Le temps des cigales.

A toi…

Je m’étais allongé pour faire la sieste, les nuages couraient, le vent passait.
La fenêtre était ouverte et les rideaux frémissaient frôlant mon visage pour m’inviter à la rêverie plus qu’au sommeil.
Je regardais le ciel et vagabondais.

Dans le secret…

Alors… Alors, j’avais quarante ans de moins et nous partions sur la route des vacances par les départementales à courir les villages, l’ombre d’une treille pour nous sustenter dans un petit restaurant de campagne, perdu, où nous étions anonymes.
Puis le Rhône, nous longions des champs de hasard.

Des champs de blé ou de maïs lorsque des envies soudaines nous prenaient.
Je sentais chez toi, un mélange de peur et de forts émois. Des frissons anarchiques, des tremblements dans la voix. Le regard fort, le regard perforant qui transperçait le mien, rempli d’envies et inquiet à la fois. La tremblote puissante qui attire comme un aimant et plaque irrésistiblement l’un à l’autre.
Quelle est cette force inquiète qui triomphe toujours ?
Et si nous n’étions pas seuls ?
Et si un homme armé d’une fourche venait nous enfourcher ?
Et si, et si, plein de si qui te faisaient hésiter.
Toutes ces craintes qui décuplent les émotions et rendent les explosions plus atomiques, étaient réunies…

Le fond des choses.

Chez nous, dans notre maquis, nous partions sur les chemins en pleine chaleur aoûtienne.
Une excuse, affronter la chaleur, filer au hasard de rien du tout. Une force encore. Une force qu’on laissait décider, une force vagabonde qui dit « Chut ! suivez-moi et aimez ! »
Tu découvrais le maquis et me suivais partout sans craindre les griffures d’un roncier, les gifles d’une branche d’arbousier tendue sur notre passage comme un ressort puis plaf ! en plein visage. On riait. On baissait la tête et on fonçait vers l’appel de l’inconnu. L’indéfinissable inconnu qui farfouillait nos entrailles.
Nous n’avions pas d’habitudes, nos envies nous conduisaient n’importe où.
« Viens ! Venez ! c’est par là ! » et on suivait sans savoir, mus par l’appel des oliviers, des gros rochers millénaires, imposants, indifférents et toujours silencieux. Bouche cousue, balourds comme des menhirs antiques.
Ils ne trahissaient rien et gardaient nos secrets derrières les mousses et les lichens qui ne pipaient mot non plus.
Seules les cigales stridulaient en pleine chaleur pour nous encourager à faire la fête.
En solo d’abord avant le concert en pleine chaleur, puis marquaient une respiration pour qu’on reprenne notre souffle. Tout était synchronisé en plein accord musical cadencé, un crescendo pour plaisir renouvelé. Nous ne savions pas, nous n’écoutions pas, spontanéité, nous étions au diapason.
La musique était bonne, boléro souvent, puis l’envolée finale… Nous nous hissions tout là-haut sur un étage indéfini.

Nous étions cigales l’été venu, pas toujours conscients que d’autres étaient fourmis pour nous préparer les repas, faire la vaisselle, ranger et se retrouveront seuls lorsque la bise viendra. Passer de longs hivers au coin du feu, récolter les gouttes d’eau dans des bassines lorsque le toit n’en pourra plus de subir les assauts d’Eole et de la pluie. Faire des semis pour que les tomates soient bonnes, préparer le fromage et la charcuterie afin que les étés soient souvenirs éternels.

Aujourd’hui, nous savons. C’est notre tour d’être fourmis. D’autres cigales passent, font leur plein de vie. Grands et petits craquettent ou stridulent à leur manière et se souviendront un jour de ce qu’était le temps des cigalous et des cigalons.
Un temps plein de vie, plein de joie, plein de lui, plein d’elle et plein de tout. Un temps doux, un temps qui chante pour longtemps et qui reste dans les mémoires.

« Te souviens-tu de ces jours éclatants ? »

Moi, je me souviens de tout. Je me souviens de tes craintes, de tes peurs, tu étais femme. Une femme que l’on désire et qu’on pousse à dépasser ses réticences… La confiance, l’abandon, et puis ça va. L’équilibre s’installe et l’insouciance revient.
Tout devient jouissance, joie, et puis paix, repos de l’âme.
Je m’en souviens, c’était hier seulement, pas si vieux le temps, un présent qui ne meurt pas.

Les heures chaudes ne sont plus ce qu’elles étaient, mais la nuit venue lorsque les grillons prennent le relais et grésillent, nous redevenons cigales sous les cieux des étoiles.
La fenêtre est ouverte pour que nous chantions tous les deux une autre musique, tout aussi joyeuse et même plus envolée sous la caresse d’Eole qui vient jusque dans notre couche pour nous souffler sa plus belle romance.
Des élans, des spasmes qui nous rappellent que nous sommes encore vivants et jeunes si l’on veut.

La vie est là. A portée de main, à portée de sens, à portée d’envies…
Le bonheur est dans l’instant, il faut le cueillir au passage…
Je ne le laisserai pas filer !
Non, je ne te laisserai pas filer.
Confiance, ce n’est pas encore fini…

Le ciel bleu nous attend…

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