Beau temps dans le maussade.

C’était un mauvais jour de mars, le temps était en rogne. Bof, en petite rogne.
Pluie, parfois battante sous les rafales du vent, parfois crachin, des fines aiguilles succédaient aux hallebardes.
Le brouillard montait de la vallée, un souffle soudain le ballota, le tira et le retira comme un rideau diaphane qui joue sur la colline juste en face de ma fenêtre. On aurait dit que la météo s’amusait ou vérifiait si toutes ses composantes étaient bien au point, bien huilées, si tout fonctionnait comme il se doit avant d’entrer dans le printemps tout proche. Bref, ce n’était pas un temps à mettre un Kodak dehors, tout de même.
Dans l’âtre les flammes dansaient comme au vieux temps. Les braises se ravivaient à la faveur d’un souffle qui grondait dans le conduit de la cheminée et venait balayer la cendre superficielle qui semblait endormir le foyer. Une incandescence soudaine, une gerbe d’étincelles et la petite follette devenait bleue, s’allongeait, « s’orangissait », léchait l’écorce voisine, la fumait puis l’enflammait… C’est toujours le même spectacle, hier et aujourd’hui se ressemblent dans un feu de cheminée.

Le soleil avait disparu pour la journée. Il cherchait une fenêtre à travers ciel, là-bas dans un autre lointain.
Demain, après-demain, dès qu’il pourra, il reviendra.

Par temps mauvais, j’ai pris l’habitude de jouer à cache-cache avec les oiseaux, tapi derrière le rideau de ma fenêtre. Mon regard est perdu comme celui des vieux qui voyagent dans leur passé pour oublier que l’heure approche. Parfois un vague sourire se dessine sur mon visage, un bisaïeul s’est animé dans mon esprit, il farfouillait dans les cendres lorsque son coucou se mit à sonner trois coups. Il a jeté un regard vers la pendule puis a tiré sa montre à gousset enfouie dans la poche de son gilet, l’heure coïncidait avec celle annoncée par son vieux coucou toujours alerte. C’est pour cela que son visage s’est illuminé, tout est parfait. Le regard pointé vers les flammes, le front appuyé contre la tablette de la cheminée, il se replongea dans une profonde méditation. Ses jours s’en allaient, sa jeunesse gambadait dans sa tête, il imaginait le futur de ses arrière-petits-enfants. Mon frère sera médecin et moi pharmacien, c’est raté, nous passons chez l’un et chez l’autre mais ne sommes ni l’un, ni l’autre…

Quelques sautillements sur le chemin derrière le grillage attirent mon regard.
Difficile à distinguer.
Qu’est-ce que c’est ?
Tiens ! Une grive, ce n’est pas tous les jours qu’on en voit une.
Elle semblait décidée à se donner en spectacle.
Nous avons bavardé du regard, longtemps.
Elle semblait rassurée derrière le grillage, allait et venait le long du muret, disparaissait et réapparaissait jetant un œil vers la fenêtre.
Elle trottait menu mais d’un pas alerte, légère, en maraude sans doute. Elle sautillait, piochait une graine ou quelque vermisseau remonté à la surface avec la forte humidité. De sa patte preste, elle grattait et chassait les feuilles mouillées, laissant la place griffée, le sol légèrement labouré. Elle sait que sous les limbes brunis par l’hiver finissant se cache une limace, peut-être un lombric en quête d’humidité.
Son dos couleur broussaille la fond dans le paysage.
Pour la photo, elle gonfle son poitrail blanc largement moucheté de taches sombres. Elle se présente presque hautaine, le cou dressé. On dirait qu’elle se pavane en affichant sa livrée piquetée.

Difficile à voir… Je suis en bas à gauche.

C’était maigre jour.  Seule, la grive est passée par là.

Il y a des moments bénis. Une vague conversation imaginaire me suffit. Je regarde, j’écoute et je me tais pour ne perdre miette. On dirait que les oiseaux me connaissent, ils me consacrent quelques instants qui me paraissent interminables.

Je peux rester ainsi, parfois une heure et plus, planté devant un spectacle de la nature. Il m’est arrivé de guetter une araignée courge – c’était l’été – pendant un très long moment. Un insecte s’est pris dans sa toile et j’ai découvert la prédation…

Araignée courge sur une inflorescence de férule.

Les jours maussades, aussi, sont des jours heureux pour qui plonge dans la joie de vivre sans se soucier d’un futur où se planquent les mauvais esprits.

Le beau temps se repose toujours derrière le maussade…

Brrr ! Je ne vois pas de beau temps dans le maussade…
Alors ce poitrail piqueté, il te plait ?
T’as fini tes photos ? Je ne vais pas m’éterniser dans cette humidité !

1 Comments

  1. Qu’elle est jolie, et que le texte qui l’accompagne est beau, il y a toujours un petit éclat de lumière dans le maussade.

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