qui sifflent sur nos toits ?
La tempête fut terrible toute la journée de vendredi. Les chênes verts qui d’ordinaire rompent et ne plient pas, touchaient terre sous les rafales rageuses du vent. Tels des roseaux sur le coteau pentu, ils fouettaient le sol de leurs plus hautes branches sans céder sous les coups de boutoirs. C’était surprenant et très impressionnant. Cela a duré ainsi toute la journée entre averses et coups de rage venteux.
En allant fermer le poulailler à la nuit tombée, je prenais des risques inconsidérés. Les arbres menaçaient de me smacher au passage, de m’assommer et même m’écraser. J’ai dû m’abriter à contre vent, un long moment en attendant l’accalmie pour éviter une mésaventure. Je n’ai jamais été, de la sorte, impressionné.
Des nuages lourds comme des rouleaux compresseurs au moteur de formule 1, filaient du Piatonu au Pinettu en deux secondes. Le ciel s’éclairait puis s’obscurcissait à mesure que les cumulo-nimbus se bousculaient en s’engouffrant dans la zone dépressionnaire. Un vacarme assourdissant envahissait l’Aratasca. Un fond sonore inquiétant ponctué de bruits plus courts et plus secs, d’objets qui s’écrasaient contre des murs, se plaquaient contre une muraille, volaient très haut puis, à la faveur d’un bref repos, atterrissaient sur le toit de la maison avec fracas. Le parcours qui mène à la demeure devenait un chemin périlleux. Parfois le vent me propulsait de dix pas en avant au lieu d’un, parfois me renvoyait brutalement en arrière ou me déséquilibrait, menaçant de me plonger par-dessus le talus. J’étais pris dans le tourbillon des sensations que naguère je cultivais mais ce soir-là, je n’étais plus aux commandes. J’étais balloté, secoué, maltraité comme une plume sous la force des éléments déchainés qui conjuguaient leurs efforts courroucés. Le trajet ordinaire, que je peux parcourir presque les yeux fermés, me parut interminable.
Je me suis engouffré dans la maison. Il y régnait une chaleur douce rassurante.
Un énorme bruit fit grand boucan à l’extérieur, un mélange de pesant et de léger à la fois, impossible à identifier, puis plus rien. Seul le sifflement d’Eole énervé, secouant violemment tout ce qui barrait son passage, était encore perceptible.
Je m’étais assis face à la cheminée lorsque la lumière s’éteignit. Ce n’était pas la première fois de la journée mais cette fois-ci, elle avait choisi de faire longue virée. Je fus plongé dans mon enfance devant l’âtre. En ce temps, les coupures de courant étaient fréquentes et ne surprenaient personne. Devant le feu qui chauffait la face et laissait le dos froid, chacun s’évadait dans son monde en faisant silence. Mon grand-père souriait à sa promenade dans les vignes ou en forêt, dans son jardin ou ailleurs et farfouillait machinalement dans les cendres en dérangeant les braises avec le tisonnier. Grand-mère souriait aussi mais son sourire était sans doute adressé à sa famille. Elle s’était égarée dans le catalogue Manufrance qu’elle connaissait par cœur et nous habillait tous de la tête aux pieds sans débourser un sou. J’imaginais à son sourire qu’elle choisissait pour nous les meilleurs effets, les meilleures chaussures, réservant pour elle des charentaises confortables pour soulager ses pieds, le soir venu, au coin du feu, qui trottaient toute la journée.

Mon portrait imaginé par Anna Livia, qui trône sur la cheminée, avait changé d’allure. A l’ombre d’une bougie dont la flamme dansait, vacillait, sans qu’aucun souffle ne soit perceptible dans la maison, me donnait un aspect étrange. J’étais devenu un alien encapuchonné, une sorte d’extraterrestre tout juste débarqué d’une autre planète, venu se poser sur le bord de la cheminée. Que faisait-il là, sans broncher, sans dire un mot, jetant un regard profond en ma direction ? Quel message ? Je me mis à inventer de belles intentions, comme mes aïeux devant le feu hivernal. Je m’évadai, je partis vadrouiller dans mon imaginaire pour me raconter des histoires merveilleuses… J’étais en totale liberté, toutes les images possibles et introuvables envahirent mon esprit.
Le lendemain matin, en allant ouvrir le poulailler, je compris l’énorme fracas de la veille. Les tuiles côtières étaient soulevées et d’autres pulvérisées présentaient un grand trou béant sur le toit. Les averses annoncées tentaient de profiter de cette opportunité pour rendre visite à mes chambres à l’étage mais Eole, sans doute par sympathie envers moi, se mit à pousser encore un peu, écartait les nuages, les évacuait toujours plus loin.

C’est mon ami Louis qui vint à la rescousse. N’écoutant que son amitié, il retrouva ses réflexes de naguère lorsqu’il s’affairait sur les toits.
Il était fier en me voyant sourire, presque plus content que moi.
L’épisode venteux fut ravageur mais tout est bien qui finit bien, je suis reparti pour d’autres aventures… J’ai retrouvé ma joie.
Je n’étais guère rassuré, par bonheur, la solidarité ordinaire n’a pas dit son dernier mot.