Magasins de mon enfance.

Lorsque j’étais petit garçon, j’ai vécu dans trois quartiers différents, trois vies différentes.

A la Navaggia, tout au fond du village, ce fut la période la plus autarcique. Le quartier était peuplé, toutes les maisons étaient occupées. J’allais rarement au village comme on disait en parlant de la rue principale. Je ne montais à la Sorba que pour faire quelques courses lorsque l’on ne trouvait pas Chez Pilili, épicerie de notre quartier, ce dont on avait besoin. Pilili était une vieille dame. J’ignorais son âge, il m’a semblé l’avoir toujours connue plutôt âgée. Elle gérait son petit magasin avec sa nièce Mimi qui avait une légère infirmité. Nous pouvions arriver à toute heure y compris à midi comme le soir vers vingt heures,  même pendant le repas. La cuisine qui me paraissait minimaliste jouxtait le commerce légèrement en contrebas, accessible par trois ou quatre marches, je ne sais plus très bien. L’hiver, les dames vivaient en vase clos se déplaçant d’une pièce à l’autre comme des cosmonautes condamnés à vivre dans des capsules arimées dans l’espace. Elles trottaient menu sans jamais faillir à leur modeste allure de croisière.  Nous étions toujours servis dans la bonne humeur. C’est seulement aujourd’hui que l’on réalise la chance que nous avions, de vivre en si bonne intelligence. A l’époque cela semblait naturel, qui faisait petit commerce ne connaissait pas le dérangement comme investi d’une mission de survie à tout instant. C’était un mode de vie quasiment généralisé, dans le quartier chacun dans son registre se rendait disponible par une sorte de pacte tacite de solidarité. Tout allait de soi et ce petit centre de ravitaillement servait d’appui logistique pour la nourriture de base nécessaire à la vie de notre coin de village.

La rue principale se trouvait à quelques centaines de mètres seulement et pourtant nous ne connaissions pas toutes les personnes qui y habitaient. C’était un peu le bout du monde. Il y avait suffisamment à faire chez nous pour ne pas aller voir ailleurs ce qui s’y passait.

C’est à la faveur d’un déménagement dans la rue traversée par la départementale que j’ai découvert un nombre impressionnant de commerces.

Trajane animait, de l’aube au soir tombé, une grande épicerie. C’était le luxe épicier pour les habitués de Pilili. On y trouvait de tout de la morue en caque aux fruits et légumes frais. Elle faisait elle-même ses yaourts. Les emballages en verre étaient consignés. Un temps,  ma mère était préposée au lavage des pots pour les remettre en circuit. Une chance pour moi, je n’ai jamais autant mangé de bananes et de poires à moitié talées que durant cette période. Mère arrivait les bras chargés de fruits devenus à peine invendables. Un peu plus bas, sur le même trottoir, se trouvait le magasin de Reine. Les Galeries Lafayette de Lévie. Un grand magasin sur deux niveaux. Tout ce qui concernait le tissu se trouvait là, une mercerie  à faire pâlir les boutiques d’aujourd’hui. Nous, les jeunes, nous y allions pour voir les chapeaux, les bérets et tenues de « cœurs vaillants et âmes vaillantes ». A l’entrée du printemps, nous nous extasions devant les chapeaux de paille, légers, souples, lumineux qui nous rappelaient les panamas. Il y avait toujours quelque oncle ou tante venant du continent, plus fortuné que nos parents, pour financer cet achat convoité.

Chez madame Idda, trente mètres plus bas, on y trouvait surtout des bonbons. Coiffeuse pour femmes, elle avait un avant salon très couru par les enfants. Pas très loin, tout près même, l’épicerie Meloni qui s’est étoffée au fil des ans devenant une des plus florissantes du village. Puis Jany, un endroit froid  et sombre qui sentait le fromage… On y trouvait du bon Roquefort à la coupe. Toujours en allant vers l’Insorito, les épiceries de Peretti, Alphonse et Jean Baptiste… Le marchand de chaussures « Babunettu », plus loin la « Marangona » boutique de vêtements, puis « Joseph » le marchand de journaux, mi bazar, vendeur d’essence à la pompe à bras, en face de la pharmacie Casanova. Puis vers la fin de la traversée « Casachinu » sorte de petit Manufrance, vente d’armes et munitions entre-autres. Une épicerie quartier Olmiccia qui fut mon troisième lieu de résidence.

J’ai passé sous silence un bon nombre de commerces que j’ai moins connus étant jeune enfant. Une épicerie à côté de Trajane, puis Muselli plus ancienne, semi-grossiste qui desservait les bars en boissons et où tout s’achetait au détail emballé dans du papier gris épais appelé « carta straccia ». Egalement l’épicerie Ricci Rémi, d’abord à la Navaggia puis à l’Insorito et l’autre Ricci Cars que j’ai très peu connu. Le marchand de meubles Stromboni.

Sur le même trajet, grosso modo deux kilomètres, on pouvait compter une dizaine de bars, quatre boucheries un temps, deux garages. Valère, un réparateur de vélos, développera par la suite un grand bazar…  Et j’en oublie sans doute du côté de l’Insorito.

Sur l’ensemble du village, on y trouvait, aussi, deux cordonniers, un tailleur, deux coiffeurs pour homme, un dancing l’été, une laverie… une menuiserie même deux, trois boulangeries. J’ai « travaillé » un temps dans un comptoir agricole lorsque j’avais dix-sept ans. Une expérience amusante qui m’a révélé que je n’étais surtout pas fait pour être commerçant. Ma liste n’est pas exhaustive. Certains lecteurs auront d’autres souvenirs, je raconte ce que j’ai vécu, ce que ma mémoire a pu retenir.

Aujourd’hui, le village a subi l’exode rural, il revit un peu durant l’été, le temps des vacances. Les quartiers sont déserts une grande partie de l’année. Il reste une épicerie, un commerce de spécialités corses, une boucherie, une boulangerie et une pâtisserie quelques mois par ans. 

A suivre : Anecdotes autour des magasins.  

Un matin de novembre, le quartier Olmiccia n’est plus ce qu’il était.                                                                         

 

 

 

 

 


1 Comments

  1. je retrouve dans vos textes la Corse qui a fait de moi un enfant libre mais respectueux ,un Ado devenu un sportif par l’affection de nos anciens qui veillaient sur nous ,argumentant notre football celui de mériter le maillot que nous pourrions porter .Devenu adulte me voilà impliqués dans la coupe d’Europe de nos villages de l’ Alta Rocca !! puis l’ homme devenu footballeur professionnel n’a jamais oublié durant toute sa carrière qu »il le devait à son village ,et à des hommes comme vous complètement enracinés a tout ce qu’il représente ‘d’éducation, de respect de son histoire, baignée, de culture , de religion, et tout simplement d’amour – MERCI !!!

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