Hier matin, je conversais par message privé avec un photographe belge, ami Facebook que je ne connais pas. Nous échangions quelques idées. Il terminait son post par « J’espère que vous vivez dans la joie ».
Sans doute, ressentait-il quelque chose de ce genre à travers mes propositions sur ma page du réseau social. Son souhait fit tilt instantanément dans mon esprit. Je l’informai sur le champ, c’est l’objet de l’écrit du jour, que voici.

Cette idée de joie ne m’a pas quitté de toute la journée. Je repensais à mes hiboux qui s’interrogeaient ou affirmaient : Le bonheur c’est comme l’idée de dieu, si on y croit, on le voit partout, sinon, on lui court après. Puisque le bonheur est insaisissable, qu’il file entre les doigts dès qu’on pense le tenir, je préfère me l’inventer. Je m’invente des moments joyeux très souvent, ainsi, je produis de la gaité à ma guise. Je détiens une fabrique inépuisable. Ça fleurit partout au point que je parviens à oublier les petits malheurs et même la douleur, comme un stoïcien qui se focalise sur le plaisir pour mieux oublier tout le reste.
Il ne s’agit point d’une leçon adressée à tous, c’est mon mode de vie actuel. Quand je rétrovise, que je regarde en arrière, j’ai l’impression d’avoir vécu mille vies, des millions de moments rendus joyeux en détournant le négatif en positif comme une image qui se révèle dans la chambre noire d’un photographe.
Mon enfance fut heureuse car je vivais dans un milieu modeste où l’on ramait tous les jours. Ce fut ma chance. Aucune souffrance, rien. Je n’ai rien à reprocher à personne. Nous avons pataugé dans l’incertitude, ensemble. J’ai galéré à l’école, j’ai appris à lire très tard, disons que je lisotais vers mes quatorze ans sans jamais connaitre d’autre livre que le manuel scolaire dont je faisais mésusage. Je suis passé trois fois sous les roues de voitures. La dernière sur la grande avenue versaillaise. J’étais en gabardine, il pleuvait, je fus percuté de plein fouet par une voiture qui doublait, je suis allé valser au milieu de l’avenue en faisant des tonneaux comme une toupie devenue folle. J’avais l’impression que les immeubles, qui tourbillonnaient, allaient s’effondrer sur moi. Je me suis relevé pour ramasser mes piécettes, échappées de mes poches, qui roulaient partout, mes effets déchirés, je me suis excusé. Une semaine d’arrêt de travail, le lendemain mes jambes étaient noires. Je suis allé travailler quand même en vomissant dans le train. Voyez comme je raconte ce passage, j’aurais pu vous détailler les responsabilités du chauffeur… Toute ma vie fut ainsi, les claques, je les tournais en caresses. Je ne suis pas un saint non plus, ni un ange qui échappe à la tristesse mais quelqu’un qui va… Quelqu’un de secret dont on ne sait rien, que l’on découvre avec étonnement.
Le soir, je suis descendu au fond du jardin pour fermer le poulailler. Le jour et la nuit se disputaient la luminosité. Le brouillard avait tout envahi donnant l’avantage à la nuit. Je me suis arrêté face à ma vallée complètement enveloppée de grisaille opaque, invisible. Je me suis souvenu de mes derniers jours de vacances ici, je contemplais les montagnes environnantes pour m’en imprégner totalement avant de repartir sur le continent. Je n’étais pas certain de les revoir. En imbibant mon esprit de mes coins familiers, je faisais le plein de tristesse pour mieux ressentir les joies à venir.
Ce soir donc, je ne voyais rien. Derrière cet écran occultant, j’imaginais, je supputais. Combien de nuits encore ? Le champ visuel s’est rétréci, le brouillard a barbouillé puis assombri l’horizon. Je n’ai plus le temps de me morfondre, je n’ai plus de vague à l’âme à jeter à la face des autres, je n’ai plus de méchanceté. J’ai des pleurs pour moi tout seul perdu dans l’humidité de la brume. Je revois ma vie, je revois les miens, là-bas n’est plus très loin…
Alors, je rentre et je m’amuse. Je ris, je fais le fou, je saute et cabriole dans ma tête. La vie est belle, j’en veux encore un peu.

Plus tard, je vous l’assure, je ferai tout pour vous regarder vivre, personne ne m’empêchera de rêver encore. Je serai au pays insensé d’où personne ne revient. Eh bien ! Je ne reviendrai pas mais je jouerai dans vos têtes. Celles qui veulent se souvenir de moi…
Cher ami Etienne ces quelques mots sont pour vous.
Je vous souhaite un bon dimanche.