Mes jours à sauts et à gambades…
Vous venez de comprendre qu’en parlant de choses sérieuses, je vais vous sortir un truc pas possible, presque invraisemblable.
C’est mon estampille de baroudeur des idées perdues.
Aujourd’hui donc, jour de coronavirus en vadrouille, en goguette, en liesse, à la conquête de frontières nouvelles, je me suis laissé gagner par une idée farfelue. Une idée qui me poursuit depuis mes années lycée, une petite énigme insignifiante qui pourtant m’a toujours habité l’esprit. Vais-je terminer ma vie sans jamais éclairer ma lanterne vacillante de lueur ?
J’étais en première avec un bagage livresque proche de zéro. Je n’avais jamais lu un livre et c’est toujours le cas. Mes faibles capacités de lecture me condamnaient à avoir un appétit de moineau en ce qui concerne la littérature. Je picorais des mots en m’étant formé à une lecture très en diagonale pour ne pas épuiser ma fatigabilité à lire longtemps. Je portais les séquelles voire les stigmates d’un apprentissage très tardif. Avec ces mots, je cuisinais des idées toutes personnelles quitte à m’éloigner de l’idée originale d’un texte survolé trop rapidement. La cuisine personnelle n’est jamais très académique, mes productions restent confidentielles. J’ai beau sortir une idée intéressante, elle reste pipi de sansonnet sans une signature demi-prestigieuse.
Comment vouliez-vous, dans ces conditions, qu’un lycéen si peu cultivé brillât dans sa classe de première !
Personne n’était au courant de ma grande faiblesse. Je parvenais toujours, par une pirouette magique, à tromper l’ennemi. Je me souviens d’une exclamation au beau milieu d’une rédaction : « Bravo Cyrano ! » avais-je bombardé. A aucun moment, le personnage n’était évoqué dans mon développement. Il sortit de sa boite par surprise, brutalement. Et dans la marge, griffonnée d’un superbe rouge un « TBien vu ! » presque gravé à la Zorro au fil d’une plume acérée, par le prof de littérature. Imaginez ma fierté du moment. J’étais d’autant plus fier et étonné que je n’avais aucune idée du sens de ma magistrale sortie. Si le prof m’a encensé c’est que ça doit être une idée de génie. C’est toujours ça de pris en plein moral trop souvent en berne, ça fait du bien et ça remonte l’estime de soi.
J’ai longtemps gardé cette copie, j’ai failli l’encadrer avec l’espoir qu’un jour, je comprendrai ce que j’avais voulu dire.
Mon Cyrano, je le connaissais de nom seulement. De nez, de promontoire, de pic ou de péninsule, de réputation si vous préférez, non de lecture. Cette sortie en guise de botte secrète, c’était ma médaille d’or que j’avais gagnée dans un sport rarement pratiqué, totalement inconnu des autres. Dans ces conditions obscures, ça devenait fastoche pour moi de tirer mon épingle du jeu mais cette idée de facilité, je la refusais puissamment en me persuadant d’un exploit.
Je m’appliquais un effet pygmalion, un effet placebo d’une efficacité redoutable.
Bien.
Notre prof de français, personne singulière, ramassait les copies avec des gants de cuisine et mesurait son heure de cours avec un réveil posé sur son bureau. C’est ce côté précautionneux assez original que le coronavirus a réveillé ce matin motivant cette écriture inattendue, même pour moi.
Je m’en sortais souvent avec des pirouettes de ce genre dont je connaissais la signification, le plus souvent. Heureusement.
De la sorte, je ne me considérais pas comme un nase parfait.
A ma connaissance, ce qui va suivre, est la seule fois où mon stratagème resta en panne sèche, inapplicable devant l’incompréhension totale d’un sujet.
Un matin, notre prof « préférée » se planta devant le tableau et sans aucune pitié, nous écrivit blanc sur noir : « Le cid est grâce à Dieu un scandale permanent. » Commentez. Paf !
