Un signe de grande considération pour le docteur.
Cela signifie, non pas cher docteur ni très cher docteur, mais presque très noble docteur. C’était il y a très longtemps, on ne l’entend plus dans nos quartiers.
Ma tante Marie avec qui je vivais, pour lui tenir compagnie, était une dame très souffreteuse. En la côtoyant au quotidien j’ai appris à la connaître par cœur. Elle se nourrissait comme un moineau pour soulager son système digestif qu’elle soupçonnait d’être très fragile. Le moindre haricot vert était la promesse d’une insomnie épouvantable.
Elle passait sa nuit à converser avec le divin pour implorer sa clémence afin qu’il la maintint en vie jusqu’au lendemain, au moins.
Même si son soliloque n’obtenait aucune réponse, cela va de soi, son dieu devait être à l’écoute sans rien dire, en exhaussant ses demandes car le lendemain, elle était très tôt sur pied comme si elle avait dormi comme un bébé. Bien réveillée et toute indigestion oubliée.
J’en sais quelque chose car dès cinq heures du matin, elle me secouait pour que je me lève et repasse mes leçons. C’est curieux, la sœur de mon père, également analphabète, était très attachée à mes études. Elle souhaitait ma réussite en disant « Je n’ai jamais eu un diplôme dans ma famille, toi tu l’auras… »
Je n’avais aucune chance de me rendormir quelques minutes de plus en faisant mine d’être dans le coma. Elle ne me lâchait pas tant que je n’avais mis pied à terre.
Le médecin de famille, qui la connaissait mieux que son dieu, était sans doute psychologue aussi. Une complémentarité au savoir médical qui semble moins répandue de nos jours. Il arrivait, je m’en souviens très bien, c’était son originalité, avec son œil droit grand-ouvert, l’autre à moitié fermé, il la jaugeait rapidement avec le plus grand sérieux. Un temps, il se montrait circonspect, un peu dubitatif, marquait une longue pause observatoire puis livrait son diagnostic qui faisait toujours mouche en prescrivant du bicarbonate de soude, un peu de régime, le tout accompagné d’un sourire et d’une tape amicale dans le dos.
Tante se retrouvait pimpante dans les secondes qui suivaient.
Duttori Mela qui ne connaissait pas encore les inhibiteurs de pompe à protons, ni les antibiotiques pour combattre les hélicobacters pilori, connaissait parfaitement ses ouailles, bien mieux que le confesseur attitré auquel tante Marie livrait tous ses péchés les samedis après midi. Elle vidait son sac dans le confessionnal pour purger sa conscience.
Il était rassurant, savait jouer du placebo pour les comédiens et comédiennes qui s’ignoraient.
On ne fait pas mieux, sur ce registre, aujourd’hui malgré l’évolution de la science. On a perdu le sens du contact et de la psychologie élémentaire. On ne se déplace que rarement, on ne connait plus l’intimité des gens et les comportements de famille. Chacune a ses spécificités et ses travers qui nécessitent une approche adaptée. Je me souviens d’une piqûre d’eau distillée infligée sur le champ qui calma instantanément un comportement hystérique… C’était psychiatrie légère à domicile.
U duttori, d’un calme olympien, d’une assurance inoxydable accomplissait parfaitement sa mission. Cela semble faire défaut de nos jours sans objectiver par scanner, IRM ou autre fibroscopie….
Bon, bon, je ne critique pas l’évolution et le progrès, je ne crie pas que c’était mieux avant… mais j’affirme que cet aspect de la médecine a foutu le camp… Hypocrate en était sans doute fier.
Tante Marie s’est éteinte à 90 ans, dans son sommeil, sans aucun signe avant coureur. Le nouveau médecin était venu l’ausculter la veille, rien à signaler, tout allait bien.
Nous savons tous que nous pouvons mourir juste après un électrocardiogramme nickel. Les mystères de la vie sont impénétrables et échappent aussi au médical de pointe.
O sgio duttò vi salutu ! ( Cher docteur, je vous salue).
Duttori Mela repose depuis très longtemps à deux mètres de ma future sépulture.
Non seulement vous avez un talent de conteur mais aussi de dessinateur.
Je suis tout à fait d’accord, les médecins d’aujourd’hui ont la science, il leur manque juste le bon sens et l’empathie envers leurs malades qu’ils ne se donnent plus la peine de connaitre…
J’ai réalisé un millier de petites caricatures maladroites avec les hiboux qui assènent leurs « vérités » au gré de mon humeur. J’ai découvert la tablette à dessiner, sur le tard.
Je me servais de ces hiboux (dessinés à la main) pour relancer l’expression écrite en interpellant des élèves pour déclencher l’écriture. Je faisais cela dans plusieurs classes des écoles dans la région versaillaise. J’avais transporté mon sens paysan à la ville et cela plaisait. Il y a de quoi écrire un livre rien qu’avec cela.
Mon passe temps favori, c’est jardin, photo et écriture.
Merci pour votre sourire, recevez le mien en retour 🙂
Félicitations parce que pour plaire à Versailles…c’est pas simple! J’ai longtemps habité pas loin, à Ville d’Avray, je connais la mentalité du coin.
J’étais au Chesnay (21 ans), je n’ai pas à me plaindre, on m’appréciait bien 🙂
J’étais bien accepté par les collègues.
Lisez donc « La plus belle queue », c’est amusant et c’était dans une de ces écoles.