J’aurais voulu être un artiste.

J’ai l’impression d’avoir été un velléitaire accompli. Deux termes antinomiques qui forment un couple parfait pour résumer la situation.

On ne va jamais au bout des choses en étant un pro du recul, reste à trouver la raison.

La première explication qui me vient à l’esprit est que l’envie de faire ou d’être n’est pas forcément une vocation. Si l’on constate et si l’on admet ses limites, chemin faisant, il est raisonnable de rebrousser chemin. Persister dans le médiocre n’est pas satisfaisant, l’art sans conscience ni efficience n’est que ruine de l’âme.

Ma première envie, j’allais dire ma première passion fut la peinture. J’ai cherché ma voie, il m’a manqué le temps de l’explorer longtemps. A peine avais-je commencé à tâter de la toile avec une once de satisfaction, ce fut le déménagement et la bêtise d’inscrire sur un grand carton qui contenait toiles, pinceaux et tubes de peintures, en très gros : « Tableaux ». J’étais absent pendant le déménagement, je me suis aperçu, deux mois plus tard, que le seul carton qui avait disparu était celui-là. Sans doute, les déménageurs ravis de faire une belle affaire avec des tableaux de maîtres ou me prenant pour un peintre d’avenir, ont dû se résoudre à tout mettre à la poubelle en découvrant mes balbutiements de peintre du dimanche. Mais j’aimais et j’étais plein d’espoirs. J’ai fait un blocage, je n’ai plus touché un pinceau. Cela fait exactement vingt-cinq ans.

Puis vint ma période chanteur, je ne le fus que dans le secret de mes rêves les soirs d’insomnie. Je n’aurais pas franchi le moindre palier conduisant au podium.

La photo. L’envie me prit un jour de mai 1976. Je me suis rendu chez Camara avec la somme complète pour tout avoir dans l’après-midi. Tout du réflex à l’agrandisseur. Je n’y connaissais rien. Je suis un autodidacte endurci, je veux tout découvrir par moi-même, je veux me tromper et comprendre mes erreurs. On m’avait livré un agrandisseur de vitrine en pièces détachées et sans notice, je l’ai monté sur le champ cherchant à comprendre le fonctionnement. Le soir, je développais mon premier film en noir et blanc, à vingt heures j’étais dans mon labo de salle de bain. Jusqu’à minuit, je n’ai tiré que des clichés noirs. Après avoir tout rangé, je me suis couché sans sommeil. Vers deux heures du matin, j’avais une idée, je me suis relevé, tout remis en place pour faire un essai. J’avais compris. J’ai re-rangé et j’ai dormi paisiblement. Je n’ai jamais cessé la photo, c’est le seul « art » que j’ai poursuivi sans discontinuer et qui me plait encore.

Un écrivain, tiens ! Cela m’aurait bien plu. Un obscur écrivain qui hésite à raconter ses désirs profonds, sa face cachée, la plus surprenante, celle que tout le monde ignore. La partie immergée que l’on ne voit jamais, la plus riche parce que chargée de secrets et d’envies.
Un écrivain qui n’a jamais lu un livre de sa vie, tout juste un demi bouquin, incapable d’aller au bout de l’histoire des autres. Un écrivain qui picore les lectures, qui pratique la diagonale et cherche l’essentiel. Un écrivain des formats réduits qui ressemblent à sa capacité et sa volonté de lire. Des textes calibrés sans calcul et qui tombent presque à chaque fois sur la bonne dose de mots.
Un écrivain découvreur de vocables, qui se fiche des mots fatigués par l’usage et préfère les inventer. Inventer des sens qui tombent sous les sens sans avoir recours au dictionnaire, et qui les nomme « sucres-mots ». Ces mots qui se sucent comme un canard dans un alcool fort ou un café noir. Tombés du ciel, à la faveur d’une histoire sortie du temps comme la fumerole d’un cratère pour signaler qu’il y a vie, là-dessous.
Un écrivain ! Le mot me fait peur, dans ma condition on visait bas, toujours ce qui était immédiatement à portée du possible.
Je suis donc un écrivant qui s’amuse à écrire et sème ses idées au vent d’un blog resté confidentiel.
Quelques fois des lecteurs surpris m’ont demandé ma bibliographie pour suivre mes histoires. Quelle bibliographie ? Ils furent très surpris.
Bien voilà cela existe des écrivains qui n’en sont pas, ce sont des gens qui écrivent, parfois plus que de raison et c’est mon cas, sans jamais franchir la porte de leur enclos. Des écrivains confinés à vie parce qu’ils pratiquent l’écrit vain comme diraient d’autres…

Mon ambition suprême était de rentrer dans ma Corse profonde et travailler la terre comme le fit mon père… J’en aurais voulu à Dieu et tous ses saints si je n’étais parvenu à cette ultime volonté. J’ai créé mon environnement rempli d’histoires et d’anecdotes. Mes aïeux y sont partout, cachés dans mes fausses fariboles, elles semblent être inventées pour amuser la galerie, alors qu’elles animent mes chers disparus. Tout y a un sens, rien n’est anodin ou le produit du hasard, j’ai tout imprimé, tout.

