Champagne au jardin !

Tout à l’opposé, j’ai failli titrer « Pipi de sansonnet ».

Ces deux derniers jours, il a beaucoup plu, arrosant abondamment le jardin.
En quarante huit heures, les plants de tomates se sont développés très vite, bien plus qu’en une dizaine de jours avec un arrosage au tuyau.
Je me suis souvenu des jardins de naguère qui prospéraient mieux que ceux d’aujourd’hui, proches de la maison.

Celui de mon père se situait à près de trois kilomètres, une belle trotte. On l’appelait « u fossu » (Le trou en traduction littérale). C’était un voyage d’y aller.
On s’y rendait par un chemin muletier, empierré pour empêcher les ravines. Il était situé à flanc de colline à quelques mètres de la rivière qui tangentait la limite la plus basse.
En amont, père avait réalisé une dérivation qui s’ouvrait ou se fermait juste en actionnant un petit barrage sur la rive rasante du ruisseau.

Les soirs d’arrosage, juste avant la tombée de la nuit, les rigoles qui parcouraient les plants de tomates, les haricots et tous les légumes d’été, glougloutaient fortement.
Nous voyions arriver un flot vigoureux, le sillon s’emplissait de liquide qui convoyait tous les sédiments déposés à son passage précédent.
C’était beau.
Cette eau bienvenue au cœur de l’été, détournée du fleuve pour la cérémonie de l’irrigation, chantonnait, son « glou glou ! » feutré, suivi de silences puis d’autres glougloutements, tout aussi doux comme si l’eau conversait avec nous, partageant sa joie de venir abreuver le jardin.
Elle serpentait dans l’herbe fraîche avant d’envahir les canaux tout droits qui bordaient chaque rangée de tomates. Le canal bien rempli, le flot était stoppé, l’eau s’infiltrait dans la terre noire pour mouiller les racines.
La terre totalement altérée depuis le dernier passage se désaltérait avidement.
Le feuillage des solanacées frémissait un instant, c’était visible pour ceux qui savaient communier avec les plantes. Les poquets de courgettes, creusés çà et là, attendaient leur tour et avalaient goulument la vague qui déferlait et entourait rapidement toute la plante formant un petit lac. Ces petites mares vite absorbées renseignaient sur la souplesse du substrat, enrichi de fumier pour amender les plates-bandes. Les aubergines qui n’étaient pas bien loin des tomates attendaient patiemment leur tour.
Quelques fraisiers devenus sauvages avec le repiquage des stolons, profitaient du passage ou des divagations de l’onde bienfaitrice pour gonfler leurs fraises que le soleil rougissait.

Avec ces arrosages bien distribués, réguliers et abondants, le jardin chantait, les plants de tomates croissaient fortement les jours qui suivaient. A chaque retour au jardin, nous avions l’impression que tout avait grandi durant notre absence comme des enfants que l’on ne voyait plus depuis longtemps. Aller au jardin était un enchantement et les jours de récolte, toute la maisonnée était en joie.

Les pommes de terre arrivaient les premières par sacs entiers transportés par l’âne Roland. Ail, oignons, étaient entreposés à l’abri de la chaleur et de la lumière dans un coin sombre de la cave, les haricots Soisson, les plus tardifs complétaient la réserve hivernale.

Le temps des cerises, des abricots, des pêches, des prunes, des figues, du raisin, des noix et des châtaignes rythmaient l’été et le début de l’automne.

Au début de l’été, les grands-mères du quartier torréfiaient le café, cardaient la laine retirée des matelas affaissés, devenus trop plats. Venaient ensuite le séchage des prunes, plus tard des figues, la confection du concentré de tomates en attendant le cochon au début de l’hiver…

De nos jours, l’arrosage au tuyau, me semble tristounet.
Les plantes hésitent, temporisent beaucoup et se développent cahin-caha… Parfois, mon esprit badin, les imagine, minaudant, presque levant les pieds pour ne pas les mouiller comme le ferait une précieuse ridicule.
En ouvrant le robinet, j’ai l’impression de distribuer pipi de sansonnet.