Peut-être avait-elle évoqué l’idée dans ses cours, avec mon audition défaillante, j’ignorais si c’était le cas. Je n’entendais que le quart de ce qui se disait, je devais me former tout seul avec mon regard, plus qu’avec l’exploration des livres, mon autre infirmité.
Ce jour-là, je me suis trouvé devant le néant.
Je m’interroge encore sur la signification du sujet proposé. Je n’ai jamais rien trouvé. Ce matin pour la énième fois, j’ai cherché et je suis enfin tombé sur ceci :
« Le Cid est un merveilleux poème d’amour. D’après l’écrivain Robert Brasillach : « C’est l’image d’une jeunesse aventureuse, aimant l’amour et le danger, rayonnante. N’oublions pas, devant cette gloire si pure, que l’accusation la plus fréquemment formulée contre elle, celle que lui-même finit par admettre est celle de d’impudicité : quelle indécence, s’écria-t-on, pour une jeune orpheline, de recevoir ainsi la nuit le meurtrier de son père ! Chimène elle-même s’en rend compte. Elle s’en rend compte et passe outre… et de conclure : Le Cid est, grâce à Dieu, un scandale permanent. »
Maya Schautz
Je ne suis pas plus avancé.
Une autre citation m’a poursuivi très longtemps. Je l’avais lue sur la quatrième de couverture de « Ainsi parlait Zarathoustra » Nietzsche : « On peut mourir d’être immortel ». Je m’en suis gavé toute ma vie. Je l’ai mâchée, mâchouillée, croquée, dégustée mais jamais vomie. Je l’ai toujours expliquée à ma manière, au premier degré sans jamais avoir lu la moindre page du livre.
A l’époque, avec mon esprit empreint de logique, je pensais que l’homme devenu immortel perdrait la notion de contrastes et donc toutes les raisons qui président à la vie. Immortel, à quoi bon manger puisque se nourrir est inutile, penser à demain puisque demain n’existe plus, avoir peur puisque la mort n’existe plus… Sans le temps, l’immortel est donc un homme mort.
Un homme sans passé, sans avenir, sans sensations, sans émotions, sans crainte et sans haine.
Inodore, incolore et insipide.
Un jour, j’ai eu l’occasion de communiquer avec un philosophe, spécialiste de Nietzsche, avec qui j’avais longtemps conversé durant ma jeunesse. J’en ai profité pour enfin connaître le vrai sens de l’aphorisme. Je lui ai demandé s’il pouvait m’éclairer en quelques mots ou quelques phrases sur la signification de cette idée. Il m’a renvoyé à la lecture d’un livre, de deux même, que j’ai vaguement parcourus, je n’ai trouvé aucune réponse. Peut-être va-t-on nous dire que c’est à nous de trouver un sens. Si c’est la tendance, il y a très longtemps que j’ai commencé à me faire des idées et je ne pense pas m’arrêter en si bon chemin, avant la fin de mon parcours.
A la faculté, en cours de sociologie qui traitaient d’Auguste Comte dont j’ignorais l’existence puisque je n’avais jamais suivi une séance, j’ai disserté en compagnie de Gaston Bachelard mon philosophe préféré, à l’époque. C’était un texte d’Auguste Comte sans mention d’auteur. J’ai eu la meilleure note. Le prof spécialiste du positivisme avait salué mon tour de force sans jamais citer l’auguste père du positivisme. Il pensait que c’était volontaire et cela l’avait changé de toutes les autres copies qui ne faisaient que répéter ses cours.
A quelque chose ignorance est bonne, le penser par soi-même le rend bien.
Je vous avais prévenus, aujourd’hui c’est du sérieux.
Trop ! pensez-vous ?
Mortel même, à mourir d’ennui ?
Non, pas tout de suite, nous avons encore de beaux jours devant nous.
Je suis toujours sérieux malgré mon côté facétieux, demain je vous dirai le contraire, et peut-être qu’aujourd’hui, je vous ai tout simplement barbés.
Si c’est le cas, c’est bien dommage.
Bonne journée et faites gaffe au corona… Le printemps n’est plus tellement bien loin.