Arbureddu di Natali.

« Petit arbre de Noël »

C’est en voyant le post d’une amie Facebook, Cathy qui se reconnaîtra, que j’ai eu l’idée de ce texte déjà connu de certains. Elle nous annonçait un chant de Noël par jour sur sa page, jusqu’au 25 décembre, je crois.

Je venais de rentrer dans mon village natal pour achever ma carrière d’enseignant. Je me retrouvais dans une classe à faire mes classes aussi. J’étais un débutant. Un débutant déjà déformé par vingt-quatre années de rééducations individuelles que l’on disait psychopédagogiques. Je vous assure qu’il est plus simple de débuter totalement vierge que de devoir lutter contre des habitudes.

J’étais très préoccupé par mon enseignement plutôt singulier puisque je fabriquais du sur-mesure dans une classe, par déformation professionnelle. Un travail épuisant et inadapté à la fonction, qui ne ressemblait que de loin à celui pratiqué par des vrais professeurs de écoles, je n’étais qu’un défroqué, parachuté là par hasard.

Le mois de décembre a débarqué très vite, trop vite à mon goût. Englué dans mes affaires tarabiscotées, j’étais loin d’imaginer qu’il fallait préparer un spectacle pour Noël. Je fus réveillé, environ une semaine avant l’arrivée du Père-Noël, par les collègues déjà au taquet pour la fête. Ils ignoraient que je puisse l’ignorer. C’était un peu juste pour un débutant qui de surcroît n’a pas l’âme festive. Festive dans ce genre-là.  Je commençais à baliser, comme on dit trivialement.

Dès le premier jour de l’annonce, quelqu’un me proposa une chanson en corse « Arbureddu di Natali ». Il devait me donner la cassette le lendemain, un lendemain qui ne vint jamais. J’avais eu la bonne idée d’étudier le texte en poésie, sans tarder, c’était une manière de le mettre en mémoire en attendant la suite. Les enfants de gendarmes qui le récitaient à la perfection, aussi bien et parfois mieux des enfants nés ici, devaient le lire en français pour leurs parents, le jour J. Je me souviens de l’un d’eux fier comme un pape, totalement à son affaire en chantant en corse, le port haut comme un coq en foire. J’étais attendri devant tant d’implication et de bonheur affiché sur son visage. Totalement épaté. Epaté mais inquiet car, je ne connaissais toujours pas l’air de la chanson. Durant quatre jours j’avais du mal à m’endormir. Des nuit blanches à imaginer un désastre sous le sapin de l’école.

Deux jours avant le spectacle, l’inquiétude était à son comble. Vers trois heures du matin, un vieil air me trotta dans la tête, surgi de nulle part, spontané, sans doute un appel du Père Noël. Et je me mis à chanter dans le lit jusqu’à réveiller Annie qui dormait à poings fermés, j’imagine.

Eh bien, figurez-vous que cet air me convenait parfaitement.   

Le lendemain matin, je débarquais en classe tout pimpant, fringant comme un petit cabri, on aurait cru que j’avais passé une nuit paisible d’adorable bébé. J’ai attaqué d’emblée en arrivant, les enfants ont suivi. Une bonne partie de la journée fut consacrée à la chanson. Ils sont épatants les enfants. Ils me suivaient partout, non pas en moutons de Panurge mais parce qu’on s’entendait bien, on s’amusait bien. Personne ne s’était rendu compte de ma galère.

Vous connaissez l’air di u trenu di Bastia ? Oui ? Alors essayez et vous verrez.

Voici le début :

Arbureddu di Natali
Eri solu n’a furesta
T’emmu sceltu cù Pasquali
Avva sè lu rè di la festa…

(Orthographe incertaine, écrire en corse n’est pas mon fort)

Vous voyez, je vous l’avais dit, ça colle bien !

Le jour du spectacle tout se déroula à la presque perfection, j’étais soulagé, j’allais dormir comme un vrai bébé le soir venu. Evidemment, rien à voir avec une mise en scène de Jean-Jacques Debout et Chantal Goya ! Quoique, je n’étais jamais assis en classe, toujours debout comme lui…

A la fin de la représentation, un vieux monsieur que je ne connaissais pas, me conduisit à l’écart et me dit : « Ce n’est pas l’air de la chanson, mais je vais vous faire une confidence, je préfère votre version. »

Meddu ! (Tant mieux) Lui dis-je, enfin libéré. La conduite d’une classe n’est pas de tout repos.

Quelques mois plus tard, j’ai écouté la version originale. Eh bien, je vous assure que je préfère la mienne et de loin.

J’ignorais que j’avais l’âme d’un compositeur.
L’inquiétude mène à tout, y compris au meilleur de nous-même !

Cela fait plus de vingt ans que j’ai quitté ces enfants, je revois encore leurs visages souriants, je crois que nous avons traversé de sacrés bons moments. J’en souris en y repensant. Je connaissais leurs parents depuis mon adolescence, ce fut un plaisir, bien qu’involontaire, de finir ma carrière dans mon village, à l’insu de mon plein gré comme dirait un sacré grimpeur…

On m’a pris pour un vrai instituteur alors que je balbutiais, un balbutiement qui semblait convenir. J’ai traversé cette période incognito.

La vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie pleine de surprises.

3 Comments

  1. Bonghjornu, sò l’autore di u testu di a canzona « Arburellu di Natale » . Sè vo vulete a magnifica musica uriginale cumposta da Paulu Zarzelli, a vi possu mandà. A canzona hè stata arrigistrata à u studio Ricordu in u 1990 à partesi d’un prughjettu fattu incù u CRDP (Canope avà). À u piacè!
    Mariantonia Salini

  2. Bonjour,

    Ce texte relate une affaire ancienne qui date de trente ans. Je finissais ma carrière dans mon village natal, un peu perdu puisque que je n’avais pas trouvé de poste convenant à qualification. « Arbureddu di Natali », m’a, à la fois, sauvé d’un naufrage annoncé et pas mal perturbé aussi car je ne parvenais pas à avoir l’air de la chanson, j’en souris aujourd’hui. Je connais l’air désormais et je termine tranquillement ma vie à l’ombre de ma retraite. Je vous remercie d’avoir posé ces mots dans mon blog, ainsi la boucle est bouclée, je n’aurais jamais pensé avoir, un jour, le commentaire de l’auteur.
    Ce n’est pas une première puisqu’un autre m’a éclairé sur « Gugus » qui venait dans nos villages, il y a une soixantaine d’années, une rencontre physique, cette fois-ci, très surprenante …
    Vi ringrazziu, je n’ai pas votre facilité pour écrire en corse, je le parle – celui de mon village – à la perfection, je crois.
    Merci, j’apprécie cette rencontre sympathique et inattendue.

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