Cela fait un moment que je pense à cet homme retraité après une longue carrière de labeur, à trimer sans compter.
C’est en entendant dire : « C’était mieux avant » et la réplique qui s’en suit régulièrement : « c’est une bêtise, pourquoi c’était mieux avant… » et on énumère toute une litanie de « bonnes choses » qui seraient survenues depuis l’avant.
C’est tout aussi stupide de répondre de la sorte car on n’est pas sur le même registre.
Le premier se lamente en se montrant nostalgique, le deuxième se veut plus concret sans se rendre compte qu’il ne soulève pas les mêmes sentiments.
Laissons chacun apprécier ce que lui dicte sa vie, ça ne changera rien à celle des autres.
Dans cette affaire, il y a à boire et à manger des deux côtés sans désaltérer ni nourrir son homme.
Quel rapport avec Noël ?
C’est tout simple, en entendant cela, son image m’est revenue en mémoire.
Pour ce qui me concerne, je l’ai toujours connu souriant…
Lorsque j’étais adolescent, mon frère travaillait un peu avec lui lors des transports de pierres de taille, pour décharger le camion. C’était du pierre par pierre et il fallait suivre le rythme car l’homme était toujours très motivé à la tâche…
Bien des années plus tard, il me portait un camion de matériel pour construire mon four à bois. Il y en avait trois tonnes. Lorsqu’il est arrivé, j’étais seul au sol, lui sur la benne… J’ai vite compris ce qu’était le travail, j’étais incapable de suivre son rythme, c’était une paille pour lui qui riait en me voyant tituber au bout d’un moment. Alors, il sautait de la benne pour voler à mon secours, j’ai tiré la langue jusqu’au soir. Il était venu voir mes fondations, il a éclaté de rire : « Avec des fondations pareilles, tu peux construire une maison » Ma tranchée frisait le mètre de profondeur.
Une autre fois, il me regardait piocher dans le tuf pour combler un espace derrière un mur de soutènement, j’étais à la peine, j’en avais pour un mois de bagnard pour remplir toute la longueur. Deux heures plus tard, il était là avec sa pelleteuse et l’affaire était close en très peu de temps. Puis sachant que je voulais faire un jardin, il m’a porté trois camions de terre agricole. Il rangeait le camion à quelques millimètres du mur et rentrait chez lui. Avec Ferdinand nous transférions à pelletées toute la terre de l’autre côté du mur.
Chaque fois que j’avais besoin de tuf pour consolider mon chemin, il arrivait avec la benne chargée « di tuvu masciu » (tuf mâle, plus grossier, dénommé ainsi parce que mieux adapté à cet effet) en quelques minutes tout était étalé, il ne rechignait jamais à donner un coup de main pour que tout soit terminé avant son départ.
On l’appelait, il était là…
Mon cousin germain qui vit à Ajaccio, Pulinu, avait entrepris de faire tailler une tombe pour mon père. Une affaire de quarante ans. Ajaccio et Lévie ce n’est pas la porte à côté, il faut parcourir deux cents kilomètres aller et retour.
Noël, mis au parfum, alla jusque chez le tailleur de pierre, embarqua tout sur son camion et installa la tombe avec l’aide de quelques amis.
Cela fut fait bénévolement, il appréciait mon père, c’était sa manière de nous témoigner son amitié.
Il n’en a jamais parlé, j’étais sur le continent, c’est mon cousin qui m’a tout raconté.
L’image de Noël a donc surgi dans mon esprit en entendant c’était mieux avant.
Ce n’est pas parce qu’il m’a rendu service, j’ai toujours apprécié l’homme franc, de parole et sans états d’âmes farfelus.
Depuis qu’il ne travaille plus, c’est la galère. Mon chemin subit la ravine, je ne trouve personne pour m’apporter du tuf, en payant bien entendu ! Personne n’a le temps, personne ne trouve plus de tuf… Rendez vous compte comme les gens sont surbookés !
Cela fait bien quelques années que je cours après sans attraper personne, alors, je pioche dans mon talus avec l’aide de l’ami Louis pour combler les crevasses profondes.
Il a bien mérité sa retraite, j’entends encore sa voix pleine d’optimisme, avec lui on pouvait s’engager au front…
Salut l’ami villageois.. C’était mieux de ton temps 🙂