Plus qu’un provincial, un corse à Paris.

J’ai déjà raconté cette anecdote mais trop brièvement.

Je vis en moyenne ou petite montagne, il fait encore frisquet la nuit, ce n’est pas le moment de mettre un plant de tomate dehors. Et puis, les Saints de Glaces, toujours mystérieux, une année ça va, l’autre c’est dégâts, restent une menace pour les jeunes plantations. Alors, je temporise mais j’ai hâte de commencer.

En attendant, j’expérimente, car mes semis devenus grands, n’en peuvent plus de se trouver à l’étroit. Cette année ce fut avec les moyens du bord, la faute à ce maudit covid19, il ne manquait plus que celui-là !

Ce matin, j’étais heureux. Le soleil brillait, les oiseaux me chahutaient, les merles surtout avec leur bougeotte et leurs cris perçants lorsqu’ils sont surpris et filent en contrebas comme des plongeons pêcheurs.
Bref, je me suis amusé à planter à mi ombre, au soleil, quelques plants de concombres et de tomates que je vais surveiller. Une manière de tester la réaction des plantes à la température ambiante, les autres attendent avec impatience.
Presque dans la posture des paysans visibles sur le tableau « L’angélus », je regardais la terre.
Belle, bien noire, humide des dernières pluies, quelques lombrics fous avaient même refait surface, une terre qui semble féconde et vous enchante un jardinier.

J’adore cultiver les contrastes de la vie c’est-à-dire cultiver mon jardin intime. C’est ainsi que je fus transporté, après l’image apaisante évoquée par le tableau de JF Millet, de nombreuses années en arrière, je n’ose dire le nombre tant c’est vieux, pour me remémorer un vilain souvenir.

J’étais dans la région versaillaise, c’était la fin de ma première année et mon premier déménagement. Nous étions condamnés à déménager souvent car nous étions trimballés aux quatre coins des Yvelines durant les cinq premiers ans de fonction.

Nous n’avions pas de meubles mais beaucoup d’affaires à transporter. Quelqu’un m’avait prêté un chariot monté sur deux roues de petit vélo que je tirais comme une modeste remorque…
Les tickets de train étaient valables pour la journée et ne devenaient caducs qu’une fois poinçonnés par un contrôleur. Un jour de cocagne pour un triste porte-monnaie. Je pouvais faire plusieurs voyages tant que je n’avais croisé le tueur de tickets.
Nous avions trouvé refuge Boulevard Montparnasse pour nos affaires et je faisais donc le va et vient entre Versailles et Paris.

A mon dernier passage, la nuit commençait à tomber, le train s’afflanca (verbe inventé) à un quai en réfection, en voie de pavage et totalement recouvert d’une couche épaisse de sable. Je me tenais devant la sortie sans entrer dans le compartiment pour ne gêner personne avec mes affaires. Je suis donc descendu le premier me trouvant piégé, embourbé jusqu’à mi-roue, incapable de faire avancer mon engin de transport pour devancer la foule.
Une vague mouvante de voyageurs pressés de rentrer chez eux, des bestioles soudain sorties d’une fourmilière, se mit en branle sans état d’âme, cherchant à forcer le passage, tête baissée et les idées ailleurs. Plus rien n’existait dans leurs pensées de confinés que leurs petites affaires.J’étais balloté, cahoté, bousculé presque poussé pour laisser le passage.
Une sorte de crue humaine, sortie du souffle chaud d’un wagon, filait droit sans la moindre ondulation. Elle emportait tout ce qui encombrait passage.
J’étais planté comme une statue fixée là avec ma cariole, pour faire joli mais très gênante statue.
Une sculpture en chair et en os que tout le monde ignorait.
En quelques faibles minutes, le quai était désert.
J’étais seul à Paris. Perdu si loin de chez moi.
Un sanglot me monta à la gorge sans que je puisse le réfréner, j’ai levé les yeux au ciel, trois corbeaux se dirigeaient vers le sud.
Le ciel était gris et lourd, je me suis embarqué dans leur train pour filer vers ma Navaggia natale.

La fontaine de Carianonu.

En quelques tire-d’ailes, je survolais la fontaine de Carianonu, puis les toits de Piazza di Coddu, enfin notre maison.
Grand-mère venait de rentrer. Je l’ai vue s’engouffrer dans la salle à manger cuisine, j’ai juste eu le temps d’apercevoir son tablier noir.
La cheminée fumait, tout le bonheur de mon enfance m’envahit les poumons, la veillée sera longue ce soir, ils penseront à moi…

Revenu à la réalité, j’ai quitté la gare Montparnasse en essuyant quelques larmes.

Aujourd’hui à l’ombre de ce mauvais souvenir, j’étais heureux de n’être plus bousculé que par les merles et les geais.

Ici, la vie est belle, je sais que je m’en irai heureux…   

Ma Navaggia s’est endormie…
Elle dort profondément.

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