Des nuances pour une vie.

C’était un mauvais jour, un jour incertain, un jour où l’on se quitte en espérant se retrouver, le jour du dieu bistouri.

Annie s’était acheté un rosier miniature genre baccara lilliputien. Un petit buisson au feuillage vert soutenu, aux boutons d’un rouge presque noir. Un signe, j’imaginais un signe. Avait-elle posé sur le buffet un ange gardien ? Son représentant auprès de moi ?

J’étais seul. Je regardais ce bouquet orphelin tous les matins au lever, j’avais l’impression qu’il dépérissait de jour en jour comme si l’absence de celle qui l’avait posé là pesait trop lourdement. Le petit rosier engoncé dans sa minuscule bassine n’avait plus envie d’attendre et menaçait de se recroqueviller avant de se dessécher totalement. 

J’ai hésité. Fallait-il l’abandonner à son destin ? Fallait-il tenter un sauvetage en entendant son cri aphone ?

Je l’ai transplanté en plein vent, sur le passage d’Eole, aujourd’hui furibond. Furax, on ne sait pourquoi, il se déchaine quelques fois. La pluie n’a pas ménagé ses efforts, non plus, pour bassiner et bassiner encore puis noyer souvent la pauvre petite plante dans sa couveuse.

Cet après-midi, je passais en visite. Une superbe rose, à la corolle minuscule pourtant, d’un rouge très sombre, me tendait les bras. Je l’ai cueillie pour l’offrir à celle qui veille avec moi…

Je me suis perdu dans toute une collection de tons, des nuances invisibles pour le commun des passants. J’y voyais des rouges, plein de rouges, corail, écarlate, carmin, pourpre, rouge d’Andrinople, auburn, bordeaux et rouille. Un peintre éclairé en verrait d’autres sans doute.

Un côté rouillé, brûlé mais à peine cramé, clignotait lentement. Il me rappelait que la vie n’attend pas, je m’en vais le lui dire de ce pas.
 
Désormais joyeux rosier,
Notre gardien veille et nous guette,
Pourquoi le nier,
De la vie nous ne perdrons plus miette.