Puisque tout est bon dans le cochon…

Quelques jours après « a Tumbera », chaque recoin de la maison rappelait le cochon. L’odeur de la charcuterie encore fraîche qui séchait au-dessus de la table de la salle à manger embaumait toutes les pièces. La pointe d’ail que ma grand-mère mettait dans son ficateddu* l’emportait sur les autres arômes. Le dosage était parfait, juste calculé pour une subtile mise en valeur de l’ingrédient principal, le foie, légèrement mariné dans du vin. Chaque famille personnalisait sa charcuterie d’une touche originale mais les bases restaient les mêmes pour tous. Les premiers jours de séchage, le plafond était entièrement garni de toutes les charcuteries qu’un porc peut livrer. Rien ne se perdait, tout se transformait, même la queue en tire-bouchon passait à la casserole.

Ficateddu et salcicettu pendus aux poutres partaient les premiers, grillés dans la cheminée, accompagnés de pulenta à la farine de châtaigne dont les tranches étaient débitées avec une ficelle selon le principe du fil à couper le beurre. Très prisés, aussi, avec des lentilles le dimanche pour un repas plus complet lorsque l’ensemble de la famille se réunissait. Chaque enfant avait son mini-ficateddu et pouvait décider du moment pour le consommer.

Les premiers saucissons étaient entamés à Pâques, souvent le lundi lors de la dinette (A pucena). Minnana en confectionnait des plus petits qui séchaient plus vite, pour cette occasion. Ils étaient encore un peu frais à la consistance molle du Cochonou, c’est ainsi que nous les enfants, les préférions.

A ce stade du récit, je me souviens d’une anecdote. A l’époque, dans les épiceries, la vedette était tenue par le saucisson Mireille affublé d’une belle médaille ronde en fer blanc. Certains farceurs peu scrupuleux s’en servaient pour décorer, devant un comptoir de bar, à l’apéro, quelque personne crédule ou faible d’esprit. Une petite cérémonie distinguait actes de bravoure fictifs ou faits d’armes imaginaires durant la dernière guerre mondiale. Tout le monde y trouvait son compte de plaisir, le récipiendaire comme les facétieux de service à l’esprit chauffé par le pastis. Chacun tenait son rôle à la perfection, les uns se mettant dans la peau d’un haut gradé et les autres se croyant réellement les héros ayant chassé l’ennemi du pays. Le cérémonial était invariable : « En vertu des pouvoirs qui me sont conférés par le général de Gaulle, je vous fais chevalier de la Légion d’Honneur… » Applaudissements, vivats, puis l’injonction de charger les verres, de pastis bien entendu. Décidément le cochon mène à tout…

A table, il n’était pas surprenant de nous voir avaler des tronçons charcutiers démesurés. C’était notre mode de vie. Nés pour la mâche et l’épicurisme nous ne songions jamais à trancher le saucisson en fines lamelles. On mangeait à l’ancienne, à la paysanne, à la croque en tenant dans la main la part qui nous revenait. Nous rompions le morceau d’une torsion sans faire usage du couteau ou de la fourchette. Nous trouvions plus de goût en procédant ainsi par grosses bouchées gourmandes… Fine tranche et fine bouche ne nous procuraient pas le même plaisir. Il fallait réveiller les papilles à la hussarde avant de franchir le fond du gosier.
Ce n’est que bien plus tard que je pris conscience de ce côté rabelaisien né de nos dégustations hors de raison. Dans cette démesure, dans l’excès en tout, je préparais, sans le savoir, mon penchant pour l’épicurisme…
Le lard pendu un peu à l’écart, en larges pans, suintait au fil du temps au-dessus du plancher laissant des taches graisseuses sur le lino tout neuf qui venait d’être posé pour camoufler les planches disjointes du sol. Grand-mère en raffolait. Elle le tranchait sans décrocher la pièce de son support puis grillait les morceaux dans la cheminée en récupérant toute la graisse chaude entre deux tranches de pain. Elle n’était pourtant pas bien épaisse Minnana malgré sa consommation chargée en lipides. Nous, par mimétisme puis par envie ou par goût, nous renforcions notre enfance du lard qui allait conditionner notre futur mode de vie. Malgré les mises en garde de la médecine, l’appel de la panzetta est encore d’actualité. Heureux gens qui ignoraient HDL, LDL et rapport total « lipidien ». Ils mangeaient et bougeaient sans rappel quotidien sur un téléviseur…

Les fritures étaient réalisées au saindoux confectionné par grand-mère. La coppa, le lonzu et le jambon n’étaient entamés que bien plus tard, souvent réservés aux parents et amis qui venaient passer leurs vacances d’été au village natal. C’était un autre rituel qui ne variait jamais.

La mentalité paysanne des gens de basse condition comme la nôtre était empreinte de soumission. Notre bien le plus cher était le jambon et son entame ne s’opérait qu’en présence d’une personne « d’importance ». Ce bien précieux demandait une attention particulière lors de sa confection. Il fallait prendre soin de vider la veine fémorale de son sang car lorsque cette canalisation n’est pas correctement traitée, elle devient un redoutable vecteur microbien et les mouches connaissent la chanson… La perte d’un jambon était toujours une petite catastrophe pour la famille.

La porcherie ne restait pas longtemps sans habitant. Un autre porcelet en devenait locataire sans savoir qu’un jour il sera pendu au plafond juste au-dessus de la table pour le plus grand plaisir charcutier de toute la maisonnée.

A n’en pas douter, chez nous c’était bien cochonnaille et non cochonnerie.

Je suis du signe du cochon dans le zodiac chinois. Que bon porc nous conduise à bon port. Groin, groin ! Naf naf ! Nif nif ! à vous qui lisez ces lignes. Portez-vous bien, je viens de traverser l’année du cochon version calendrier chinois, c’est nickel pour le moment !

Le cholestérol est en équilibre parfait, je vais pouvoir faire honneur à la saison du boudin dont le coup d’envoi vient juste d’être donné.

Photo dans le titre. Père au jambon et grand-père à la bonbonne.

Ficateddu. Figatellu, pour les continentaux. Charcuterie à base de foie de porc appelé « u fecatu » en corse. Curieusement, en Castagniccia, région réputée pour ses châtaigniers et ses porcs en liberté, le ficateddu ne contient pas de foie (ou très peu) et porte pourtant le même nom. Les gens du coin réservent l’ingrédient pour fabriquer du pâté de foie, ce que l’on ne fait pas chez nous. Si peu de distance et des pratiques si différentes…

Les vieux se la coulaient douce. Pas tout à fait, l’homme fumait la pipe et la dame filait encore… Finalement, c’était sa manière de faire des mots croisés.

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