L’odeur de la pizza n’est pas bien loin. Ça titille la mémoire.
Une cousine nous avait invités dans une pizzeria de plein air un soir d’été. Il faisait très chaud, les moustiques s’en donnaient à cœur joie et cela me rappela les gigots au barbecue d’un oncle de mon épouse.

Le gigot barbecue c’était son dada.
Il adorait régaler, c’était son expression et pour régaler la galerie c’était agneau de Cisteron tout proche.
Très matinal, le jour de gala, il passait des heures à tourner la broche au-dessus d’un brasero pendant que moustiques et moucherons, attirés par le fumet aromatisé aux herbes de Provence venaient tournoyer avant de s’abattre en masse sur le croustillant. La partie extérieure toute noire et enrobée de multiples cousins et cousines anophèles, moucherons et moucheronnes carbonisés, faisait l’admiration de tous.
Oncle Emile était aux anges lorsque les invités venaient lui taper sur l’épaule pour le complimenter de cette odeur qui n’attirait pas que les moustiques.
Ah ! Le gigot d’Emile ! On en parlait même à Noël.
Ah ! Ce Mimile, c’est le roi de la broche tournante !
Vous ne pouviez pas faire mieux pour le mettre en joie débordante.
Ceux qui aimaient la partie cuite et réclamaient la croustille, ne se rendaient pas compte de cet enrobage moucheronneux. Thym carbonisé et insectes brûlés se confondaient dans un ensemble bien grillé.
Le rosé abondant, bien frais et les parlottes qui précédaient le repas autour du barbecue anesthésiaient toute faculté d’observation.
Personne n’avait rien remarqué et tous se délectaient allègrement sans savoir qu’ils avalaient une quantité considérable de bestioles boucanées.
Je raclais cette partie moucheronnée mais n’avais aucun dégoût pour accompagner les autres dans ce méchoui original.
Je les observais se pourlécher les babines et se sucer les doigts.
Cela se terminait toujours dans les vivats unanimes et la promesse d’un nouveau méchoui.

Nous étions donc, comme dans une hacienda mexicaine pour une soirée pizza. Les tables étaient éparpillées parmi les chênes, l’ambiance était à l’insouciance. Un peu à l’écart, le pizzaiolo s’affairait, suivait tant bien que mal le rythme des commandes qui s’accélérait, je le voyais à la peine. La cousine toujours curieuse de savoir comment on procède en cuisine, me demanda de l’accompagner vers l’homme à la patte leste à la pâte, au pétrissage. Aussitôt, je lui ai suggéré de ne pas y aller. Elle m’a fait les gros yeux de réprobation, ne comprenant pas pourquoi. La prenant au haussement de sourcil, je l’accompagnai. Dès que nous fûmes à un pas de notre homme, celui-ci s’arrêta net. Dérangé dans son rythme et ses gestes, il ne bougeait plus. Une dizaine de grosses gouttes de sueur perlaient et brillaient sur son front. Ne tenant plus de rester immobile, presque menaçant de tout laisser choir au moindre mouvement, il haussa le regard sans trop broncher. Lorsqu’elle lui tendit la main pour le saluer, elle venait de le reconnaitre, le lot entier de perles lâcha prise pour atterrir sur la pâte aplatie. Dans un geste machinal comme pour faire oublier cette averse soudaine, il retourna la pâte prestement… Le sentant dans la gêne, nous sommes retournés à notre place, à une vingtaine de mètres de là.
Vous imaginez quelle a été ma réaction lorsque les pizzas (orthographe à la française) sont arrivées sur la table. Connaissant un peu la cuisine, je savais qu’au dos des pizzas chauffées au four à bois, on avait des chances de trouver des cloques sur la partie en contact avec la sole surchauffée. Je lui ai demandé de soulever la sienne et lui montrant les boursouflures, je lui dis :
« Tu vois, ce sont les gouttes de sueur… » Bien que ne sachant pas si c’était la bonne pizza, elle n’a rien mangé.
Moralité : Si tu veux manger tranquille, ne bouge pas de ta place, anesthésie toute curiosité, ferme les yeux et savoure. Même sans fringale mais avec un peu d’envie tu trouveras quelque plaisir en bouche.
J’en connais bien d’autres et des plus vilaines mais je ne vous les dirai pas.
Bon appétit quand même !


