Je profite du confinement pour reprendre certains textes écrits dans l’ancien blog et versés dans celui-ci dans un état souvent désagréable pour la lecture. J’en profite pour les améliorer un peu car je les publiais en premier jet, pour la plupart.

A Zinella est le nom de mon coin favori, ma pergola à flanc de maison sous laquelle sommeillent tant de souvenirs.
Ici, tout est histoire, jamais chamaille.
C’est un lieu où l’on vient se ressourcer, oublier un instant les tracas de la vie.

Voici comment tout a commencé.
Je rêvais d’un endroit convivial pour passer nos soirées d’été dans ce coin retiré de l’Aratasca où seuls les hiboux bouboulent encore la nuit, où les couleuvres paressent au soleil ardent, où les belettes viennent quémander des restes de pain très tôt le matin … Les perdrix ont déserté la colline, on ne les voit plus traverser le terrain pour regagner leurs quartiers de jour ou de nuit. Les geckos inconnus par ici, se sont installés, sans doute à la faveur du réchauffement climatique et traquent le moustique ou le papillon de nuit, plaqués sur le mur, à l’affût non loin d’une source de lumière…
Tout était prêt. Le barbecue mural, le four à bois, il ne restait plus qu’à inventer une pergola pour avoir un peu de fraîcheur le midi.
Annie était chargée de trouver une plante grimpante à croissance rapide pour composer une couverture efficace. Elle avait posé deux pots du côté de la barrière, elle ne se souvenait plus du nom de la plante proposée par le pépiniériste. Quelques fleurs blanches déjà prometteuses, injectées d’un bleu céleste légèrement soutenu, témoignaient de la beauté à venir de notre voûte rafraîchissante.
Le soir, une vieille dame qui devait diner avec nous, s’arrêta devant le végétal fleuri et s’exclama :
– Oh, j’ai vu de belles pergolas avec cette plante…
– Alors vous connaissez le nom ?
– Non, je ne m’en souviens plus ! Puis dans la foulée, alors qu’elle réfléchissait encore, je lui demandai :
– Ce n’est pas una Zinella, par hasard ? » Sa réponse fusa instantanément.
– Oui, c’est ça, ça me revient maintenant, c’est bien ça !
Le nom que je lui proposais venait de surgir d’un vieux souvenir. J’ai bien essayé de lui expliquer que je plaisantais, que je venais d’inventer le mot… rien n’y fit, c’était bien son nom, jurait-elle, elle en était certaine et n’en démordait pas. Alors, je n’insistai plus.
J’avais dix-sept ans et je commençais à jouer au bridge avec des anciens du village. Il était seize heures et nous venions d’achever une partie chez Vescu. Nous étions six sur le trottoir, lorsque Charlot qui habitait juste en face du bar se présenta devant nous. Il s’adressa directement à Antoine, sans doute l’homme le plus facétieux du village :
– Tiens ! Ce matin, je suis allé à Bonifacio, j’ai acheté du poisson. Dans le tas, j’ai vu un spécimen bizarre, personne ne connaissait le nom. Ni les pêcheurs, ni les poissonniers.
Antoine qui avait l’imagination fertile et la réplique facile dégaina instantanément :
– Mais Charles, tous les poissons ont un nom, peut-être qu’ils ne le connaissent pas !
L’estivant villageois, au bagout typiquement marseillais n’était pas un homme commode. Connu pour avoir le verbe haut, il s’emporta un peu puis fila chercher son mystérieux animal.
Antoine, metteur en scène habile, eut tout son temps pour monter le sketch qui allait suivre. Il demanda à deux personnes de s’éloigner vers la mairie à gauche, à deux autres vers la fontaine de Vichy à droite. Rapidement, sans aucune réflexion, il leur souffla :
– Vous direz que c’est « una Zinella » (nom inventé sur le champ).
Je restai avec lui. Dès que Charles apparut avec son poisson inconnu, Antoine lui annonça sans hésiter :
– Oh ! Mon Dieu ! Charles, tout le monde le connaît, c’est una Zinella !
– Quoi ? S’étonna-t-il.
Les deux premières personnes revenaient vers le bar, s’émerveillaient de voir la bête sans qu’on ne leur demande rien :
– Oh ! Tiens, una Zinella, il y a longtemps que je n’en ai vu…
Voyant arriver les deux autres de l’endroit opposé, Charles nous fit signe de nous taire, et questionna :
– Et vous, vous connaissez ce poisson ?
– C’est una Zinella ! Affirma sans hésitation l’un d’eux.