Un jour j’avais réalisé deux piliers pour installer une pergola. Seul, je fus incapable de soulever un planchon métallique de cinq mètres. J’ai dû changer de stratégie et abandonner un des piliers qui devint inutile. Les visiteurs s’interrogeaient : A quoi sert ce truc ?
J’ai fini par le transformer en totem en le coiffant et lui fixant une corne taillée dans une branche tordue de chêne. Bison écorné était né, plus jamais on ne me demanda à quoi il servait, il surveillait la vallée d’Archigna et la surveille toujours.

Au fond de mon jardin, je façonne un décor à ma guise entre l’utile et l’agréable, entre labeur et bonheur…
Désormais parmi les oiseaux et les herbes folles, à m’inventer un paradis…
Je suis un artiste !

8 Comments

  1. Superbe autoportrait avec le dessin et le texte qui suivent, et oui sans aucun doute vous êtes un artiste.
    Un artiste sait révéler ce que les autres ne voient pas et suscitent l’émotion, ce que vous faites excellemment par l’écriture et la photo. Ce sont aussi des personnes imaginatives, curieuses de tout et des autodidactes de l’art. Je pense que beaucoup de personnes ont des dons mais que peu ont ou se donnent le moyen de l’exprimer. Je vais voir ce sucre-mot de ce pas…

  2. Merci Almanito, c’est vraiment très sympa !
    Ce sont des mots comme ceux-ci qui m’encouragent à continuer, sinon, j’ai l’impression, non pas de prêcher mais d’aboyer dans le désert 🙂

    1. Depuis que je connais votre blog je vagabonde de texte en texte, parfois sans laisser de trace mais je vous assure que je me régale.
      Ce que je vous disais réponse sur mon blog: avez-vous penser à faire éditer vos écrits, ce sont de très belles pages et un formidable patrimoine qu’il faut absolument partager.

      1. En voyageant dans mon univers vous allez rencontrer des textes bizarres, des textes sinistrés. A l’origine, mon blog était « abrité », je ne trouve plus le mot, par lemonde.fr. Les blogs ont été fermés et en voulant sauver mes textes, je les ai versés dans l’actuel blog. Je ne sais pourquoi, un grand nombre est ressorti en très mauvais état, écriture trop grosse et parfois en majuscules, images absentes alors que je demande de cliquer dessus. Bref, dès que je tombe sur l’un d’eux je le réécris.
        Souvent dans ma frénésie, boulimie d’écriture, je publiais en premier jet et donc de très nombreux textes sont mal écrits. L’ensemble est inégal.
        Quant à la publication quel titre donner à ce bric-à-brac ? A ces sauts et gambades ? Et puis courir les éditeurs cela ne me botte pas du tout. J’avais signé un contrat de 20 ans chez Fernand Nathan qui ne m’a pas laissé que des bons souvenirs. Mon contrat d’exclusivité m’a valu beaucoup de jeux bloqués que je ne pouvais proposer à la concurrence à cause d’une clause… J’ai même proposé à une personne qui insistait pour que je publie, de lui laisser la matière pour en faire ce qu’il voulait puisqu’il avait un éditeur en vue, je ne demandais pas de droits d’auteur et donc pas de séances de signature – je suis un sauvage, d’autres diraient un ours – je réclamais juste la paternité. Encore une bizarrerie qui me caractérise, je sème au vent.
        Vous avez lu « velléitaire » dans « J’aurais voulu être un artiste » ? Eh bien c’est ça 🙂
        Le temps passe, le temps presse, je n’aurai certainement pas le temps, je voulais éditer à compte d’auteur le recueil de portraits d’enfants qui pourrait être une mine pour les enseignants mais vu le nombre de gens qui suivent, je cours au naufrage. Peut-être tenterai-je cela.
        J’avais également un projet de pédagogie intuitive que j’ai expérimentée durant des années pour l’expression écrite, une originalité qui porte ses fruits, les enfants en étaient friands, ils m’en parlent encore alors qu’ils sont parents. Une progression de l’orthographe, moi même longtemps sinistré de la chose, basée sur le pied de nez à la peur de l’orthographe et la définition d’objectifs personnels estimés par l’enfant lui même… un travail en filigrane sur la personnalité et le rapport à la faute, tout cela en douce sans que personne ne s’en rende compte. Difficile d’entrer dans les détails. Là, je pense qu’une richesse s’est réellement perdue…
        Merci pour votre sympathie almanito.

  3. Tu es le dieu de ton monde et comme celui que je vais parfois visiter, tu en partages certains dons. Si je dis « certains », c’est parce que l’autre (l’universel) s’est fichu dedans avec le créationnisme . Fichtre, me voilà maintenant en relation avec deux dieux (-de dieu !)*
    Comme Almanito, je file lire « le sucre-mot » !…
    * (« de Dieu de Dieu ! » est une expression suisse)

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