Une ambiguïté de lecture reste possible pour certains, induite par l’étrangeté du récit.
C’était un soir de juillet.
Nous attendions l’arrivée des enfants et des petites filles de Vendée.
Une traversée de jour, le bateau accostait tard, je m’étais avancé du côté du bassin pour écouter le concert de rainettes. On aurait dit qu’elles répétaient pour saluer en grandes pompes la venue des fillettes.
Petites filles connaissaient déjà la musique dont l’orchestre invisible « bolérait » dans un crescendo parfaitement exécuté. Nous nous étions installés sur les marches qui mènent au jardin dans la chaleur d’une nuit et nous faisions silence. Margault et Fanchon regardaient les étoiles dans le ciel pur de Lévie déserté par les nuages. Un souffle tiède comme un sirocco léger montait de la vallée d’Archigna, les feuilles du noyer, sous lequel nous étions assis, frissonnaient faiblement comme des applaudissements discrets adressés à l’orchestre batracien. Tout ce monde communiait dans un air andante pour coassements majeurs accordés sur le plus bel effet musical…
Les fillettes semblaient enchantées par ce spectacle sans image malgré la luminosité d’une nuit étoilée. Les rainettes étaient parfaitement invisibles même lorsque nos yeux accommodés à l’obscurité cherchaient à les repérer dans l’onde. La lune se mirait sur la surface vitreuse et des ronds concentriques trahissaient le mouvement d’un gros têtard venu chercher respiration en surface. Parfois, le silence se faisait total comme si l’orchestre prenait une pause avant de reprendre un autre mouvement avec ses instruments à vent, à voix gonflées…
Trois chauves-souris zigzaguaient dans le ciel d’un vol maladroit dont on ne devinait jamais la direction. Une sorte de bal un peu follet, elles surgissaient d’une ombre puis disparaissaient à nouveau.
Leia, la grande, était restée avec les adultes, elle connaissait déjà la musique. Privilégiée, puisqu’elle est la première des petites filles, elle prit sa large part à l’audition des musiques batraciennes longtemps avant les autres.
Ce soir de juillet 2016, j’étais dans l’attente de leur arrivée, je me promenais dans l’allée éclairée par un réverbère, la lune était en renfort de luminosité. J’ai toujours mon petit compact de poche sur moi, j’ai donc tenté quelques clichés que je savais ratés d’avance. L’ambiance étrange qui régnait dans la nuit m’enchantait et le chant des grenouilles rajoutait une étrangeté vocale supplémentaire au tableau…
Hier soir, je retrouvais le cliché pour me replonger dans le décor d’une attente.
Mon imagination n’eut aucun mal à rencontrer une atmosphère plus étrange encore.
Une deuxième lune était apparue, bien plus grosse et plus éclairante que le vrai Séléné.
Je suis resté un bon moment devant ce cliché inventé pour me plonger dans le mystère profond de la vie et de l’au-delà.
Ce sont des moments précieux, des moments intenses au cours desquels je m’autorise l’impossible, j’accède aux secrets des dieux dont j’invente les clés à ma guise. Les clés magiques de l’imaginaire capables d’ouvrir toutes les portes des mystères qui nous font signe.

Hier matin, en allant au jardin, j’ai rencontré la rainette. Elle fut patiente, ou alors était-elle encore endormie… J’ai pu la photographier, en me promettant de faire un tour dans la nuit énigmatique aux lumières scintillantes, une fois le soir tombé.
Voilà comment je parviens à rêver et à m’embarquer pour un long voyage à travers ciel étoilé…



Entre rêve et réalité, il faut dire que le paysage doit s’y prêter, la photo mystérieuse annonce d’entrée de quoi il retourne.
Il y a aussi quelque chose d’étrange dans l’attente, vous ne pensez pas?
Oui, sans doute aussi 🙂