L’ami Petti-Russu (Rouge-gorge).

Il était apparu durant la période automnale lorsque je retournais encore la terre à l’ancienne, en vue des plantations printanières. Puis, il faisait des visites hivernales espacées semblant me surveiller de loin dans une discrétion totale. Il a l’air regardant mais il reste très réservé. C’est en période de labour qu’il se montre peu méfiant…

C’était un beau jour de mars, ensoleillé, la température était clémente. Je bêchais en enfouissant un peu de calcaire avant l’apport de fumier en prévision d’un été fécond.

Dans un coin du jardin, Merlette fouillait dans les feuilles mortes et bien plus que mortes, chargées d’humidité, le limbe en dentelle noire. Elle grattait sans élégance, on dirait qu’elle est toujours pressée et qu’elle nous surveille du coin de l’œil, les coups de pédales saccadés et le regard méfiant. Dès qu’elle estima que je n’étais plus à distance convenable de sécurité, elle détala en rase mottes comme une flèche, me frôlant au passage. Elle lâcha un cri aigu juste sous mon nez, exprimant toute sa colère de me voir là, à déranger les oiseaux.
C’est très égocentrique un merle, il croit que tout est dirigé contre lui…

Là, c’est Merle qui me dit : Dégage !

Je repris mon ouvrage de laboureur, à allure modérée. C’est à ce moment qu’apparut le rouge-gorge.
Il procède toujours ainsi.
D’abord, il se poste sur le grillage ou sur le grand rocher puis il s’approche et trottine sur la terre fraîchement retournée. Il a une bonne vue et repère facilement les lombrics qui gigotent à la surface du sol. Alors, il pioche, pince, lève la tête au ciel, actionne son bec comme s’il faisait des vocalises et avale tout de go son ver préféré. Il scrute à nouveau le sol, sautille quelques pas sans trop se soucier de ma présence et hop ! Il pioche un nouveau coup. Il s’arrête un instant, me regarde en penchant la tête et me montre ses moustaches qui remuent. On dirait qu’il m’interpelle avec ce vermisseau qui s’agite de part et d’autre du bec comme des moustaches frémissantes : « T’as vu les belles bacchantes ! »

T’as vu mes moustaches ?

U petti-russu, c’est ainsi qu’on le nomme chez nous, est mon rayon de soleil. Son calme et sa livrée mandarine tranchent avec la mauvaise humeur de merlette toujours en rogne noire, en accord avec son plumage. On le dit courageux. Je crois plutôt qu’il a confiance une fois qu’il vous a jugé. Rien à voir avec Merlette toujours prête à vous bousculer au passage si elle en avait la carrure adéquate.

Au début, lorsque j’ai remarqué qu’il me suivait dès que je sortais avec la bêche, je restais immobile pour ne pas l’effaroucher.
J’avais probablement tort, je crois qu’il me faisait confiance et il avait raison. C’était mon copain, c’est lui qui distrait la solitude du jardinier.
Je m’asseyais sur une pierre pour le regarder, non pour l’observer, le regard vague plutôt rêveur. Impatient, au bout de quelques minutes, il me faisait comprendre que je devais reprendre mon labeur, les lombrics et les vers de taupin s’étaient enfouis sous la terre.
Comme pour nous humains, l’appétit lui vient en mangeant. Bref !

Pas mal celui-là !

C’est à ce moment précis que l’envie de jouer au maître d’école me prit. Une idée saugrenue, complètement folle.
En quelques minutes, j’ai confectionné une pancarte sur laquelle j’avais écrit « rouge-gorge ».

Je l’ai plantée dans un coin de la platebande, je me suis assis et j’ai attendu sa réaction pour prendre une photo, puis deux, puis trois…Je cliquais comme un malade !

Alors, t’as la photo ?

J’avais l’impression qu’il se moquait de moi : « Tu crois que je ne sais pas lire, regarde ! » et hop ! Il sautait sur le panneau. Depuis ce promontoire, il avait une vue idéale sur le labour.
Il allait et revenait, encore et encore.
Et clic ! Et clac ! Je n’arrêtais pas de lui tirer le portrait.

Là, c’est mieux ?

Nous nous sommes amusés un bon moment et puis, probablement repu, rassasié de vers dodus, il a disparu.
J’ai repris mon ouvrage en pensant que la prochaine fois, je mettrai deux ou trois pancartes, rouge-gorge, merle et mésange.
Là, on verra bien s’il sait vraiment lire son nom !

Sa pancarte sera la plus haute, il négligera les plus basses.
Il adore observer du point dominant.

Avouez que ce serait une belle image, le voyant sur son panneau… là, on pourra conclure qu’il sait vraiment lire.
Vous croyez ?
Il vient de me faire un clin d’œil complice en secouant ses ailes comme il ne le fait jamais.
C’est sa manière d’applaudir…Il lit dans mes pensées, désormais.
Mais d’où sort-il encore ?

Celle-là, j’en suis fier !

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