L’hippopotame.

Aujourd’hui, j’avais plus à faire au jardin.
J’en ai profité pour arracher les gros bouquets d’ortie qui prospéraient devant le poulailler, cela m’a permis de « pailler » mes tomates. Un paillage de courte durée puisque l’ortie se dégrade très vite. Je ne fais plus de purin, ça sent très mauvais et ça empeste tout le voisinage…

Le sujet du jour est une reprise des portraits d’enfants que je suivais en rééducation psychopédagogique.
Je préférais les décrire ainsi en n’utilisant aucun terme de psychologie, cela me semblait plus parlant. Avec ces images et mon goût pour la nature, cette approche m’ouvrait des pistes de travail.

La démarche semblait originale aux yeux des inspecteurs que j’ai connus, ils étaient frappés par les similitudes et l’utilité des remarques animalières.
Ces descriptions restaient confidentielles, seules quelques personnes en avaient connaissance.

N’y voyez aucune malveillance de ma part, c’était mon instinct campagnard qui revenait au galop dans certaines circonstances. Certes, je n’ai pas connu d’hippopotames au village mais le principe restait le même.

Je devais tenter la publication d’un recueil et puis je tarde à le faire sans être certain de mener, un jour, ce projet à réalisation.

Carlos, un petit garçon de sept ans, réfractaire aux apprentissages scolaires et notamment celui de la lecture, ressemblait au « Coucou » – déjà publié dans ce blog – mais présentait une plus lourde nonchalance.

Très passif en classe, vécu comme un boulet par sa maîtresse, voici tel que je décrivis après quelques séances de prise en charge.

« Carlos adorait passer quelques minutes dans mon enclos à l’abri des regards des autres enfants. Il y pénétrait à pas lourds et calculés comme s’il avait des chapes de plomb à la place des semelles… en plus de sa corpulence hors du commun de son âge.
Sa placidité, sa nonchalance, également peu communes, accentuaient sa ressemblance avec un « cheval des rivières » né en captivité dans un zoo.

Il venait dans mon resserré, brouter les lettres jusque dans mes mains, pour les mâchouiller quelques instants avant d’en baver une grande majorité par les commissures de ses babines.
Très maniable, très doux, sensible aux caresses (compliments) et parfois très lointain – l’appel de la rivière, sans doute – Carlos ne risquait pas de vous mordre les doigts. Son corps bien nourri le mettait en sommeil, une bonne partie de l’après midi.
Ses masséters, pourtant puissants, ne parvenaient pas à actionner sa mâchoire inférieure qui reposait sur ses paluches. Ainsi, incapable d’arrondir le moindre « O », de siffler le moindre « S », de faire vibrer le moindre « V », notre hippopotame flottait dans une piscine d’eau tiède, légèrement balloté par mes sollicitations destinées à éviter l’endormissement total, qu’un silence prolongé n’aurait pas manqué de provoquer. Même ses oreilles qui d’ordinaire frémissent durant la sieste, demeuraient parfaitement immobiles.

Sa gigantesque nonchalance donnait l’impression que rien ne pouvait lui arriver. Son centre de gravité se plaçait si bas, le vissant littéralement au sol, que même une tempête eut été incapable de lui arracher le moindre frémissement… A moins qu’elle ne lui fracassât une tuile sur la tête, je crois bien qu’il n’aurait pas même daigné lever le petit doigt pour se gratter… »

C’est en rencontrant sa mère également imposante et d’un amour exagérément protecteur pour son enfant, que j’ai compris qu’il était temps de secouer tout ce monde.
L’heure n’était plus à l’écoute et aux explications lénifiantes mais à un réveil très énergique avec une sonnerie à surprendre les morts.

Il y a des moments et des situations où il est totalement inopérant d’entrer en explications psychologiques qui vous font perdre votre temps et celui des autres aussi. Ces braves personnes n’étaient pas accessibles aux analyses qui les enfonçaient davantage dans leur problématique.

J’ai connu des psychologues consciencieux qui s’éternisaient en analyses avec des gens incapables d’avancer d’un millimètre avec ce procédé… Il fallait bien jouer son rôle sans chercher plus loin.

C’est l’expérience qui dicte ce genre de comportement, ce n’est pas une pratique courante.
Dans ce magma mollasson, il fallait simplifier, se fixer un seul objectif, l’apprentissage de la lecture, fusse à la hussarde, ou on s’enlisait davantage.

Carlos a bien compris notre objectif, il apprit à lire…
Tout le reste était affaire de grand temps et d’usage de la vie.

Les parents accaparés par l’idée de rentrer au pays avec quelques réserves d’argent, si ce n’était pleins d’usage et raison, leur préoccupation première consistait à bien nourrir l’enfant et le laisser tranquille…Tout le reste, pour eux, n’était que littérature.
Leur mode de vie n’était pas mon affaire mais simple constatation.

Ainsi, ce que l’on nommait ordinairement problème scolaire était problème de vie…

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