La bêbête qui monte, qui monte et puis qui redescend.

Elle n’en pouvait plus.
Elle avait tout essayé, le maquillage, la jupe courte, le pantalon moulé, les yeux doux, le sourire coquin, le lapsus provoqué… tout, tout, presque tout.

Ce jour-là, elle tentait sa dernière chance, la danse des mains.

Ses doigts graciles, osseux et nerveux pianotaient sur la table, une musique silencieuse qui attirait le regard.
Des pas croisés délicatement, des pointes frappées qui finissaient par produire un petit bruit sec cadencé par des ongles bien taillés et vêtus de noir.
De la sorte, la main montée sur de longues pattes mimait la veuve noire à la morsure redoutable qui semblait en villégiature, totalement inoffensive pour une fois.

Cette occasion fut la bonne.
La bêbête connaissait la géographie d’un corps et se déplaçait savamment, cherchant les endroits sensibles. Elle parcourait les vaux et les monts, s’arrêtait sur une crête pour la titiller, la pincer un instant puis repartait à la recherche d’un creux pour l’occuper d’une pression insistante de l’index faisant des petits ronds, cherchant à frissoler* la peau pour qu’elle produise plus loin un frissonnement qui trahirait un autre espace inexploré, inconnu, plus frisseur* encore.
A enjambées plus prestes, l’araignée se mis à dévaler une pente pour aller faire ses pointes dans la partie désertique cherchant l’oasis où battait un peu de vie.

Cela dura un long moment. Aucune parcelle ne fut oubliée. Lorsque la paume se mettait à plat pour palper ou masser dans un mouvement doux et circulaire, on avait l’impression que la veuve posait son ventre chaud pour préparer une ponte dans un endroit secret.

Elle avait décidé d’explorer seule. On ne voyait que sa main.
C’était son jour pour délivrer totalement son savoir caresser. Un don.
Elle ne demandait rien d’autre.
Donner sans recevoir, cela lui convenait parfaitement pour le moment. Une manière de prendre possession d’un corps pour une autre fois.

Lorsqu’elle se décida à explorer un endroit plus sombre, elle étira le majeur pour le plonger dans l’ombilic puis ses pattes enjambèrent le cratère et se perdirent dans la forêt amazonienne.
Elle découvrit un arbrisseau, enserra son tronc pour le dresser et celui-ci se mit à pousser dans la chaleur équatoriale s’élevant très haut au-dessus de la canopée. Avec une infinie douceur de liane souple, elle réussit une belle symbiose parvenant à extraire le jus d’un fruit exotique qu’elle semblait connaître déjà.

Puis la bêbête s’éleva sur ses grêles guiboles et d’un pas très rapide remonta jusqu’à la joue pour une caresse d’une douceur infinie.
Ce geste câlin censé m’endormir, me tira de mon rêve.
Revenu brusquement à la réalité ce fut évidence, la veuve noire avait disparu.

La bêbête qui monte, qui monte… et puis qui descend s’était enfuie pour regagner sa cachette au fond de l’inconscient.
Le surmoi d’ordinaire si vigilant, ne voyait rien de répréhensible, bien au contraire, il aurait voulu se rendormir…

Entre rêve et réalité, il hésitait encore… On ne dérange pas les veuves noires…

Ce n’est pas une veuve noire ni une malmignatte mais une araignée sauteuse.

*Faire frissoler = faire frémir par un froissement pincé, délicat et insistant. (Mot inventé)

*Frisseur = qui aime frissoler ou être frissolé.

4 Comments

  1. Mais vous savez que vous arriveriez à me la faire aimer, cette veuve qui me terrifie, à force de montrer dans quelle jungle ( immense pour elle ) elle évolue. C’est un récit magnifique, d’une écriture ciselée qui nous tient en haleine jusqu’au bout.

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