait dès que je tentais un truc rigolo pour vous faire comprendre une difficulté. Plus jamais elle ne se priva de ce plaisir. Je la regardais, j’étais content de la voir enfin sortie de sa coquille, une réserve qui la rendait presque triste.
Elle n’a pas compris que je jouais pour elle afin de la libérer.
Ce garçon sportif et très scolaire s’inquiétait pour rien et fondait en larmes à la moindre remarque anodine. Un enfant extraordinaire qui soutenait tous ses camarades montrant un altruisme peu commun. Il encourageait les autres alors qu’il craquait devant le plus petit échec.
La bête noire de la classe, comme il en existe partout, essayait bien de garder son originalité avec beaucoup de mal. Il semblait désarçonné lorsque je le prenais à part pour lui parler de sa grand-mère qui habitait la porte à côté lorsque j’étais enfant. Je ne lui parlais pas d’école et il n’osait plus faire le guignol sans pouvoir toujours résister à ses instincts.
Cette petite fille très en avance, avait compris qu’il fallait laisser les autres s’exprimer plus souvent. Elle me regardait, souriait pour que je sache qu’elle avait compris mes interrogations et devinait à mon regard que j’avais saisi son signe. Je veillais, évidemment, à ce qu’elle s’exprime aussi, cela se produisait dans le flux des relations tacites que j’avais installées naturellement entre nous.
De la classe de Tallano, je garde le souvenir marquant de deux filles de CM2 capables d’écrire des pages entières presque sans faute d’orthographe, des textes pleins de sens. L’une d’elles me suivait du regard discrètement pour voir comment je me comportais avec son jeune frère au CE1 dans la même classe, réputé élève difficile en grande difficulté. Je comprenais à son sourire qu’elle était satisfaite de mon comportement. Son frère, également surpris, me fixait derrière ses lunettes, incrédule. Il ressemblait à un lémurien surpris par le flash d’un photographe nocturne… Lui, à la réputation de « je-m’en-foutiste », montrait désormais plus de cœur à l’ouvrage et ne se sentait plus seul.
Une autre petite fille de CE2, également en difficulté, que j’avais installée au premier rang pour mieux la soutenir, me faisait signe de m’approcher puis m’implorait à voix basse :
– Aio maître, mettez-moi un TB, je n’en ai jamais eu ! » (J’ai écrit un texte rien que pour elle, il sera dans mon prochain livre)
J’ai retrouvé au bout de ma carrière le même enthousiasme de mes débuts. Comme Ulysse plein d’usage et raison, je suis revenu sur le terrain de mon enfance boucler la boucle de mon parcours professionnel. Cela s’est fait par un presque hasard. J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie dont vous connaissez désormais les difficultés à travers mes écrits. « Partir, revenir et finir heureux » ferait presque mon épitaphe si je ne l’avais déjà écrite autrement.
Je me souviens de vous tous, c’est encore tout frais dans ma mémoire, 27 ans déjà.
Tant d’années plus tard, je ne suis pas sorti de l’école, je cogite toujours, je cherche encore les pistes oubliées…
Vous étiez formidables.
Personne n’était fort minable
Ce fut formidable
La vie est formidable
J’espère que vous êtes restés formidables…
Vous m’appeliez maître, je n’étais qu’un écolier parmi vous.
A votre hauteur, j’ai essayé de vous comprendre.
J’ai gardé un très bon souvenir de nos jours passés dans l’école de notre village…
Avec un maître pareil, ils ne peuvent qu’être formidables encore aujourd’hui 🙂
Ils ont eu de la chance!
J’ai pourtant galéré. J’écrirai un jour comment on peut galérer avec une grosse expérience .
🙂
Ils ont eu de la chance de vous avoir ça c est sur et j aurais bien aimé avoir un maître comme vous Simon ce ne fus pas le cas
A travers ce récit j arrive à imaginer cette classe dans cette classe avec ces élèves que vous avez si bien décrit.
Merci Hélène, bonne soirée 🙂
Maestru Simonu , les tirer vers le haut….👏👏👏
Patience et travail supplémentaire , mais quelle satisfaction de constater leurs progrès j’imagine ,
Parce qu’on a choisi ce métier pour cela.
Y aller joyeux et non à reculons comme c’est parfois le cas… 🙂