– Tu vois, il est connu. Il n’y a que toi et tes pêcheurs qui n’y connaissez rien ! Répliqua Antoine toujours pince sans rire.
Charles, si prolixe et pagnolesque d’ordinaire, tourna les talons, fila chez lui la tête basse, sans demander son reste.
Le soir, lorsque la vieille dame s’interrogeait devant ma plante, je me suis souvenu de cette anecdote qui a ressurgi quarante ans plus tard, en une fraction de seconde. Une fulgurance provoquée par la réaction de la vieille dame.
En signe de boutade je ressortis ce nom. La personne insistait, avouant être sûre d’elle, malgré mes rétractations.
Ce fut un moment inattendu. Sur le champ, ma pergola fut baptisée « A Zinella ».
Un nom tout indiqué qui s’accompagne de deux jolies anecdotes, l’une appelant l’autre.
L’été, désormais, nous prenons nos repas à l’ombre de cette histoire.
Ma Zinella n’était autre qu’un solanum grimpant à petites fleurs blanches et bleues. Elle n’a pas supporté la première gelée hivernale.
Quant à la Zinella de Charles, poisson sans nom, méconnu des pêcheurs, est restée un mystère. Personne n’a identifié le poisson.
Un jour, j’en dessinerai un sorti de mon imagination et le ferai réaliser par un sculpteur pour le placer au fronton de ma cuisine d’été.
Je me souviens des soirs, je me souviens des nuits à l’abri du monde.
La lune nous regarde et parfois oublie son chemin pour converser avec nous jusqu’à très tard après minuit. Les étoiles qui brillent à ses côtés, l’accompagnent dans ses bavardages et s’attardent avec elle. Elles scintillent, elles clignotent comme si elles riaient de nos bêtises envolées. Dommage, elles sont si lointaines, nous aurions volontiers partagé leurs éclats communicatifs… Peut-être, Séléné leur susurre de pouffer sans faire de bruit comme elle, qui pourtant rit à gorge déployée.
La brise de minuit se lève en douceur comme une âme qui passe, mystérieuse et caressante, faisant trembler quelques feuilles. Un bruissement léger accompagne les branches qui frissonnent au passage d’un fantôme en vadrouille.
Le hibou, éclaboussé par la vive lumière qui perce la nuit noire ne comprend pas nos paroles trop hautes, se pose à quelques mètres seulement, s’étonne de nous voir encore en goguette si tard lorsque le monde environnant vagabonde dans ses rêves.
Même pas peur ! Nous inflige-t-il, en gonflant ses plumes qui le font paraître encore plus impressionnant. De son regard réprobateur d’instituteur, il menace de fondre sur la table et la balayer de ses ailes puissantes. Nous lui parlons quelques instants, il tend ses aigrettes comme des pavillons attentifs…Puis, dans un battement silencieux de ses grandes rames, le noctambule se soulève, plonge vers la vallée et s’évanouit dans l’obscurité.
U mocu, le scarabée rhinocéros attiré par les lampions, tournoie au-dessus des têtes. Il hésite, tamponne une bouteille et parfois atterrit dans un verre.
Survolant l’assistance, on dirait qu’il cherche le plus craintif. Son vol est désordonné tout en zigzags et décrochages pour mieux affoler les plus peureux qui quittent la table précipitamment. Il vient de se poser sans élégance dans un bruit sec au milieu d’une assiette. Pataud, incapable de redécoller, il devient proie facile. Je l’attrape pour le lâcher plus loin. Sa carapace est coriace, ses pattes rigides très puissantes sont d’une force incroyable. Totalement inoffensif, simplement attiré par la lumière, il vient mettre un peu d’agitation dans la léthargie qui gagne la tablée à mesure que le matin se fait plus proche.
Une souris, un campagnol peut-être, grimpe nonchalamment au mur de la maison, se réfugie derrière la descente de gouttière et se dirige vers le toit trahi par sa longue queue fine qui dépasse.
Les horloges s’apprêtent à sonner les matines, seuls quelques papillons de nuit sont restés collés aux abat-jours, à cette heure tardive, toute vie cherche le sommeil.
Les paupières, tels des stores fatigués, dégringolent sous le poids de Morphée qui se couche aussi… Il est temps d’aller dormir.
A Zinella devenue champ de bataille attendra demain pour retrouver la paix.
Les lampes s’éteignent.
L’obscurité règne à nouveau, les étoiles sont lasses, la lune cherche son berceau derrière la colline, le silence revient, seuls quelques grillons inquiets de notre présence, restés muets jusque-là, stridulent leurs dernières notes.
Ça ronfle dans les chaumières…