Même le plus courtois du monde…

Le milieu de la pétanque, entre autres sans doute, est un vrai réservoir pour psychologues. Il est très parlant pour révéler humeurs, caractères et personnalités…

Il avait été adopté par les gens du village. C’est ici, à Lévie dont son épouse était originaire, qu’il passait ses vacances estivales en famille. Un passage annuel obligé, un bain rural qu’il appréciait particulièrement en délaissant son Créteil continental, pour un mois. Cet homme m’a toujours impressionné par sa courtoisie naturelle et sa gentillesse peu commune, il faisait l’unanimité autour de lui.

J’ai quelques fois été son partenaire de pétanque dans des concours, c’était un régal. Les adversaires, pas toujours très corrects, parfois coléreux et volontiers querelleurs, se trouvaient désarmés devant cet homme au calme olympien, à la bonté chevillée au corps. La classe dans le jeu comme dans sa conduite avec les autres.
Avec lui, la pétanque devenait un plaisir, d’autant que la victoire était souvent au-rendez, ce qui ne gâchait rien. J’ai encore en mémoire une finale qui se jouait en quinze points, gagnée 15/4 contre une doublette redoutable très connue. Certaines personnes nous avaient suivis toute l’après-midi. Nous eûmes droit aux félicitations et aux remerciements pour saluer notre manière de jouer à la pétanque, avec élégance et efficacité, avouèrent-ils. Je pourrais même décrire des mènes, presque cinquante ans plus tard, tant notre communion et notre immersion dans le jeu étaient grandes.

Un jour, nous étions à Paccionitoli sous les chênes à l’entrée du village. C’est là que se déroulait le concours annuel durant la fête patronale. Il était midi, au micro, les organisateurs demandèrent l’arrêt des parties annonçant la reprise vers 14h. Notre ami voulait rentrer déjeuner chez lui. Les responsables de la fête avaient prévu un repas froid à prendre sur place sous les arbres pour garder le caractère festif et amical, d’autant que certains joueurs venaient de très loin. Nous décidâmes de rester avec les autres participants.

Comme tout le monde, nous sacrifiâmes au « saint pastis » d’avant repas. Une belle brochette de pétanqueurs piétinait devant le comptoir en planches de coffrage, monté expressément pour la circonstance. Le rituel était bien rodé, le tien, le mien, le sien… les gobelets se remplissaient avant d’être finis, sans savoir d’où venait l’ordre de charger les verres. C’est une pratique courante par ici, qui boit un verre offre sa tournée, de sorte qu’il est difficile d’échapper à ce que l’on appelle « une embuscade ». Notre bouliste n’avait pas l’habitude de dépasser le deuxième voyage anisé. Je le regardais, déjà tout rouge, le sourire proche du rire aux éclats et toute inhibition envolée. Ce n’était point habituel pour lui, toujours sur la réserve et la bienveillance. Il avait repéré une jeune dame en bikini qui se dorait au soleil à quelques pas de nous, exposée à un rayon entre deux chênes. Il n’arrêtait pas de jouer du coude et de flatter l’image de la belle, admiratif de sa plastique, à bonne distance tout de même. Il était très partageur notre ami et faisait volontiers profiter les autres de sa découverte. Le barman allait et venait le long du comptoir et lui, l’appelait, insistait sur le charme de la créature. Mais rien n’y faisait, personne ne renchérissait, tous étaient muets ou faisaient diversion. Plus on l’ignorait, plus il en rajoutait. Au bout de quelques longues minutes, le barman s’approcha et lui déclara :

– Monsieur c’est ma femme !

J’ai bien cru qu’il allait s’étouffer :

– Mon dieu, qu’est-ce que j’ai fait aujourd’hui de boire ? (Faisant mine de s’agenouiller) Pardon monsieur, je ne suis pas comme ça, c’est la première fois, demandez à Simon, il me connaît bien…  

Je n’avais jamais vu Jean en panique de la sorte, presque prêt à se flageller.

Evidemment, le personnage était connu et tout s’arrêta là.

Depuis cette mésaventure, il n’a plus jamais dépassé le deuxième pastis et échappait à toutes les embuscades.
Le jour où je lui ai présenté ce texte, il s’en souvenait encore.
Ce même jour, il m’avoua qu’il avait reçu la médaille de la courtoisie décernée par la mairie de Créteil pour sa légendaire attitude de bienveillance envers tout le monde.
Il était très fier de retrouver son Créteil natal avec ce souvenir de Paccionitoli, peut-être la seule fois qu’il dérailla dans sa vie.
J’ai deviné son plaisir contenu à son regard perdu dans le vague qui laissait poindre un brin de malice…

Même le plus courtois du monde n’échappe pas à ces choses-là.

Jean Fortuny, « di i Patateddi », si vous l’avez reconnu, a vite fait de retrouver son image d’homme sage… C’est ainsi que nous l’avons toujours apprécié.

Ecrit en 2012, ce texte vient d’être revisité pour une meilleure mise en page. Depuis, Jean s’en est allé… On parle encore de lui, le soir à la Piazzona où il y a tant fait chanter les boules…

Une image de naguère au groupe scolaire. Hélas, je n’ai retrouvé aucune image de lui.
On en parle encore, le soir à la Piazzona.

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