C’était l’hiver 2015 avant les premières neiges.
J’étais assis sous un grand pin, face à l’ouest en attendant le crépuscule, espérant assister au coucher de soleil. Rien ne semblait moins sûr, le temps était à la grisaille.
Seul dans le silence absolu.
Le col de Bavella ne livrait plus que quelques images floutées par un brouillard mouvant qui venait de se lever, soudain. Les aiguilles étaient invisibles, noyées dans une grisaille épaisse, la partie montagne emballée de coton encore brut, chargé d’impuretés pour mieux accentuer l’occultation devenue presque totale. Cette flanelle flottante se déplaçait par saccades, mue par des souffles qui montaient de la vallée. Des ectoplasmes de fumée allaient et venaient, laissant apparaître à quelques pas seulement, le fantôme d’un pin qui disparaissait aussitôt puis réapparaissait dans un cache-cache incessant sans les rires d’un jeu d’enfants. Les vagues successives d’un vent muet sifflaient leur silence, seulement audible par son aspect visuel. On devinait le « frissement » léger, étouffé par des poussées molles, hésitantes, fluctuantes presque informes, jamais franches, jamais décidées. Le vent n’était pas vent, seulement mouvement indéfinissable, ni brise, ni bise, une respiration de randonneur essoufflé qui marque le pas pour haleter sur un rythme désordonné avant de retrouver son haleine de croisière. L’humidité était omniprésente. Une caresse mouillée posait ses gouttelettes sur le dos des mains, le visage et surtout dans les moustaches devenues buvard d’hygrométrie ambiante.
J’attendais, incertain, sans trop savoir quoi, tant le rideau semblait définitivement tiré en cette fin de jour. J’espérais, là-bas par-dessus les monts qui désignent l’ouest, une trouée qui laisserait filtrer quelques rayons de soleil couchant qui se fait touchant lorsqu’il caresse le contour des montagnes avant de disparaitre totalement. Le brouillard dominait, chargé de particules carbonées, prenant la couleur d’un graphite sale. Des particules de grisou paraissaient se mêler à la brume pour la rendre plus opaque. Aucun rayon ne transperçait cet écran décidé à ne rien montrer du spectacle qui se jouait dans le lointain. J’inventais des images incertaines, des lumières éclaboussées, portées par des rayons dorés encore vifs, aveuglants à faire plisser les yeux pour être supportables. Je songeais à ranger mon appareil photo qui n’avait emmagasiné aucune lueur céleste.
Le soir s’annonça soudain, une chape noire s’abattit sur Bavella. Un frisson me parcourut le corps comme si je sortais d’un rêve en prenant conscience qu’une humidité frisquette s’était installée pour la nuit.
Bientôt, il sera temps de rentrer bredouille. Puis, comme un castelet tire ses rideaux pour montrer son Guignol, le voile nuageux s’est allégé laissant apparaître un spectacle de feu. L’enfer, par endroits et par moments, prenait le pas sur des idées de purgatoire et plus rares de paradis.
J’imaginais un gigantesque incendie, la Terre embrasée comme si l’univers s’était soudain révolté, la bombardant de boules enflammées. Des traînées incandescentes et traçantes semblaient se concentrer sur la montagne située au ponant où parfois le soleil se couche rouge de colère. Il devient messager du ciel pour rappeler aux hommes qu’ils ne sont pas grand-chose, des gesticulants parfois sans jugeote. Des ignorants qui se croient pleins d’esprit et de connaissances. Des infiniment petits perdus dans le cosmos, des molécules, des atomes, des électrons qui gravitent autour de leur ignorance pensant tourner autour du vrai et de la vérité.
J’ai vu le soleil fatigué mais sans sommeil, décliner, rouge de furie, derrière la montagne. Il ne dort jamais.
Nous qui avons besoin de repos pour nous ressourcer, lui inventons une figure de style à notre image, anthropomorphiques, diront les plus férus.
L’astre a fini par disparaître.
Je me suis senti tout petit, terriblement seul, perdu dans le froid.
Seul sous un pin majestueux, un résineux indifférent, habitué aux pires intempéries que son âge avait apprivoisées.
Seul, silencieux, rempli d’humilité mais heureux.
Je tenais mes images inespérées. Ce spectacle n’était pas un message divin, ni venu d’un ailleurs que je ne connais pas. Ces moments de solitude me remplissent de sensations fortes, renforcent le rêve et je me fiche si c’est fiction puisqu’ils sont producteurs de plaisir et de frissons…
L’homme est un fabuleux détecteur de manifestations naturelles qu’il interprète comme des signes qui lui sont destinés. Trop orgueilleux, il se prend pour le centre du monde…
Plutôt que m’enliser dans la sphère divine, je préfère cultiver le frisson, l’ici et maintenant.
On est toujours seul dans le brouillard, noyé dans l’ici et maintenant absolus.
J’étais certain de passer un bon moment à découvrir mes images, ma nuit s’annonçait de plaisir…
Voici les images :
C’est beau. Le texte prend aux tripes, comme si on y était, on a des frissons dans le dos quand soudain la magie opère!
J’ai remarqué combien les grands photographes sont seuls et patients, ce sont souvent des philosophes qui ne doutent jamais de ce que la nature peut nous offrir.
Bonjour,
Oui, ce soir là, c’était l’incertitude et je suis resté en attendant la nuit, avec espoir, et ce furent ces apparitions. 🙂
Ouf! Je vous ai retrouvé! 😉
Quel spectacle !