… les œufs ?
Cela me semblait une extravagance.
Les poules qui se mettent à déserter le nid, j’ai connu cela durant mon enfance.
Une poule, toujours la même, dès le début du printemps, fuguait. Elle quittait le poulailler et ne revenait même pas le soir. Grand-mère était inquiète car le renard rôdait dans les environs presque toutes les nuits. On entendait ses aboiements.
Grand-père disait : « U senti, u senti ! » (Tu l’entends !) dès qu’il se rapprochait des maisons et donc du poulailler, il aboyait comme un chien.
C’est ainsi, croyant duper son monde en imitant le clébard de la famille, qu’il se faisait repérer. Un glapisseur qui aboie c’est comme un piètre imitateur qui est seul à penser qu’il imite bien.
Notre saisonnière géline fugueuse restait introuvable.
Dans un premier temps, mère-grand pensait qu’elle avait fait une mauvaise rencontre, croquée… et que cette alléchante surprise pour notre goupil, l’avait fidélisé à fréquenter les parages aux alentours de vingt-deux heures. C’est qu’il avait ses heures, le bougre !
Après deux jours de recherches, juste pour la forme ou se donner bonne conscience, grand-mère avait retrouvé la grande blanche complètement étalée dans le foin, bien cachée par les hautes herbes, tout près de la muraille du jardin. Elle couvait à l’abri des regards en méfiante cocotte qu’elle était.
Elle en avait assez de voir ses œufs et ceux des autres poules disparaître tous les jours, presque après pondaison. Ah mais ! Ça suffit, y a pas moyen d’avoir un poussin dans ce quartier !
Très inquiète pour son sort, minnana (grand-mère) l’avait laissée tranquille. On verra bien ! Disait-elle.
Douze œufs sous son ventre, rendez-vous compte ! Cela devait faire un moment qu’elle avait préparé son coup. Ou alors, elle avait invité quelques copines à pondre là en leur promettant de bien s’occuper de leurs petits.
A l’époque, nous mettions une poignée de porte de forme ovoïde en porcelaine pour inciter les poules à pondre au nid, toujours au même endroit. On appelait ce leurre « u nidicali » (l’indicateur du nid)
Après, la longue absence pour couvaison, notre chère poule apparaissait, le cou dressé, la tête haute avec tout une colonie de vacances à ses basques. Qu’elle était fière Blanchette ! Elle paradait au milieu des autres, indifférentes à son apparition après une si longue absence. On avait l’impression de les entendre médire : Cocotte se prend pour une mère poule ! A voilà, la belle ! Tiens, elle a dû batifoler encore ! Je comprends pourquoi elle tournait autour du coq ! Si elle croit qu’il est amoureux d’elle, elle se trompe ! Toutes y allaient de leur mauvais gloussement. Blanchette s’en fichait, elle n’écoutait que le doux pépiement de ses poussins. Il y a même la bressane, la plus médisante qui ricanait en s’adressant à la grise Gournay » T’as vu l’épervier qui tourne dans les airs ? Bientôt il va fondre sur un petit jaune, on va rigoler, elle se prend pour la reine de la basse-cour et croit que maître coq va être fier d’elle… Hou la prétentieuse ! »
Basta ! Toute la poupoulasse la regardait avec dédain, personne ne venait la féliciter. Les poussins ne pensaient qu’à la suivre et lui courir après. Le coq, était perché sur une branche basse du figuier et surveillait son monde en cocoricotant de temps en temps. Les plus craintives gélines baissaient la tête, des fois qu’il ne lui prenne l’envie de venir les secouer. C’est qu’il secoue fermement, il ne fait pas dans la douceur lorsqu’il en attrape une par surprise. Un coq c’est comme ça… mais un jour, au vin, avec des croutons passés au beurre, accompagnés de champignons, il fera le régal dans la chaumière. Il ignore qu’un plus jeune que lui, prendra la relève et peut-être, celui qui va lui succéder avant de l’envoyer à la casserole est parmi ces poussins qu’il a engendrés.
C’est la vie à la basse-cour. C’est comme ça !
Bref, ce n’était pas la joie dans la petite société gallinacée. On aurait dit des humains aux humeurs tordues…
Cette histoire ancienne a resurgi de ma mémoire hier soir en allant fermer le poulailler. La nuit venait de tomber et mes poules étaient encore en vadrouille. En me voyant arriver, deux d’entre elles sont venues à mes pieds et semblaient me reprocher quelque chose. J’essayais de les pousser vers le poulailler, rien à faire.
J’ai compris lorsque la Harco qui m’a appris leur langage, me lança : « Cotcodéco coco, cotcotcot coda ! » ce qui signifie une fois décodé : « Distrait va ! Tu as laissé la porte fermée, comment veux-tu qu’on rentre ! »
Le matin, en nettoyant le poulailler, j’avais oublié d’ouvrir la petite porte que je suis obligé de fermer pour récupérer le tiroir à fientes.
Evidemment, rien dans le nid. Mais où avaient-elles pondu ?
Je n’ai rien trouvé et la blanche qui couve à vide depuis quatorze jours est restée toute la journée dehors. J’étais content et paf ! Je venais de comprendre pourquoi.
Ce matin, elle recommençait sa comédie.
Ce matin, j’ai passé tous les recoins en revue.
Dans le vieux composteur vide, tout au fond, dans son angle gauche, elles avaient fait un nid et pondu cinq œufs. Difficiles à récupérer. j’y suis parvenu avec un râteau.
J’ai eu du mal, à plat ventre…
Et elles, toutes autour de moi, m’encourageaient : » Simonu ! Simonu ! Simonu ! »
Puis voyant les œufs ramenés vers moi en tirant le râteau, elles se mirent à battre des ailes en signe d’applaudissements.
J’ai peiné à me relever.
Elles ont failli m’aider car les facétieuses n’ont pas envie de me perdre. Elles pensent que je suis un gentil chef de poulettes.
On s’attache… On s’attache
Heureux celui qui vit à la campagne et cultive son jardin… il a loisir de s’inventer des histoires à faire rêver les enfants.
Oui, oui, vous avez raison, les grands aussi !
Bonjour Missiau J’ai beaucoup apprécié ce texte
Merci petite fille, tu sais que grand-père aime beaucoup vous raconter des histoires.
J’espère qu’un jour, vous aimerez rêver et faire rêver en écrivant.
Missiau t’embrasse, ta poule blanche couve encore 🙂
Bonne journée à vous quatre.