Faut-il constamment fouiller son passé, jusqu’au plus ancien, se faire spéléologue de l’âme, pour comprendre le présent ?
La rencontre fut lumineuse. Je suis tombé sur un de ces psychologues de comptoir capable de flairer le problème avant même que vous ayez fini une phrase. Le bougre s’inquiétait sur mon sort, il venait d’apprendre que je ne conduis pas et que je ne possède pas de véhicule. Evidemment la chose doit être assez rare pour surprendre de la sorte.
J’ai eu la chance de travailler à cinq minutes de mon domicile durant toute ma carrière n’éprouvant jamais le besoin de me déplacer autrement qu’à pied. Le chauffeur de la famille c’est Annie, très heureuse de cette liberté…
Notre homme sensible et à l’écoute des maux des autres m’avait presque sermonné en me conseillant fortement de creuser mon passé profond, de revenir à mon enfance pour comprendre pourquoi ce refus de l’automobile.
Ce qui lui semblait refus, était pour moi un vrai choix.
Alors, pour m’amuser de cette carence hautement perturbante, que je n’avais jamais ressentie jusque-là, je me suis plongé dans mon passé pour chercher à comprendre pourquoi on ne m’a jamais vu au volant d’une bagnole.
Je devais avoir six ou sept ans et je rodais du côté du bar « le Progrès ».
Garé sur le bord de la route, un camion de la marque Saurer ronronnait très fort couvrant tous les bruits environnants.
Le chauffeur s’était arrêté pour boire un coup. A cette époque, on ne stoppait pas le moteur pour une chopine vite vidée au comptoir, parfois deux ou plus.
C’était ainsi, et les automobiles ne couraient pas les rues. Le risque d’embouteillage n’existait pas. C’est a ce moment que Christian dit « Tateddu », un ami d’enfance, m’appela sur le trottoir d’en face.
On disait côté Jany, l’épicière.
Sans hésiter une seconde, j’ai traversé.
Je n’avais pas entendu, ni vu la Rosalie qui doublait le camion.
La rencontre avec celle qui portait le même nom que la personne qui m’a donné la vie était inévitable. Je fus happé sous le véhicule puis trainé jusqu’à la fontaine de Vichy à une trentaine de mètres du bar… Surpris puis terrorisé, le chauffeur du véhicule noir perdit les pédales et s’arrachait les cheveux en poursuivant son chemin. M’a-t-on dit plus tard.
Laurent et quelques autres personnes qui conversaient sur le muret chez Jany, se précipitèrent pour stopper la voiture et me soustraire de ce mauvais pas.
A moitié scalpé, j’avais perdu une partie de mon cuir chevelu. Seulement retroussé, on le repositionna à sa place initiale.
Le bras râpé d’avoir frotté l’asphalte, du bar à la fontaine, et les genoux couronnés.
On m’avait installé chez Vescu au Progres sur une chaise de bistrot, à accoudoir, juste à l’entrée.
Lorsque que le docteur Mela, qui me suivait déjà de près, est arrivé.
Je me suis plaint d’avoir déchiré mon pantalon tout neuf que je portais pour la première fois.
Il a souri et n’a pu s’empêcher de lâcher : « C’est encore toi ! » J’étais habité par la fatalité, la subissant sans m’en rendre compte, c’est sans doute ce qui me vaut aujourd’hui, un si grand détachement ( ?).
Maman Rosalie m’avait donné la vie, une autre Rosalie a failli me l’ôter dès mes premiers pas dans le primaire.
Nous venions de perdre deux autres enfants, décédés à l’âge de dix-huit mois.
Le « jamais deux sans trois » pouvait aller se rhabiller, j’avais la ferme intention de le faire mentir 😉
Christian m’avait rendu visite dans ma chambre avec des allumettes en sucre et des cigarettes en chocolat.
Le chauffeur que je n’ose nommer chauffard, rencontré un autre jour dans la rue, m’avait donné un billet de cinq francs que mon père a déchiré sur le champ…
Finalement cet accident ne m’a pas marqué plus que ça. Je le raconte toujours en souriant, je n’en ai gardé aucun traumatisme, aucune séquelle, aucune trace physique ou morale.
J’ai été renversé deux autres fois par une auto. La dernière fois ce fut sur la grande avenue de Versailles. Il pleuvait, j’étais hors passage clouté, un véhicule s’arrête et me fait signe de passer. Un autre doublait à vive allure et me faucha sur le champ. Je fus projeté à une dizaine de mètres en tourbillonnant comme une toupie, les immeubles semblaient en transe et dansaient une folle carmagnole. La gabardine déchirée, les pièces de monnaie fuyaient vers le trottoir…
J’ai failli présenter mes excuses au chauffeur qui rentrait chez lui après une journée de travail. J’assumais mes bêtises, j’avais l’impression d’avoir fortement dérangé la vie d’un homme et de sa famille. Il m’a obligé à voir un médecin, m’a laissé sa carte de visite pour le contacter. C’était un conseiller ministériel qui rentrait de Paris.
Malgré un arrêt de travail d’une semaine, le lendemain je prenais le train, c’était au début de ma carrière, pour me rendre au boulot, les jambes noires et flageolantes… J’ai vomi durant le trajet…
Moralité : Simonu, si tu ne veux aller à la voiture, la voiture viendra à toi ! 🙂
Après être descendu si bas dans mon enfance, je n’ai toujours pas trouvé de raison à mon choix de ne jamais être chauffeur.
Le bougre psychologue doit se gratter la tête, peut-être pensera t-il que je n’ai pas creusé suffisamment.
J’ai probablement peu de chances de tirer le gros lot à un autre grattage, le hibou m’a soufflé une réponse 😉 et j’ai bien l’intention de l’écouter.
A reblogué ceci sur Les choses de la vieet a ajouté:
Ce reblog survient après une brève discussion avec une amie qui semblait prendre connaissance de cette aventure…
Ha ha ha! J’adore la morale 😉
Votre indifférence à la voiture n’est pas si rare, j’en connait beaucoup et elle touche souvent les hommes contrairement à ce que l’on croit. J’avoue que j’adore conduire, moins maintenant à cause de toutes les restrictions du code de la route et aussi parce que l’on se calme en vieillissant, mais j’ai passionnément aimé conduire, une conduite un peu sportive sur les petites routes corses en lacet est un régal et puis la vitesse…grisante, dit-on.
Cela ne m’a jamais intéressé, on me conduisait, je n’avais aucun souci et Annie est bien contente 😉
J’en connaiS (honte à moi!)
Avec un t c’est plus joli, on s’en fiche 🙂