La vie à la campagne fourmille d’images riches qui vous assaillent pour engendrer la poésie.
Rien de mieux qu’un beau jardin pour libérer quelques rimes joyeuses… et réjouir toute une famille.

Au cœur de l’été, père était fier de son labeur au potager.
Il adorait faire plaisir à des amis rentrés du continent pour les vacances estivales.
Je me souviens encore lorsqu’il me cherchait dans le quartier à peine rentré du jardin, un grand panier d’osier rempli de légumes fraîchement cueillis, au bras :

Tè ! Porta sa sporta à i Cervi !(Tiens ! Porte cette corbeille aux Cervi !)

Marco Cervi prenait le frais sur son balcon, le regard perdu dans son passé en écoutant le chant matinal des oiseaux, il m’accueillait avec un grand sourire.
Quelques heures plus tard, il attendait papa à l’apéritif chez Vescu, c’était devenu le rituel de l’amitié.
On les voyait rentrer à midi, dans la descente de l’ancienne gendarmerie, hilares comme deux joyeux lurons qui revenaient de foire…

Après deux jours de pluie la plante s’est épanouie.
Deux variétés, la plus basse très précoce, ne fleurit pas et est prête pour la récolte en primeurs.
C’était une autre année.
Je venais de découvrir la variété Trilly, des tomates cerises oblongues comme des grosses olives, un goût incomparable. Une variété très productive que l’on ne trouve que très rarement chez nous.
La tomate du voyageur toute en globules.
On prélève les globules par torsion sans abîmer le reste du fruit.
La tomate bleue.
Qui est noire et devient orange à maturité.
Les aubergines blanches tout en délicatesse.
La noire de Crimée en voie de maturité.
La cœur de bœuf se cache pour mûrir.

4 Comments

  1. Que de beaux fruits et légumes, cultivés avec soin dans le respect du travail bien fait et pour un entourage qui certainement sait apprécier les bonnes et belles choses ! Quand je vois les tomates ici, un peu dépressives suite à un trop long voyage ou à une pousse hors sol, pour atterrir sur des étals de marchés que l’on croit du pays… or dans le pays la terre est encore fraîche et les tomates même pas en fleurs !

  2. Chez moi, c’est bien parti.
    Je récolte déjà les pommes de terre primeurs et les tomates sont en fleurs.
    Si Saint Clément veille pour que le temps ne soit pas dépressif, je crois qu’il y a bonne promesse pour les récoltes.
    Bonne journée et soyez joyeuse 🙂

  3. Non, non le titre est bien trouvé.
    Une page où le temps reprend sa signification et son rythme, le texte aussi beau que les photos.
    Votre jardin de soleil est certainement aussi beau que celui de votre papa, ce sont vos souvenirs et vos yeux d’enfant qui vous font croire le contraire. Ce qui manque au votre, c’est sans doute la présence de celui qui le travaillait…

  4. Je suis un facétieux, Almanito, je gambade en écriture comme dans la vie.
    Je vais et je viens, je dis, je raconte comme les mots me viennent à l’esprit.
    Ils m’aiment tant, ces vocables joyeux, qu’ils se bousculent pour surgir les premiers…
    Le temps et sa notion trop fugitive m’ont appris à batifoler dans la vie.
    Quant à mon père qui a fait ce qu’il a pu pour faire de moi ce que je suis, il y a très longtemps qu’il est parti, la quarantaine déjà, c’est vous dire si ma chère notion de temps me presse à vivre intensément.
    J’écris souvent sur lui pour évoquer sa vie…;
    Il y a trop de textes (j’ai dépassé les 1750) pour me souvenir des titres… Voici un lien que j’ai retrouvé.
    https://simonu.home.blog/2019/08/28/mon-pere-etait-un-artiste-2/
    Merci pour votre sympathique suivi, bonne suite à vous.

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